Certificats d’économie d’énergie : un contexte tendu au cœur d’une période de crise
[NDLR : article modifié le 04/01/2021]
L’analyse des résultats enregistrés sur la 4ème période montre que le début de période s’est caractérisé par une difficulté à atteindre les objectifs annuels pour les Certificats d’Economie d’Energie (CEE). Le niveau de production a augmenté à partir de mars 2019, porté notamment par le coup de pouce isolation en résidentiel et au prix d’un effort important des obligés pour répondre aux exigences de contrôle par un tiers de ces travaux. Un an plus tard, la crise sanitaire a présenté un risque de taille avec 80% des entreprises de travaux à l’arrêt pendant le premier confinement. Fort heureusement l’activité a repris progressivement pour retrouver dès juin un niveau se rapprochant de celui de février 2020, grâce au report des travaux et à l’engouement des ménages pour l’amélioration de leur logement (1 Français sur 10 déclare que le confinement a été déclencheur d’un projet de travaux d’aménagement envisagé dans l’année, selon une étude du ministère de la transition écologique datée de septembre 2020). On estime néanmoins que 40 TWhc de CEE ont été perdus pendant ce premier confinement, soit 1% à 2% des objectifs fixés, ce qui pourrait venir s’amplifier avec la deuxième vague.
Le plan « France Relance » : booster des travaux de rénovation énergetique
Face à cette crise sans précédent, les autorités ont su prendre rapidement des mesures pour encourager les travaux de rénovation énergétique par la définition d’un protocole sanitaire permettant la reprise de l’activité et la poursuite de la dynamique des coups de pouce. Le 25 mars, les pouvoirs publics décrétaient le prolongement les bonifications Coups de Pouce à 2021. En octobre ils lançaient de nouvelles bonifications Coup de Pouce Rénovation Globale pour les maisons individuelles et les copropriétés. Pour détendre les contraintes opérationnelles, le 17 mars, la DGEC passait le délai de dépôt de certaines demandes de CEE de 12 à 18 mois.
Cependant, c’est surtout par le plan « France Relance », annoncé le 3 septembre, que le marché de la rénovation énergétique devrait être soutenu. Ce plan de 100 Mds€, 3 à 4 fois plus massif que le plan de relance de 2008, alloue 30 Mds€ à la transition écologique, le reste étant alloué à la compétitivité économique et à la cohésion sociale et territoriale. De ce montant, 6,7Mds€ sont spécifiquement dédiés aux travaux de rénovation énergétique sur les bâtiments anciens, dans un marché estimé à 3Mds€ en 2019.
Cet investissement record parait crucial au regard des 75% de bâtiments jugés inefficaces énergétiquement et reste pourtant limité au regard des investissements nécessaires, selon le ministère de la transition écologique : le coût de rénovation des 4,8 millions de logements classés F et G (passoires thermiques) sur 10 années est estimé à 25 Mds€ par an et celui de rénovation des logements classés D et E à 40 Mds€ par an.
Emergence de gisements à potentiel sur le marché des CEE
Ce plan de relance vise les bâtiments anciens et s’ajoute à la Règlementation Environnementale 2020 qui vise à mieux encadrer les bâtiments neufs. Ainsi, de nombreuses opportunités s’offrent sur le marché des CEE sur des gisements à potentiel :
- Le tertiaire public auquel le budget dédié à la rénovation énergétique alloue 4Mds€, notamment pour les écoles et universités. A fin 2019, ce secteur ne représentait que 5% des CEE sur la 4e période alors qu’il pèse pour 17% des consommations d’énergie en France ;
- Le résidentiel, qui représente à date 68% des CEE sur la 4e période, devrait continuer de porter le marché des CEE grâce à :
- La prolongation des opérations coups de pouce,
- L’allocation de 0,5Mds€ à la rénovation lourde des logements sociaux,
- L’extension de 2Mds€ de MaPrimeRénov, complémentaire aux CEEs et élargie à tous les particuliers, aux copropriétés et aux projets de rénovation globale,
- La mise en place de plus de 400 espaces FAIRE pour conseiller les particuliers,
- l’obligation de rénovation avant cession pour les propriétaires de passoires thermiques (proposition de la Convention Citoyenne pour le Climat en juin 2020) [EDIT 04/01/2021 : Le 14 décembre 2020, en réunion avec la Convention Citoyenne pour le Climat, le Président de la République a écarté, pour le moment, l’introduction au projet de loi d’une obligation de travaux de rénovation énergétique des logements. ]
- Les TPE et PME du tourisme et de l’agriculture auxquelles le plan de relance alloue 0,2Mds€. Elles représentent moins de 4% des CEE sur la 4e période. Un crédit d’impôt de 30% aidera aussi ces entreprises pour certaines dépenses engagées pendant la 4e période ;
- Le secteur industriel qui rassemble aujourd’hui 20% des CEE, grâce aux élargissements du dispositif CEE (bâtiments de plus de 10 000m2, sites soumis aux quotas ETS pouvant cumuler la prime CO2 avec les aides CEE).
En complément de ces mesures favorables, l’impact de la crise devrait être pris en compte dans le bilan de la 4ème période venant réduire d’autant l’obligation réelle.
Quelle tendance pour la 5ème période ? Un besoin de simplification
Ces perspectives encourageantes n’effacent pas l’ensemble des contraintes auxquelles doivent faire face les acteurs de la filière :
- Le contexte règlementaire complexe et instable (p.ex. multiplication des coups de pouce, élargissement des contrôles) nécessitant de s’adapter en permanence et générant des délais de traitement qui peuvent mettre en difficulté la trésorerie des délégataires,
- Les risques de fraude et de mauvaise qualité des dossiers CEE, d’autant plus à craindre que la multiplication du nombre de dossiers CEE rend la surveillance plus complexe,
- Le manque d’anticipation et de transparence que déplorent les acteurs du marché, notamment pour se préparer d’une période à l’autre,
- L’augmentation du prix d’achat des CEE sur le marché secondaire, liée à l’augmentation des obligations par période. Le prix moyen des CEE constaté sur la plateforme EMMY est de 8,29€/MWhc en septembre 2020, soit +6% depuis mars et +240% depuis 2015. L’impact du Covid sur les prix est donc relativement faible, au regard de l’évolution du prix ces 5 dernières années.
Un décret publié prochainement déterminera les objectifs et la durée de la 5e période. Dans une étude récente, l’ADEME propose 3 scénarios et évalue la médiane des gisements sur 4 ans à 2 000 TWHc. La part des obligations précarité pourrait être revue à cette occasion, même si les acteurs proposent de garder la proportion actuelle. Les acteurs soulignent les effets vertueux des bonifications, tout en étant critiques de la complexité de mise en œuvre opérationnelle de certains dispositifs. Les modalités réglementaires de la 5e période seront connues en fin d’année.
Pour s’y préparer, et pour répondre aux problématiques déjà prégnantes, les acteurs tendent à essayer de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur pour limiter l’intermédiation et à renforcer la digitalisation pour simplifier et automatiser de nombreux processus (dématérialisation, signature électronique, contrôles). Tant pour les clients finaux que pour les artisans, le digital devient un levier incontournable dans ce contexte de crise sanitaire.
Il reste très compliqué d’évaluer l’impact de la crise et des mesures de soutien sur les objectifs qui seront fixés sur la 5ème période. Les obligés pourraient commencer cette nouvelle période sans stock de CEE contrairement aux précédentes périodes, l’atteinte des obligations de la 5e période sera alors un défi d’autant plus grand à relever.
Un article rédigé par Johanna Kuperminc et Raphaëlle Brunois