19/12/18

La lutte anti-churn : le défi des années à venir dans le secteur de l’énergie ?

Le churn, qu’est-ce que c’est ?

Le Churn, équivalent en français à l’attrition, désigne la perte de clientèle pour une entreprise. Il est mesuré par le taux de churn qui correspond au pourcentage de clients que perd une société sur une période donnée et qui est donc l’indicateur principal de la capacité d’une société à retenir ses clients.

Il existe 3 grands types de churn :

  • Le churn volontaire sur lequel se focalise en général l’attention, celui sur lequel les leviers d’actions sont les plus importants
  • Le churn naturel qui, dans le secteur de l’énergie, concerne principalement les déménagements. Il est en partie incompressible mais un accompagnement adéquat peut permettre de le limiter en conservant ses clients malgré un déménagement.
  • Le churn financier, déclenché à l’initiative de l’entreprise, qui peut souvent être amélioré par une optimisation du processus de gestion de recouvrement notamment.

L’énergie : un secteur épargné par le churn mais en pleine mutation

Jusqu’à maintenant, le secteur de l’énergie était plutôt épargné par le phénomène de churn malgré l’ouverture des marchés de l’électricité et du gaz à la concurrence en 2007. Seul Direct Energie faisait figure de concurrent sérieux face aux fournisseurs historiques EDF et ENGIE (anciennement GDF Suez) mais dans des proportions qui ne faisaient pas de la lutte anti-churn un sujet central.

Seulement, depuis 2017, la concurrence s’intensifie et la lutte anti-churn est donc devenu un sujet tout aussi crucial que l’acquisition client dans le secteur de l’énergie :

  • En 2017, ENI, Butagaz et Cdiscount Energie lancent leurs offres d’énergies avec des réductions proposées atteignant jusqu’à -15% par rapport au Tarif Réglementé par l’Etat (TR)
  • Total, après avoir affiché ses ambitions dès 2016 en acquérant Lampiris, confirme qu’il souhaite se positionner comme un acteur majeur du marché en acquérant Direct Energie en 2017 et en lançant la marque Total Spring, marque qui absorbera indubitablement Direct Energie en 2019 bien que le choix ait été fait de conserver les deux pour le moment.
  • En juillet 2018, Leclerc, numéro 1 de la grande consommation en France, lance une offre discount à -20% par rapport au TR sous forme de bons d’achat utilisables dans leurs quelques 700 magasins en France et annonce viser une part de marché de 10% sur l’électricité d’ici 2025, soit 3 millions de clients.
  • En octobre 2018, Vattenfall, acteur suédois déjà présent sur le marché des professionnels, lance une offre auprès des particuliers et affiche également des ambitions élevées : ils espèrent conquérir 500.000 clients en 5 ans et se positionner ainsi parmi les 5 principaux fournisseurs dans l’Hexagone.

Des consommateurs volatiles dont les priorités évoluent

A la manière du secteur des télécoms, le processus de changement de fournisseur est maintenant simplifié pour le client : aucune coupure, aucune démarche administrative pour résilier, aucun engagement. Il en résulte donc que les clients sont maintenant de plus en plus volatiles, et les fournisseurs historiques peinent à les fidéliser ou du moins à les retenir face aux stratégies de conquêtes agressives des fournisseurs alternatifs. Certains acteurs misent sur des stratégies de pénétration du marché en proposant des prix particulièrement attractifs (i.e. jusqu’à -20% par rapport au TR pour Leclerc). D’autres, sur des sollicitations commerciales à domicile toujours plus nombreuses, le démarchage à domicile pouvant représenter jusqu’à 50% des ventes pour certains fournisseurs.

Cette volatilité des consommateurs est mise en évidence par les derniers Observatoires des marchés de détail de l’électricité et du gaz naturel de la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) :

  • Sur le marché de l’électricité, alors que la part de marché des fournisseurs alternatifs (tous sauf EDF) est passée de 14,2% au 1er janvier 2017 à 20,7% au 30 septembre 2018, cette même part de marché atteint 50% lorsque l’on considère uniquement les nouvelles ventes de l’année 2018. Le taux de churn du marché a lui augmenté de 1,5 points en un an, atteignant 19,8% sur 12 mois glissants (période octobre 2017 – septembre 2018), 5,4% étant dû aux changements de fournisseurs et 14,4% aux déménagements.
  • Sur le marché du gaz, les fournisseurs alternatifs (tous sauf ENGIE) détiennent 28,5% du marché au 30 septembre 2018 (vs 24% au 1er janvier 2017) et réalisent 62% des nouvelles ventes en 2018. Le taux de churn du marché a explosé depuis un an en augmentant de 3 points sur la période octobre 2017 – septembre 2018 par rapport à cette même période l’année précédente. Il s’élève désormais à 18,7%, 5,6% étant dû aux changements de fournisseurs et 13,1% aux déménagements.

Pour l’heure, le critère prix semble être le plus important aux yeux des consommateurs mais la qualité des services et de la relation client ne sont pas à négliger pour autant afin de les retenir et les fidéliser. Les consommateurs sont également de plus en plus sensibles aux problématiques environnementales et souhaitent une consommation responsable. Les grands acteurs s’engagent donc progressivement dans la transition énergétique et de nombreux nouveaux fournisseurs émergent en proposant des offres « 100% vertes » (i.e. Mint Energie, ekWateur, ilek…).

Un phénomène de churn qui risque de s’accentuer

Ce phénomène de churn va vraisemblablement s’accentuer dans les années à venir : la majorité des nouveaux fournisseurs sont arrivés sur le marché durant les 2 dernières années seulement et l’arrivée de Casino (via Cdiscount Energie) et de Leclerc donnera certainement des idées à d’autres acteurs de la grande consommation qui pourraient être tentés d’imiter ce modèle. La fin annoncée des Tarifs Réglementés, d’abord pour le gaz et ses 4,5 millions de sites résidentiels au TR d’ici 2023, puis pour l’électricité et ses 25 millions de sites résidentiels au TR risque également d’accélérer ce phénomène.

Une guerre concurrentielle n’est pas à exclure dans les années à venir sur un marché où le nombre d’acteurs commence à saturer. Les fournisseurs historiques vont donc devoir faire de la lutte anti-churn l’une de leurs grandes priorités des prochaines années s’ils veulent conserver leurs parts de marché. Il faudra pour cela qu’ils diagnostiquent et comprennent ce phénomène de churn dans un premier temps afin de prévoir et d’anticiper les départs de leurs clients, puis qu’ils les fidélisent en se différenciant sur leurs offres, leurs services et la qualité de leur relation client.

Les fournisseurs alternatifs ont instauré une bataille sur les prix, mais aussi sur les services qu’il ne faut pas oublier. Les fournisseurs qui tireront leur épingle du jeu seront peut-être ceux qui sauront concilier les deux, comme l’avait fait Free sur le secteur des télécoms en 2002 en innovant aussi bien sur les services que sur les prix avec le lancement de la première offre Triple Play en France à un tarif avantageux.

Jérémie PERES