03/05/21

L’économie de la fonctionnalité : quand l’usage se substitue à la propriété

Parmi les piliers de l’économie circulaire, un nouveau modèle économique émerge et suscite l’intérêt des retailers et industriels : l’économie de la fonctionnalité. Il propose de remplacer la notion de « propriété d’un bien » par celle de « l’usage d’un bien ». Ce modèle prometteur d’un point de vue environnemental exige néanmoins un changement de mentalité important de la part des entreprises et des clients. Quelles initiatives ont déjà été menées ? Quelles questions les entreprises doivent-elles se poser avant de se lancer ? VERTONE vous guide à travers le monde de l’économie de la fonctionnalité.

Qu’est-ce que l’économie de la fonctionnalité ? 

Le modèle économique de l’économie de la fonctionnalité remplace  le principe de « vente d’un bien » par celle de « la vente de l’usage d’un bien ». Concrètement du point de vue du client, ce dernier achète une solution globale répondant à un besoin (ex. se déplacer, s’habiller, se divertir) sans avoir la propriété matérielle du bien associé (la voiture, le vêtement, la télévision). Ainsi, l’échange économique ne repose plus sur le transfert de propriété de biens – qui restent la propriété de l’entreprise – mais sur le consentement des clients à payer une valeur d’usage.

La différence entre l’économie de la fonctionnalité et un service de location classique réside dans la volonté de répondre à des enjeux de développement durable. Prenons un exemple dans le transport : les sociétés de location de véhicules classiques vendent un service pratique (location d’une voiture à l’aéroport, d’un véhicule de déménagement dont on a besoin seulement quelques heures). Le service Free2Move de PSA, inspiré de l’économie de la fonctionnalité, propose à l’inverse une alternative à la possession d’un véhicule : il permet à ses clients d’accéder à une flotte de véhicules en libre-service, pour se déplacer de manière simple et flexible au quotidien. Les clients peuvent notamment :

  • Louer une voiture pendant quelques minutes, heures, ou à la journée en fonction de leur besoin
  • Utiliser différents modèles de voitures disponibles au choix (ce qui peut leur permettre, par exemple, de conduire une petite citadine à basse consommation pour leurs trajets du quotidien, et un break pour de plus grandes excursions)
  • Se garer gratuitement, même sur des stationnements payants
  • Accéder et rendre le véhicule en quelques clics : les clés sont dans la boîte à gants, et le verrouillage se fait sur l’application

Dans cette activité Free2Move, PSA ne vend plus de voitures, mais du « temps de déplacement ». L’entreprise a donc tout intérêt à maximiser la durée de vie des véhicules pour rentabiliser la production, en optant pour une construction durable et en optimisant l’entretien des véhicules au fil de l’eau.

Un modèle, déjà fortement présent en B2B, qui se développe en B2C

L’économie de la fonctionnalité est déjà bien présente dans certains secteurs B2B. Parmi les exemples de référence, Michelin ne commercialise plus de pneus à ses clients B2B mais des kilomètres parcourus. Michelin reste propriétaire des pneus, en assure l’entretien régulier par des professionnels (ex. recreusage des pneus pour une meilleure adhérence et durabilité), les remplace en fin de vie sans surcoût, et fournit des conseils d’éco-conduite aux clients pour garantir des économies de carburant.

On peut également citer Xerox, qui vend des photocopies aux entreprises plutôt que des photocopieuses, dont il reste propriétaire et assure l’entretien. Quant à Clarlight, il commercialise de la lumière plutôt que des équipements luminaires : il réalise un diagnostic sur le confort lumineux optimal pour le client (par exemple dans un supermarché) et optimise l’installation lumineuse avec des économies d’énergie pouvant aller jusqu’à 50%.

Enfin, dernier exemple en date, dans le B2C cette fois-ci : Decathlon expérimente depuis fin 2020 le concept de l’économie de la fonctionnalité avec son projet-test « We are circular », qui permet à 500 clients d’accéder à un catalogue de 40 000 produits en location, via un abonnement de 5€ par mois.

Quels sont les avantages de l’économie de la fonctionnalité ?

L’avantage premier de l’économie de la fonctionnalité est sur le plan environnemental : puisque l’entreprise conserve la propriété du bien, elle reprend le contrôle de son cycle de vie. Elle va donc pouvoir :

  • Favoriser l’éco-conception,
  • Allonger la durabilité des produits (via l’entretien, la réparation…),
  • Optimiser l’éventuelle consommation de ressources liée à ce produit (ex. conseils fournis aux clients pour diminuer la consommation d’énergie ou de carburant),
  • Contrôler le recyclage en fin de vie. Dans certains cas, ce modèle permet également la mutualisation des ressources, (exemple Free2Move)

Sur le plan social, l’économie de la fonctionnalité permet à tous  d’accéder à des biens ou services sans investir dans du matériel onéreux. La tarification variera en fonction de l’usage.

Enfin, sur le plan économique, ce modèle présente deux avantages non négligeables :

  • Au niveau de la performance de l’entreprise, il fidélise les clients dans la durée par une logique d’abonnement.
  • Au niveau national, il est mis en lumière pour sa création d’emplois locaux, pérennes et non délocalisables ; notamment pour la maintenance et les services.

Un changement de mentalité nécessaire

L’économie de la fonctionnalité nécessite une remise en question de nos schémas de pensée habituels, tant du point de vue de l’entreprise que du client. Il ne s’agit pas de vendre un produit, mais de réfléchir aux besoins du client au sens large et de lui apporter de valeur, dans une logique de solution globale.

Dans le cas de l’usage fréquent d’un bien, l’entreprise doit penser à la valeur qu’elle peut apporter à son client, au-delà de la simple fourniture du bien, aux services et aux bénéfices qu’elle peut inclure dans sa solution pour offrir une expérience riche et fluide à l’utilisateur, etc. Cela pourra concerner des services que le client a l’habitude d’acheter auprès d’autres acteurs (ex. entretien du produit), ou une vraie valeur ajoutée dont il ne bénéficie pas aujourd’hui.

Dans le cas de l’usage occasionnel d’un bien, elle doit considérer l’expérience qu’elle souhaite offrir au client dans la flexibilité de son usage, ses bénéfices à ne pas posséder le bien, et rendre l’expérience de location la plus fluide possible par rapport à la propriété.

Des questions préalables et des expérimentations à réaliser dans l’entreprise

Trois sujets majeurs doivent être adressés et testés avant le lancement à grande échelle de ce nouveau modèle dans l’entreprise :

#1 – L’équation économique : volume vs valeur

Par nature, l’économie de la fonctionnalité vient bouleverser l’équation économique traditionnelle de l’entreprise. Il n’est plus question de vendre le plus de produits ou de services possibles, dans une logique pure de volume, mais de valoriser une solution immatérielle répondant au mieux aux besoins du client.

Les questions à se poser :

  • Quel volume d’acquisition de nouveaux clients grâce à cette nouvelle offre ?
  • A l’inverse, quel volume de cannibalisation des clients actuels, qui vont cesser d’acheter les produits et basculer sur ce nouveau modèle ?
  • Quelle valorisation de mes services immatériels ?
  • Quelle diminution des coûts via un meilleur contrôle des ressources et de la durabilité des produits ?

#2 – Les besoins en fonds de roulement

L’entreprise a besoin de fonds de roulement robustes pour investir dans la fabrication de produits qui seront rentabilisés à plus long terme. Certaines entreprises, comme Decathlon dans son expérimentation « We are circular », ont choisi d’introduire une logique de dégressivité dans le prix de la location, pour amortir plus rapidement les investissements. Il est toutefois primordial de tester ce modèle sur un périmètre réduit pour en étudier les impacts financiers concrets et s’assurer qu’il sera viable à grande échelle.

#3 – L’appétence client et le pricing

La barrière psychologique à passer pour le client, pour évoluer de la propriété à l’usage, n’est pas évidente pour toutes les typologies de produits. Dans certains secteurs, comme le textile, le client a un attachement émotionnel à son produit et ne souhaite pas forcément le partager avec d’autres. Plusieurs acteurs se sont pourtant positionnés sur ce marché : par exemple, Le Closet propose un abonnement de 39€ / mois pour louer des vêtements du quotidien.

Pour que le modèle fonctionne, le bénéfice de l’usage par rapport à celui de la propriété devra être immédiatement tangible pour le client, avec un tarif attractif qui ne sera pas rédhibitoire par rapport au prix de l’achat d’un produit neuf ou d’occasion. Là encore, seule une expérimentation à petite échelle permettra de valider le modèle et l’appétence client.

En résumé, l’économie de la fonctionnalité présente de nombreux avantages, notamment sur le plan environnemental en optimisant l’utilisation des ressources naturelles et en redonnant le contrôle à l’entreprise sur le cycle de vie de ses produits. L’équation économique reste le point majeur à tester et ajuster : déjà validée dans plusieurs secteurs du B2B, seuls quelques acteurs du B2C l’ont déjà expérimenté. A quand des initiatives de grandes ampleurs en B2C ?

Un article rédigé par Florence Hirondel