28/09/20

Transformation de l’agriculture : 4 tendances qui structurent la diversité des modèles agricoles

Dans un secteur agricole français où, sans subventions, 6 exploitations sur 10 auraient un résultat courant négatif (source : AGRESTE), la nécessité de transformer les modèles économiques est une préoccupation permanente. Et si la tendance de fond de diminution du nombre d’exploitations agricoles en France se confirme année après année, le secteur agricole reste plus divers que jamais. Il n’y a pas une mais des agricultures en France.

Impactés par les préoccupations environnementales et sanitaires grandissantes, les évolutions des modes de consommation alimentaire, le potentiel croissant de la technologie, les agriculteurs adaptent leur business model en continu, de la production à la distribution, en passant par la transformation, le stockage et le transport. Loin d’un profil type unique, les exploitants sont des entrepreneurs aux stratégies multiples, qui se transforment sous l’effet de 4 grandes tendances du secteur.

#1 – Un positionnement plus qualitatif, souvent incarné par le Bio, les labels, les AOC et AOP

Valorisées par les consommateurs, encouragées par les pouvoirs publics, incitées par les politiques d’aides, le nombre d’exploitations engagées en Bio a augmenté de 13% entre 2018 et 2019. Les surfaces Bio ont doublé en 5 ans (source : Agence Bio). Cette hyper croissance est emblématique d’un secteur qui mise sur la qualité pour se différencier des produits agricoles concurrents venant du monde entier. Le Bio, les labels et autres appellations d’origine contrôlée ou protégée ne sont pas sans risque puisqu’ils sont plus contraignants (cahiers des charges strictes pour l’exploitant) et qu’ils augmentent le risque en cas de baisse de la demande, d’incident de production ou d’évènement climatique. Cependant, beaucoup d’agriculteurs se sont emparés de ces leviers concrets pour mieux valoriser leur production.

Cette approche qualitative va de pair avec la volonté de prendre soin des animaux et de ne pas épuiser les terres. Au-delà des labels et du bio, l’agriculture raisonnée vise à optimiser les rendements et le résultat économique, tout en préservant animaux et terres, et en maîtrisant les quantités d’intrants utilisées. A la recherche d’un équilibre entre environnement et productivité, les techniques et pratiques agricoles mettent de plus en plus l’accent sur la qualité.

#2 – Une remontée de la chaine de valeur agroalimentaire, jusqu’au client final

L’essor des circuits courts donne l’opportunité aux agriculteurs de se placer au plus près des consommateurs. Les exploitants captent alors plus de valeur en se positionnant sur les activités de transformation et de distribution. Véritables producteurs et commerçants, ils transforment eux-mêmes leur production et la distribue avec le moins d’intermédiaires possibles.

Les modes de distribution sont multiples et permettent de diversifier les sources de revenus : marchés, réseaux de magasins de producteurs et AMAP, vente en ligne, vente en direct à la ferme, et même cueillette réalisée par les clients eux-mêmes. Misant sur la proximité entre le producteur et le consommateur, surfant sur une volonté de consommation de produits locaux et saisonniers, cette tendance s’accompagne également d’une plus grande transparence sur les prix.

#3 – Une optimisation permanente de l’exploitation agricole

Cette recherche d’optimisation est inhérente à toute entreprise. Elle se traduit dans les décisions de gestion telles que la recherche du statut juridique le plus approprié à la situation ; autant que dans les décisions de production, telles que la diversification des cultures ou élevages. Le but est d’être en capacité de s’adapter aux évolutions des attentes des consommateurs et aux impacts de la concurrence mondiale sur les produits agricoles. Après avoir vérifié la météo sur leur smartphone, le premier geste de beaucoup d’agriculteurs est de vérifier les cours de bourse mondiaux de leurs productions.

L’optimisation s’incarne aussi dans la diversité des modalités d’investissement, entre achat, location et mise en commun. Certains agriculteurs mettent en commun leurs machines et matériels agricoles (par exemple avec les CUMA) ou ont recours à la location auprès de sociétés spécialisées. D’autres encore les achètent pour les louer à d’autres agriculteurs quand ils ne sont pas utilisés. Les récoltes finies, les machines peuvent être louées dans une autre région où les récoltes sont plus tardives.

Dans le monde agricole, cette recherche d’optimisation ouvre aussi la voie à une diversification vers de nouvelles activités, plus éloignées du métier d’exploitant. L’accueil de public à la ferme et l’agrotourisme sont par exemple une source de revenus nouveaux. Dans un autre registre, la méthanisation agricole permet de valoriser les déchets agricoles en produisant et revendant de l’énergie – électricité ou biométhane.

#4 – Une utilisation croissante des robots et des données, pour une agriculture de précision

Equipés de GPS depuis longtemps déjà, les tracteurs et machines agricoles sont progressivement rejoints dans les exploitations par des robots et capteurs connectés en tout genre. Ces équipements permettent d’automatiser un certain nombre de tâches, telles que l’élagage, le désherbage, la pulvérisation de produits phytosanitaires ou encore le contrôle et la surveillance des terres, des troupeaux et de la production. Tous connectés, ces équipements sont aussi un moyen de collecter un grand nombre de données : stress hydrique, taux d’humidité, niveau d’azote, de chlorophylle, etc.

A travers le suivi en temps réel, l’analyse précise des données récoltées, voir la comparaison à des données extérieures, les agriculteurs prennent de meilleures décisions et peuvent anticiper : sélection des variétés, utilisation des intrants (quantité et localisation), démarrage de la récolte, anticipation des maladies, respect des cahiers des charges, etc. Constructeurs d’équipements agricoles, éditeurs de logiciels spécialisés et startups de l’agritech proposent aujourd’hui aux exploitants un éventail de services autour des données, pour les aider dans le pilotage de leur exploitation.

Accélérer la transformation, vers un modèle agricole durable et profitable

Ces tendances ne concernent pas tous les agriculteurs de la même manière. En fonction de son profil, de ses expériences et de ses préoccupations, chaque exploitant construit un projet qui lui est propre. En cela, les exploitations changent sous l’effet de l’évolution de la démographie du monde agricole. Les exploitants sont de plus en plus formés, aux techniques agricoles mais aussi à la gestion d’entreprise. Il n’est plus rare de croiser des ingénieurs parmi les chefs d’exploitation. On voit également apparaitre des néo-agriculteurs, non issus du monde agricole, parfois ex-citadins en reconversion, à la recherche d’un retour à la terre. Le projet de transmission entre aussi très tôt dans les préoccupations et les choix des exploitants. Il sera plus évident pour un exploitant approchant de la retraite de faire le choix d’une conversion au bio si l’un de ses enfants le rejoint pour reprendre l’exploitation familiale, apportant potentiellement un nouveau souffle. A l’inverse, sans perspective de transmission claire, il sera peut-être moins enclin à se projeter dans la transformation de son exploitation.

Pour réussir leurs transformations, les agriculteurs doivent être encouragés et accompagnés par l’ensemble de leur écosystème. Il en va d’une responsabilité collective qui va au-delà des pouvoirs publics et des consommateurs. Les producteurs d’intrants, les labos pharmaceutiques, la grande distribution bien sûr mais aussi les banquiers, les assureurs, les transporteurs et logisticiens, les énergéticiens, sont autant d’acteurs qui peuvent agir (et agissent déjà pour certains) pour un modèle agricole plus durable et équitable.

Un article rédigé par Antoine Auffret