Les espaces de coworking en France : un brillant avenir ?
Le coworking peut être défini comme une sorte de colocation entre travailleurs, partageant des open spaces et des salles de réunion, le tout dans un espace convivial et propice à la créativité. En plein essor, le marché du coworking ne touche plus seulement son cœur de cible historique, mais se diversifie de plus en plus et s’étend à de nouveaux types d’entreprises. Qui sont les leaders en France ? Quelle est la recette du succès des coworking spaces ?
Un marché du coworking français en plein essor
Le marché du coworking français connait une croissance exponentielle : selon une récente étude du cabinet de conseil en immobilier Knight Frank, le nombre de personnes travaillant dans des espaces de coworking est passé de 21 000 en 2010 à près de 1,7 millions aujourd’hui. En deux ans, les espaces de coworking ont bondi de 80% en France.
Le coworking commence à s’affirmer face aux bureaux traditionnels : depuis le début de l’année, les entreprises de coworking ont représenté environ un tiers des prises à bail de surfaces supérieures à 5000 m² dans le centre de Paris.
Ce succès s’explique avant tout par un changement dans la clientèle des espaces de coworking. Alors qu’auparavant ceux-ci ciblaient prioritairement les start-ups et freelances, ils attirent désormais des entreprises de toutes tailles et catégories.
Des travailleurs indépendants aux salariés des entreprises
Les start-ups et travailleurs indépendants : la cible historique du coworking
Les premiers espaces de coworking – que ce soit l’espace pionner de Brad Neuberg qui a ouvert ses portes à San Francisco en 2005, ou bien la Cantine à Paris en 2008 – avaient tous un point en commun : ils étaient avant tout des lieux de rencontre entre entrepreneurs et indépendants.
Les avantages du coworking pour ces deux cibles sont nombreux. Il permet aux freelances de rompre avec le sentiment de solitude liée à leur statut et d’élargir leur tissu professionnel. Quant aux start-ups, les espaces de coworking leur permettent de fréquenter des personnes provenant d’autres milieux, afin de se confronter à de nouvelles problématiques voire développer leur business via des compétences qu’elles n’ont pas encore.
Un certain nombre de « pure players » du coworking se positionnent sur ces deux cibles.
On peut penser à La Cordée, avec ses 13 espaces en France et multitude de services destinés aux travailleurs indépendants et entrepreneurs (domiciliation, annuaire répertoriant les coordonnées et compétences de chaque membre pour faciliter l’entraide). On trouve également des acteurs qui jouent la carte haut-de-gamme avec des espaces particulièrement soignés, tels que The Bureau ou Kwerk.
Le leader mondial du coworking WeWork, dont la valorisation boursière valait à un moment 47 milliards de dollars lors de la récente tentative d’introduction en bourse, fait partie de cette catégorie des « pure players » du coworking. Néanmoins, cette entreprise se distingue des exemples précédents par sa taille, mais également par ses cibles…
Les grandes entreprises et leurs salariés : bientôt les principaux clients des espaces de coworking ?
Depuis plusieurs années, les grands
groupes s’intéressent aux espaces de coworking, pour leurs équipes projet «
excubées », leurs start-ups internes et leurs salariés en télétravail.
Le télétravail concerne aujourd’hui environ 25% des employés français.
Cependant, certains ne peuvent pas travailler chez eux, faute de conditions
adéquates, comme une connexion internet de bonne qualité. D’autres ont
besoin de « voir du monde » pour ne pas se sentir seuls. Pour tous
ceux-là, une solution est de se rendre dans un espace de coworking proche de
chez eux. Ce dispositif a été adopté par plusieurs entreprises, telles qu’EDF,
qui a mis en place un réseau d’espaces de travail internes dans environ 2 000
de ses sites.
Le coworking est également adapté pour les salariés nomades comme les consultants et les commerciaux, afin de limiter les allers-retours entre les locaux de leurs clients et le siège de leur entreprise. Generali par exemple propose des bureaux partagés à ses salariés qui souhaitent limiter leurs déplacements. Cette initiative a permis à l’assureur de rendre une partie de son siège social à son propriétaire, et ainsi d’économiser 20% de son loyer. De même, McKinsey offre à ses consultants américains des abonnements dans les espaces WeWork. Enfin, le Conseil Régional d’Ile-de-France, qui s’est installé à Saint-Ouen en 2017, propose à a ses agents de travailler dans des espaces de travail partagés plusieurs fois par semaine.
Certaines entreprises de coworking se sont positionnées sur la cible des salariés en télétravail et en déplacement. Le spécialiste des espaces de travail Regus a lancé la marque Stop & Work, avec 7 espaces situés en Petite et Grande Couronnes d’Ile-de-France, donc proches des lieux de domicile de leurs clients. La Poste a également ouvert un espace dans un ancien bureau à Enghien-les-Bains, dans le département du Val d’Oise, sous la marque Nomade. Ces deux acteurs ont un autre point en commun : l’ouverture d’espaces de coworking leur permet d’optimiser des actifs immobiliers sous-utilisés.
Les leaders du marché en France ont réussi à tirer leur épingle du jeu en créant des espaces « hybrides » pouvant satisfaire chaque cible : des open spaces économiques pour les travailleurs indépendants, des bureaux fermés pouvant accueillir des start-ups et des équipes projet de grands groupes, des salles de réunions pour des commerciaux souhaitant accueillir des clients…
De grandes superficies – au moins 5 000 m² dans la plupart des cas – sont un prérequis pour proposer une telle diversité d’offres. C’est pour cela que l’on retrouve dans cette catégorie des acteurs tels que Wojo (ex-Nextdoor), la branche coworking de Bouygues Immobilier et AccorHotels, ou l’américain WeWork, qui accueille la « Digital Factory » de Thales dans son espace du 9e arrondissement de Paris.
Certaines foncières se lancent également dans l’aventure : Covivio, ex-Foncière des Régions, souhaite déployer 70 000 m² d’espace flexibles et de coworking à l’horizon 2022, sous sa marque Wellio. Ces espaces s’adressent aussi bien aux grands groupes qu’aux start-ups, entrepreneurs et indépendants.
Après 11 ans d’existence en France, 3 leçons à tirer
Les leaders du coworking ont une proposition de valeur distincte
Pour le moment, de nombreuses entreprises de coworking cohabitent car elles ne sont pas sur le même créneau. The Bureau propose des espaces haut-de-gamme, La Cordée donne accès à une communauté de coworkers inégalée, WeWork vend des abonnements pour des bureaux partout dans le monde…
La localisation d’un espace est primordiale
Les espaces situés dans des quartiers d’affaires et des lieux de passage affichent généralement de bons taux de remplissage. La Poste a ouvert en 2018 plusieurs bureaux fermés dans les aéroports d’Orly et de Roissy, et qui ont trouvé leur public rapidement : des travailleurs nomades souhaitant s’isoler une ou plusieurs heures avant un vol. L’opérateur Multiburo a ouvert en novembre 2018 un espace de coworking au cœur de la gare Saint-Lazare, et Regus dans la gare Saint-Jean de Bordeaux.
Certains acteurs ont décidé de s’implanter dans des zones moins centrales, plus proches des transports publics et des quartiers d’occupation. C’est le cas de Nexity, qui a lancé son offre Blue Office en périphérie de Paris. Malgré une occupation à 70%, l’entreprise n’a pas trouvé son modèle économique et a été contrainte de fermer un certain nombre d’espaces.
Une clé de la réussite est le tissage de partenariats stratégiques
À la suite de son échec avec Blue Office, Nexity a su se relancer sur le marché du coworking.
En janvier 2019, Nexity a pris une participation de 54% au capital de Morning Coworking, un des leaders du marché français. Les deux acteurs souhaitent accélérer le déploiement d’espaces Morning Coworking, et passer de 5 200 clients à 25 000 d’ici 2022.
Afin de créer un géant européen du coworking et concurrencer WeWork, Bouygues Immobilier s’est allié à AccordHotels à l’été 2017. Les deux entreprises détiennent chacune 50% du capital de Wojo, avec pour objectif d’ouvrir 80 espaces de coworking d’ici 2022 à travers l’Europe.
Un modèle pérenne ?
Cependant, on peut s’interroger sur la pérennité du modèle. En cause, le fiasco total de l’introduction en bourse de WeWork, pourtant l’un des pionniers du genre. Initialement prévue pour septembre 2019, l’IPO a été reportée à 2020 à la suite des découvertes sur les montages financiers opaques réalisés par le dirigeant de WeWork, Adam Neumann. La valorisation boursière de l’entreprise est alors passée de 47 milliards à 10 milliards de dollars. Ce qui devait alors être l’une des plus grosses entrées en bourse de Wall Street de 2019, n’est finalement que la révélation d’un business model trompeur. Pourtant, à la lumière de cette histoire, on ne peut s’empêcher de penser que le problème ne réside pas exclusivement dans les espaces de coworking en eux-mêmes, mais en partie dans les abus du patron de WeWork.
Avec le développement du télétravail, des employés de plus en plus nomades et l’adoption de ce mode de travail par des entreprises toujours plus nombreuses, le coworking a encore de beaux jours devant lui, malgré un modèle économique encore incertain.
Article rédigé par Henri DOUSSET