27/05/21

SNCF – Ouverture du marché ferroviaire : quels impacts sur l’expérience des voyageurs ?

L’ouverture du marché ferroviaire français du transport de passagers va permettre à de nouveaux acteurs de proposer des trains sur des lignes jusqu’ici exploitées par le Groupe SNCF. En effet, après la libéralisation des lignes internationales et du transport de marchandises dans les années 2000, c’est au tour des lignes nationales de s’ouvrir à la concurrence sur 3 segments : Lignes à Grande Vitesse (LGV), Trains d’Equilibre des Territoires (TET) aujourd’hui appelés « Intercités » chez SNCF, et Transport Express Régional (TER).

Après notre décryptage des acteurs ouvrant leur marché et ceux qui s’y positionnent (ici), VERTONE vous propose dans ce nouvel article de traiter les impacts de l’ouverture du marché ferroviaire sur l’expérience des voyageurs. Des impacts qui doivent être pris en compte tant par les acteurs historiques que par les nouveaux entrants afin de se différencier.

Impacts sur le parcours de réservation des titres de transport

Les voyageurs auront davantage de choix…

Le premier impact auquel s’attendre est celui de l’augmentation de l’offre de transport. Selon la SNCF, l’ouverture à la concurrence a entraîné chez nos voisins Européens une baisse des coûts d’exploitation au kilomètre ayant permis aux Autorités Organisatrices (AO) de déployer plus de trains régionaux en Allemagne (+20% de trains) et d’augmenter le trafic en Suède (+50%). L’arrivée de nouveaux acteurs pourrait également stimuler la diversification de l’offre, comme en Allemagne où la libéralisation du marché a favorisé le retour des trains de nuit.

Cependant, les Français craignent certains effets de bord de l’ouverture du marché, tel que l’abandon de lignes régionales insuffisamment rentables pour les acteurs privés. Pour se prémunir de ce risque, les régions peuvent attribuer des lots composés de lignes rentables et moins rentables, de façon à garantir l’équilibre de la desserte des territoires, selon Michel QUIDORT (Membre du Bureau National de la Fédération des Usagers et Président de la Fédération Européenne des Voyageurs). Et alors que certains acteurs se concentrent effectivement sur les flux massifs des grands axes (cf projet Oslo de la SNCF, visant à ouvrir au printemps 2022 deux nouvelles lignes, Paris-Lyon et Paris-Nantes, en matériel de moyenne vitesse TET), d’autres acteurs tels que Railcoop et la compagnie « Le Train », plus modestes et agiles, cherchent à combler les trous dans le maillage ferroviaire du territoire.

Dans cet environnement concurrentiel, l’offre de services deviendra un véritable levier de différenciation pour les opérateurs, afin de remporter des marchés et attirer les voyageurs. Elle pourra s’enrichir à chaque étape du voyage : services de réservation, de pré-acheminement et post-acheminement, services en gare et à bord (restauration, services connectés …).

…et seront incités à comparer et réserver auprès de distributeurs multi-transporteurs

L’enrichissement de l’offre donnera donc plus de choix aux voyageurs. Ces derniers seront ainsi davantage amenés à comparer les offres entre elles pour sélectionner celles qui correspondent le mieux à leurs besoins : tarifs, services, options, conditions d’échange, annulation, remboursement… Pour s’y retrouver, 79% des sondés de l’enquête Opinion Way (2018) expriment le souhait d’accéder à une application ou un site internet multi-transporteurs (plateforme proposant les billets des différents opérateurs) tels que Trainline, Omio, Oui.sncf…

Si ce type de service est disponible en ligne, les voyageurs s’attendront également à pouvoir comparer et réserver leurs billets sur les bornes en libre-service ou auprès des guichets accessibles dans les gares ; d’autant plus que Gares & Connexions (filiale de SNCF Réseau) est tenue d’offrir les mêmes moyens à tous les transporteurs… Or étant propriété des transporteurs, les bornes en libre-service et les guichets ne garantiront pas forcément la complétude des offres. De quoi poursuivre l’accélération de la digitalisation de la distribution.

Impacts de l’ouverture du marché ferroviaire sur la tarification des titres de transport

Des effets limités sur le prix des billets

Un certain nombre d’analystes s’accordent à dire que les prix ne baisseront pas pour les voyageurs, dans la mesure où ils sont déjà relativement bas par rapport à nos voisins Européens, les billets étant particulièrement subventionnés en France. En effet, le prix payé par un passager français ne couvre en réalité que 40% des coûts réels en moyenne. François ECALLE, ancien magistrat de la Cour des comptes, estime qu’en 2018 les subventions de l’État et des régions représentaient l’équivalent de 224€ par an et par Français.

En raison du poids des subventions, l’effet sur le prix des billets des TER et TET dépendra surtout de décisions politiques. Sur les lignes à grande vitesse (LGV), qui ne sont pas conventionnées, l’ouverture à la concurrence aurait plutôt tendance à faire baisser les prix sur les lignes rentables ; alors qu’une augmentation des prix pourrait être appliquée sur celles à plus faible rentabilité, voire déficitaires. Selon SNCF, l’ouverture à la concurrence a permis de baisser de 15 à 30% le prix des billets sur les lignes à grande vitesse en Italie, et de 13% en Suède.

Vers une simplification des gammes tarifaires

Certaines associations de consommateurs dénoncent régulièrement le manque de transparence de la politique tarifaire du Groupe SNCF : la multitude de services disponibles et de cartes de réduction, et les tarifs dynamiques rendent le système tarifaire complexe aux yeux des voyageurs. La mise en concurrence pourrait ainsi amener les transporteurs à simplifier leur politique tarifaire pour la rendre plus transparente et lisible. La compagnie « Le Train » par exemple, proposera des titres de transport avec une amplitude de prix rétrécie qui ne s’appuiera pas exclusivement sur du yield management. Concrètement, cela signifie que voyager en heure de pointe ou le week-end ne sera pas nécessairement synonyme de prix fort.

Impacts sur le parcours en gare & à bord

Combiner la signalétique et l’information voyageur pour faciliter le parcours des voyageurs

Les gares sont le lieu d’accueil des voyageurs et le point de convergence de la multimodalité. Dans les grandes gares, la multiplication des opérateurs complexifiera le parcours des voyageurs, qui devront pourtant s’orienter en autonomie. Les voyageurs s’appuieront sur la signalétique proposée par le gestionnaire d’infrastructures (Gares et connexions)et ils pourront toujours compter sur le personnel en gare pour se renseigner. Les opérateurs auront aussi un rôle à jouer pour faciliter le parcours de leurs clients : en développant l’information voyageur ils transmettront des indications précises, fiables et au bon moment, pour « flécher » l’itinéraire en gare.

L’enjeu de la bonne gestion des correspondances

Plusieurs acteurs pourront prochainement opérer sur les différentes lignes du réseau ferroviaire français, parfois sur les mêmes lignes (notamment pour les LGV). Le nombre de correspondances et leur durée sera probablement un critère de choix pour les voyageurs. Et plus que jamais, la coordination entre les différentes parties-prenantes sera un enjeu de taille, notamment pour gérer efficacement les correspondances et les situations perturbées afférentes. Par exemple, dans le cas de retards empêchant d’assurer la correspondance du client, comment l’informer ? Et quelle politique de dédommagement appliquer ? Quelle solution proposer au voyageur pour lui permettre de gagner sa destination ? A quel prix et selon quelles modalités ? Autant de questions qui concernent les voyageurs et que les acteurs du ferroviaire devront adresser collectivement.

Impacts de l’ouverture du marché ferroviaire sur le parcours en après-vente

Corollaire de la montée en puissance des distributeurs multi-transporteurs, les voyageurs s’adresseront à eux en après-vente : modification du billet, ajout d’options, échange, annulation, remboursement, dédommagement. La multitude d’opérateurs exposera les clients à des politiques commerciales différentes, que ces distributeurs devront être capables de gérer directement, ou à défaut, les distributeurs devront rediriger les clients vers le service client des opérateurs qui n’ont pas ouvert leur après-vente (ajoutant ainsi une étape supplémentaire et de la complexité dans le parcours des clients).

Des impacts à adresser au niveau national et européen

Par définition, l’ouverture du marché ferroviaire traverse les frontières ; les problématiques soulevées précédemment s’imposent en France et à l’échelle du continent. Il y a donc une opportunité d’y répondre collectivement.

En ce sens, le 29 mars 2021 a eu lieu le lancement officiel de l’European Year of Rail, organisé conjointement par la Commission européenne et la présidence portugaise du Conseil de l’Union européenne. L’objectif est d’améliorer l’image du secteur et d’attirer davantage de personnes vers le ferroviaire en le promouvant comme étant un mode de transport durable, innovant, multimodal, transfrontalier, sûr et accessible à tous. A cette occasion, des animations ferroviaires en tout genre rythmeront l’année.

Côté règlementations, le Parlement européen a finalisé la modernisation des droits des passagers ferroviaires au sein de l’UE le 29 avril 2021 ; la libéralisation du marché nécessite la mise en place de règles plus homogènes. Les nouvelles règles amélioreront la protection des voyageurs en cas de retard, d’annulation ou de correspondance manquée et répondront mieux aux besoins des personnes en situation de handicap selon Adina Vălean, Commissaire Européenne à la Mobilité et aux Transports. Ce règlement européen crée des droits minimaux que chaque législation des États membres et chaque entreprise ferroviaire peut améliorer.

En conclusion

Si globalement l’ouverture à la concurrence présente des effets positifs sur l’expérience des voyageurs, un certain nombre de challenges se présentent aux opérateurs et aux distributeurs. Ce sont autant de potentiels leviers de différentiation qui permettraient aux acteurs du secteur de fidéliser leurs clients, conquérir de nouveaux marchés et de développer collectivement la part modale du ferroviaire.

Au vu des évolutions règlementaires, du développement des droits des voyageurs pour plus de qualité de service et de la sensibilité accrue du consommateur pour le critère écologique, si les différentes parties prenantes actuelles et futures arrivent à s’accorder sur l’offre, le monde du ferroviaire a de beaux jours devant lui.

Un article rédigé par Anaïs Gauthier, Alexandro Pocchiesa, Clotilde Maynadié et Pierre-Olivier Bertrand