13/06/23

La fin du phénomène « quick commerce » en France ?

Le quick commerce, ou la promesse de livraison de courses ultra-rapide, en quelques dizaines de minutes. Depuis notre article de décryptage qui posait la question d’une vraie tendance ou d’une simple mode passagère, le marché a connu de nombreuses perturbations. Qu’en est-il aujourd’hui ? Retour sur cette incroyable incursion du quick commerce en France ces deux dernières années.

Sur fond de crise sanitaire, le quick-commerce démarre en France et à Paris en 2021 ; 11 acteurs se lancent alors sur ce créneau ; des Français comme Cajoo par exemple, ainsi que de grands leaders européens ou mondiaux comme Gopuff ou Getir. L’année 2021 est alors marquée par les extraordinaires levées de fonds qui se chiffrent en centaines de millions, voire en milliards ; nous avions comptabilisé pas moins de 7 Mds€ levés en 18 mois dans notre dernière analyse, ces acteurs se partageant un chiffre d’affaires de 122M€ d’après IRI en 2021.

Malgré une croissance de plus de 100% en 2022 (chiffre d’affaires estimé entre 250 et 350M€), ces 18 derniers mois ont vu le marché marquer sérieusement le pas. Faillites, suppression de postes, fermetures de dark stores, valorisations en chute libre, pertes colossales… et en conclusion, seulement 2 acteurs encore présents, dans des situations particulièrement fragiles :

  • Le turc Getir, ayant absorbé Gorillas et Frichti au passage, et en redressement judiciaire depuis fin avril, a annoncé vouloir se recentrer sur l’Île de France, en supprimant 900 postes soit la moitié de ses effectifs !
  • L’allemand Flink, qui avait racheté Cajoo il y a un an, a annoncé vouloir quitter le marché français et s’est placé en redressement judiciaire début juin 2023, laissant donc le monopole à Getir…

Comment expliquer un retournement aussi brutal et les difficultés de ces acteurs à poursuivre leurs activités malgré la croissance de leur marché ?

Raison n°1 – La fin de l’argent gratuit…

Dans notre article de l’année dernière, nous évoquions le cash comme premier facteur clé de succès. Mais dans un contexte économique qui se tend, les levées de fond sont plus compliquées, sur des valorisations plus faibles, et les investisseurs attendent des startups des rentabilités à plus court terme. Or le « cash burn » des acteurs du quick commerce a été phénoménal dans l’environnement ultra-concurrentiel qui s’est créé.

À titre d’exemple, selon LSA, le groupe Getir-Gorillas-Frichti aurait enregistré 190M€ de pertes en 2022 pour environ 125M€ de CA. Ces résultats sont dus à des investissements massifs pour ouvrir des dark stores et couvrir un maximum de territoire, et également pour faire de l’acquisition client à coup de grosses promotions – d’après YipitData, plus de 80% des commandes Getir du printemps 2022 bénéficiaient d’un discount !

Raison n°2 – Un contexte d’inflation qui place le prix au centre des arbitrages…

Les 12 derniers mois ont vu l’inflation alimentaire grimper au-delà des 15%, poussant les Français à des arbitrages sur leur consommation. Ainsi, les quick-commerçants n’ayant plus les moyens de faire des discounts à toutes les commandes (cf. raison n°1), le prix d’un panier sur Getir ou Flink est forcément plus important que dans un supermarché classique. Même si l’indice prix n’est pas forcément beaucoup plus cher que chez Monoprix ou Franprix, les frais de livraison se rajoutent à la note !

Raison n°3 – Et des pouvoirs publics qui s’attaquent au sujet…

Pour compliquer la tâche aux acteurs du quick-commerce, les pouvoirs publics ont été particulièrement actifs sur la régulation de ce marché. À commencer par un arrêté ministériel classant les fameux « dark stores » dans la catégorie des entrepôts et non des commerces, permettant ainsi aux mairies d’en demander la fermeture s’ils occupent d’anciens locaux commerciaux ; ce que s’est empressée de faire la mairie de Paris pour 25 d’entre eux en avril 2023.

De plus, l’Assemblée Nationale a publié en mai 2023 un rapport d’information, auquel VERTONE a modestement contribué, dont la création a été motivée par un « souci d’appréhender les phénomènes disruptifs que peuvent produire les nouvelles technologies, autant que la crainte renouvelée de voir des vitres opacifiées et des murs opaques remplacer en nombre les devantures des magasins ».

Ce rapport, parmi ses 24 propositions, préconise par exemple la création d’un observatoire pour suivre les évolutions de ce marché, l’encadrement de l’information aux consommateurs, l’interdiction du mot gratuit notamment pour les livraisons, ou encore plusieurs propositions sur les droits des salariés.

Et demain ?

La suite est aujourd’hui dans les mains de Getir ; sa situation de monopole en Île-de-France reste fragile au vu de sa situation économique compliquée et de la détermination de la mairie de Paris à ne pas laisser se développer de petits entrepôts dans toute la ville. Getir entame alors sa mue pour que ses points de livraison deviennent de vrais points de vente et commerces de proximité, acteurs de flux dans les quartiers parisiens.

Un échec de Getir laisserait la voie définitivement libre à Deliveroo et Uber Eats, déjà très actifs sur la livraison de courses, le dernier ayant récemment intégré le programme de fidélité de Carrefour et Franprix directement dans son application. Autre acteur prometteur, qui complexifie encore l’équation de Getir : Picnic ; arrivé récemment en Île-de-France, ce concept de livraison en mode « tournée » (créneaux imposés) peut se targuer d’avoir pris 20% de part de marché dans les Hauts-de-France en seulement 2 ans, avec une offre estimée 20% moins cher qu’un quick-commerçant, et en proposant une certaine largeur d’offre (visant 10.000 références, dont des produits MDD à marque U qui représentent déjà 20% du CA).

Rendez-vous donc d’ici quelques mois pour le dénouement…

Sources :

https://mind-retail.com/fr/quick-commerce-represente-23-des-ventes-du-circuit-de-proximite/
https://www.bfmtv.com/economie/quick-commerce-le-business-de-la-flemme-a-t-il-encore-un-avenir_AN-202210120227.html
https://www.lsa-conso.fr/getir-gorillas-et-frichti-veulent-se-recentrer-sur-l-ile-de-france,438306
https://www.lsa-conso.fr/flink-veut-quitter-la-france-et-se-place-en-redressement-judiciaire,438741
https://www.journaldunet.com/ebusiness/commerce/1513933-quick-commerce-l-abus-de-promo-est-dangereux-pour-la-rentabilite/
https://www.lsa-conso.fr/coup-de-grace-pour-les-dark-stores,434384
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-eco/l16b1182_rapport-information
https://www.lsa-conso.fr/tous-les-chiffres-de-l-e-commerce-alimentaire-qui-marque-le-pas-debut-2023,438066
https://www.olivierdauvers.fr/2023/03/08/livraison-a-domicile-qui-est-le-moins-cher/

Un article rédigé par

Charlélie Bensoussan, Partner