Autoroutes : le péage en flux libre, vraie solution ou irritant pour les clients ?

D’ici fin 2024, l’autoroute de Paris Normandie (A13-A14) deviendra le premier axe complet de France à basculer sur le péage en flux libre, ou « free flow » en anglais. Ce dispositif, sans barrières ni gares de péage, permettra aux automobilistes de circuler sans avoir à s’arrêter ou à ralentir durant leur trajet pour régler le péage.  

Déployé en Amérique du Nord et en Europe centrale (Autriche, Hongrie, Slovaquie, Slovénie, Bulgarie, Roumanie et République Tchèque), le péage en flux libre n’est qu’à ses prémices en France.  Aujourd’hui, la France compte seulement une autoroute à flux libre : l’A79, transformée par APRR en autoroute sur les 80km séparant Montmarault (Allier) et Digoin (Saône-et-Loire) et ouverte en novembre 2022.

Ce nouveau dispositif de péage permettra notamment de fluidifier la circulation en supprimant les arrêts au péage. Cependant, la suppression des gares et barrières de péage implique également une évolution des modes de paiement disponibles. Alors, quels sont les impacts du flux libre sur l’expérience client des automobilistes ? Le flux libre risque-t-il de se transformer en parcours du combattant pour certains clients ?  

Comment fonctionne le péage en flux libre ?

Contrairement aux autoroutes traditionnelles, les autoroutes à flux libre ne disposent pas de gares et/ou de barrières de péage. Les gares et barrières de péage sont supprimées, au profit de portiques qui enjambent la chaussée pour couvrir toutes les voies (cf. photos ci-dessous).

Source : Dossier de presse SANEF « Autoroute en flux libre Paris-Normandie » (décembre 2021)

Ces portiques sont dotés de caméras qui flashent les plaques d’immatriculation des véhicules et de capteurs qui détectent les badges de télépéage au passage des véhicules.  Ils permettent ainsi d’identifier le type de véhicule (moto, voiture, poids lourd…), ce qui est essentiel, car les tarifs péage associés ne sont pas les mêmes. Les données collectées sont ensuite traitées et analysées par le concessionnaire autoroutier pour percevoir les redevances.

Le principal impact du déploiement du flux libre concerne donc le paiement (cf. schéma ci-dessous) :

Avec le péage traditionnel, les clients paient immédiatement durant leur trajet, au niveau des gares de péage, via 3 modes de paiement possibles : télépéage, carte bancaire et espèces. Avec le péage en flux libre :

• Si le client est abonné au télépéage ou a enregistré sa plaque d’immatriculation en ligne, il pourra être débité automatiquement.
• Sinon, le paiement sera effectué a posteriori. L’automobiliste bénéficiera d’un délai pour régulariser son paiement : en ligne, par téléphone, ou dans un point de paiement physique (ex : borne de paiement, commerçant partenaire, station-service). Cette dernière option est la seule lui permettant de régler en espèces.
• Si ce délai est passé, le client recevra une relance par courrier postal. À défaut de paiement, il recevra un avis de paiement avec majoration ou une contravention, selon l’opérateur autoroutier. Enfin, si le client ne paie toujours pas, une procédure de recouvrement sera ouverte.  

Quels sont les bénéfices client du péage en flux libre ?

Le passage au flux libre permet d’améliorer l’expérience client sur l’autoroute, sur 3 principaux aspects :

• Une circulation plus fluide, et donc un gain de temps.
• Un risque d’accidents moins élevé. La fin des arrêts et ralentissements aux abords des péages permet de maintenir une continuité de vitesse et donc de réduire le risque de collisions. 
• Des trajets plus respectueux de l’environnement. La réduction de la phase d’accélération après le péage et et des embouteillages aux abords des péages permet de diminuer les émissions de CO2.

Mais quels irritants clients, le péage en flux libre, risque-t-il également d’induire ?

Le péage en flux libre risque de générer de nouveaux irritants dans l’expérience client :

• Un paiement invisibilisé. Dans l’imaginaire du client, les gares et barrières de péage sont associées à l’étape du paiement. En les supprimant, les clients occasionnels risquent d’être déroutés par l’absence de péages physiques et de ne pas se rendre compte qu’ils empruntent une autoroute.
• Un processus de paiement différé pour les automobilistes non abonnés au télépéage ou n’ayant pas enregistré leur plaque d’immatriculation en ligne (site web ou application mobile). Cela concernera donc particulièrement les clients occasionnels (ex : touristes français ou étrangers), mais également ceux en situation d’illectronisme (selon l’Insee, 17% de la population française est en situation d’illectronisme en 2022).

Certes, le parcours de paiement sera plus fluide pour les usagers ayant souscrit un mode de paiement digital mais selon les chiffres du gouvernement au 1^er janvier 2021, seuls 11,5M de véhicules sont abonnés au télépéage sur les 38M en circulation.

Pour les autres clients, le paiement risque d’être vécu comme une étape plus ardue :

• Pour ces clients, le paiement devra nécessairement être réalisé en différé. Cela signifie qu’ils devront « faire l’effort » de penser à payer le péage, après avoir emprunté l’autoroute ; alors qu’ils sont habitués à payer directement durant leur trajet.
• Les clients souhaitant régler en espèces devront se rendre à un point de paiement physique partenaire de l’opérateur autoroutier (borne de paiement, commerçant partenaire, station-essence…) sur une aire d’autoroute ou après leur trajet.
• Réserves concernant le RGPD. Certains clients désapprouvent la captation d’images et la collecte de données personnelles, l’usage qui en est fait et leur durée de conservation.  

Ainsi, quels facteurs clés de succès pour les opérateurs autoroutiers qui se lancent sur le péage en flux libre ?

Nous portons 5 convictions pour une mise en œuvre réussie du péage en flux libre.

1. Expliquer et faire de la pédagogie auprès des clients sur ce nouveau dispositif de péage (son fonctionnement, ses avantages pour le client, son impact en matière de paiement), afin d’éviter les incompréhensions et d’améliorer l’adhésion. Cette conduite du changement auprès du client nécessitera notamment le déploiement d’une signalétique claire et visible ainsi que la définition d’une stratégie de communication permettant de toucher tous les profils clients, à déployer avant même la mise en œuvre effective du flux libre.  
   
   
2. Développer la connaissance clients pour adapter l’accompagnement et la communication aux différents profils identifiés. La clientèle autoroutière est très hétérogène, pouvant être segmentée par exemple selon : la fréquentation de l’autoroute (occasionnel ou régulier), le motif du trajet (domicile-travail, déplacement professionnel, week-end, vacances, courses, loisirs), le lieu de provenance/lieu de destination, le type de véhicule (véhicule léger ou poids lourd, véhicule personnel ou loué), l’appétence pour le digital. Ces derniers devront accorder une attention particulière aux clients occasionnels (ex : touristes français, touriste étrangers), qui risquent de ne pas connaître le péage en flux libre, et ceux éloignés du numérique, qui rencontreront des difficultés avec les modes de paiement digitaux.
   
   
3. Encourager les clients à opter pour les solutions de paiement digital (télépéage ou enregistrement en ligne de la plaque d’immatriculation), via la communication et des mesures incitatives (tarifs réduits, dispositifs de parrainage…). En effet, contrairement au péage traditionnel, le péage en flux libre propose le paiement en différé, ce qui représente un risque fort en matière d’impayés. Les opérateurs ont pu négocier l’accès à la base de données répertoriant les cartes grises dans l’Union européenne, mais le processus de collecte du paiement en différé pourrait vite s’avérer chronophage et coûteux (envoi d’une relance par courrier postal, recours à une société de recouvrement…).
   
   
4. Dimensionner et former le service client pour répondre aux demandes qui seront plus nombreuses : abonnement au télépéage, paiement par téléphone, réclamations client…
   
   
5. Être transparent et faire preuve de pédagogie sur l’utilisation des données collectées par les capteurs/caméras qui visent à détecter le passage des véhicules.

Conclusion

En transformant sensiblement l’expérience client, notamment sur le paiement, le déploiement du flux libre représente un réel challenge pour les premiers opérateurs autoroutiers qui se lancent sur ce nouveau système de péage.

Il sera intéressant de suivre de près la mise en service des projets à grande échelle de péage en flux libre (A79 et A13-A14), pour analyser l’adhésion des automobilistes français à ce nouveau dispositif. Le succès de ces projets permettra de donner une première tendance quant au développement du flux libre dans les prochaines années en France.

Un article rédigé par Laura Pan et Charlène Delcourt.