Assurance emprunteur : la revanche des assureurs ?
Le législateur a tapé fort ! En adoptant le 17 février dernier la proposition de loi « pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur » (dite loi Lemoine), les conditions de marché vont être substantiellement modifiées avec :
- La possibilité de résilier à tout moment son assurance emprunteur (comme pour l’assurance auto et habitation depuis la loi Hamon et les contrats santé depuis la loi relative à la résiliation sans frais de 2019).
- La suppression du questionnaire médical pour les prêts inférieurs à 200 000 euros par personne et qui se terminent avant les 60 ans de l’emprunteur.
- La réduction du délai du droit à l’oubli à cinq ans contre dix ans auparavant pour les cancers et hépatite C.
Poursuivant l’objectif assumé de fluidifier le marché de l’assurance emprunteur, cette loi peut effectivement entraîner des impacts majeurs. D’une part, la résiliation infra-annuelle pourrait permettre aux assureurs de capter une partie du marché encore largement tenu par les bancassureurs ; d’autre part, la suppression du questionnaire médical et la réduction du droit à l’oubli pourraient avoir un impact sur les prix (notamment à la hausse pour certaines populations) encore difficile à anticiper.
À court terme, une question majeure demeure pour les assureurs : comment tirer profit des opportunités de cette nouvelle loi pour reprendre des parts de marché aux bancassureurs ?
Le portefeuille client : or noir des assureurs historiques
Les principaux assureurs français disposent de portefeuilles clients très importants (11,6 M pour les 3 marques de COVEA, 6,3 M en France pour AXA, 5,6 M pour Macif pour ne citer que ces exemples).
En parallèle, 80% des Français détenteurs d’un crédit immobilier ont souscrit leur assurance emprunteur auprès de la banque prêteuse. En d’autres termes, les assureurs disposent d’un gisement majeur de clients à équiper dans leurs portefeuilles.
Avec des contrats généralement nettement plus compétitifs que les contrats groupe des bancassureurs, les assureurs peuvent se positionner comme « partenaire du pouvoir d’achat » alors même que l’assurance est souvent perçue comme une dépense contrainte et à fonds perdus.
Les mutuelles d’assurance, fortement exposées à l’IARD, ont ainsi une formidable occasion d’équiper (enfin) leur portefeuille avec un produit de prévoyance présentant des marges plus confortables.
Et pour tous les assureurs, la vente de l’assurance emprunteur est aussi l’occasion de se « venger » des banquiers en récupérant les contrats MRH perdus lors des négociations de prêts immobiliers. Et pourquoi pas aller au-delà sur d’autres produits de prévoyance individuelle comme les GAV.
Bien entendu, l’un des intérêts majeurs pour les assureurs, au-delà de l’assurance emprunteur et de la MRH est de multi-équiper en maitrisant les coûts d’acquisition. Mais la conquête de nouveaux clients via l’assurance emprunteur est également intéressante a priori : cela permettrait de rajeunir le portefeuille et de conquérir des clients à fort potentiel de multiéquipement, notamment en IARD.
Cependant, cet objectif doit rester secondaire pour les assureurs « historiques ». D’une part, ils devront faire face à des insurtechs avec des offres et parcours digitaux innovants (assurly, Luko par exemple) vraisemblablement plus performants en conquête ; d’autre part, ils devront investir significativement pour toucher les prospects (investissement média, présence potentielle sur des comparateurs en ligne notamment) faisant ainsi augmenter le coût d’acquisition.
L’identification des cibles clients à solliciter : le défi des assureurs
Si le potentiel d’équipement du portefeuille est évident, il faut encore identifier les clients à solliciter en priorité. 31 % des Français sont actuellement accédant à la propriété et remboursent un crédit immobilier mais tous n’ont pas un potentiel d’équipement en assurance emprunteur intéressant. Les clients à solliciter en priorité sont ceux avec des montants restant dus élevés parce que :
- L’économie potentielle en changeant d’assurance emprunteur est significative et attractive pour le client.
- La reprise de l’assurance emprunteur reste économique et rentable pour l’assureur même avec une prime significativement réduite.
- La suppression du questionnaire médical a moins de chance de s’appliquer (pour rappel, elle concerne les prêts de plus de 200 K€ par personne) permettant une meilleure maitrise du risque.
L’identification de ces clients dans le portefeuille demeure toutefois difficile pour les assureurs. Plusieurs options, non exclusives, sont à envisager :
- Le ciblage des clients assurés MRH propriétaires de leur logement et non équipés en assurance emprunteur.
- Le recours à des scorings ou à des « look alike » sur la base des clients actuellement équipes assurance emprunteur dans le portefeuille.
- L’achat de données externes à croiser avec les données de portefeuille.
- Le ciblage de l’ensemble des 30 – 45 ans.
Les facteurs clés pour exploiter le potentiel du marché de l’assurance emprunteur
Disposer d’offres compétitives en termes de garanties et de prix reste évidemment clé mais ce n’est pas l’enjeu principal pour les assureurs. Leurs offres sont actuellement plus compétitives que les contrats groupe des bancassureurs et l’UFC que choisir estime par exemple l’économie possible jusqu’à 15 000 euros en changeant d’assurance.
Pour saisir l’opportunité qui leur est offerte, les assureurs devront maitriser 4 facteurs clés de succès principaux :
- Solliciter proactivement leur portefeuille : 68% des détenteurs de crédit immobilier n’ont jamais été sollicités pour changer d’assurance emprunteur alors que 50% seraient prêts à changer pour une économie de 20€ par mois ou moins.
- Déployer des outils clients & conseillers interactifs, en particulier pour simuler immédiatement les économies réalisables par le client et les mettre en regard du coût de leurs assurances actuelles (l’économie sur l’assurance emprunteur représente en général le coût d’une MRH sur des décennies par exemple) : 65% des détenteurs de crédit pensent que leur assurance emprunteur présente déjà le meilleur rapport qualité/prix.
- Construire un discours pédagogique : 38% des détenteurs de crédit immobilier pensent qu’une assurance emprunteur moins chère est forcément moins couvrante.
- Accompagner le client et simplifier au maximum les parcours clients : 65% des détenteurs de crédit immobilier pensent que changer d’assurance emprunteur est compliqué.
Un article rédigé par Sébastien Mahieux-Bibé et Gaëtan Eon Duval