Covid-19 : Comment la crise devrait impacter durablement la mobilité moyenne et longue distance ?
Après plusieurs mois de confinement, l’heure est au déconfinement et à la relance économique. Une phase très progressive que les autorités publiques cherchent à accélérer, notamment en rouvrant les frontières. Mi-juin, Emmanuel Macron annonçait la réouverture des frontières françaises, d’abord avec ses voisins Européens, et dans un second temps avec les pays ou l’épidémie sera maitrisée. Des mesures qui s’inscrivent dans la dynamique impulsée par les recommandations de la Commission Européenne.
Comment cette période transformera-t-elle notre rapport à la mobilité ?
Sur la courte distance, nous donnions précédemment notre point de vue sur les nouvelles habitudes en matière de mobilité quotidienne. Nous faisions état de la révolution de la mobilité d’entreprise, mais aussi l’émergence de nouvelles habitudes de consommation et de vie qui entraînent la diminution des déplacements « du quotidien ». Ces mutations d’ordre organisationnel s’appliquent à tous les modes de transport de courte distance, et touchent aussi bien les individus, que les entreprises et opérateurs de transport.
Dans cet article, la réflexion se focalise sur les déplacements de moyenne et longue distance (plus de 100 kilomètres).
VERTONE propose ici un éclairage sur les impacts de la crise et les nouvelles habitudes acquises sur la mobilité professionnelle et de loisirs. Nous évoquerons notamment le changement de paradigme social et environnemental porté par l’accélération de la prise de conscience écologique et les effets de la crise économique inhérente à la crise sanitaire. Enfin, nous donnerons notre point de vue sur les tendances de fond qui émergent et qui pourraient devenir durables.
En bouleversant notre quotidien et nos habitudes de déplacements, la crise a provoqué un choc sur l’offre et la demande
La crise du Covid-19 a entraîné un choc inédit et brutal sur la demande en transport dans le monde. En quelques semaines, les frontières des pays ont été fermées et 3 milliards de personnes se sont retrouvées confinées et soumises à des règles très strictes de déplacement. Les salariés des entreprises ont été contraints de passer au télétravail du jour au lendemain, et tous les types de déplacements (personnels, professionnels) se sont retrouvés réduits aux motifs impérieux et exceptionnels.
Ce choc de la demande a fortement impacté l’ensemble des acteurs des mobilités et leur offre de transport. Les chiffres sont éloquents : le trafic aérien a chuté de 90% en Europe, l’offre Grande Vitesse de la SNCF a été réduite à moins de 10%, jusqu’aux acteurs de mobilité partagée qui se sont retrouvés quasiment à l’arrêt, tel que BlaBlaCar qui annonçait avoir réalisé 5% de son chiffre d’affaires habituel sur le mois d’avril. Une offre de transport qui a également été perturbée par l’exercice de droits de retrait et l’absentéisme de salariés.
Au sortir de la phase de confinement, les acteurs des transports font les comptes et confirment que les impacts financiers seront colossaux. Dans le secteur aérien, le manque à gagner des compagnies aériennes avoisinera 371 milliards de dollars, tandis qu’il pourrait atteindre 4 milliards d’euros rien que chez SNCF. A ce stade, seul le soutien à l’aérien figure au projet de loi de finances rectificative (PLFR3) présenté le 10 juin, malgré des tribunes de J.P. Farandou, nouveau patron de la compagnie ferroviaire française.
Un retour à la normale freiné par la progressivité du déconfinement de la population et par les incertitudes qui planent sur d’éventuelles nouvelles vagues épidémiques
Alors que de nombreux pays déconfinent leur population, la reprise s’organise. Du point de vue de l’offre, la reprise est très progressive selon les modes de transport, notamment par rapport aux transports en commun dont l’offre est revenue à son niveau nominal. Air-France vise ainsi 15% de ses capacités fin juin, les covoiturages BlaBlaCar ont repris le 2 juin, et les bus BlaBlaBus rouleront de nouveau à partir du 24 juin.
Mais au-delà de l’offre, le retour de la demande n’est pas aussi rapide et vigoureux qu’espéré, notamment à l’approche des vacances d’été. Une situation critique due à un déconfinement progressif et au manque de visibilité des consommateurs :
- Des frontières qui rouvrent progressivement et parfois avec des conditions. En Europe, alors que l’Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg, la Suisse, la Suède et la Hongrie rétablissent la libre circulation avec les pays de l’Union européenne, le Royaume-Uni impose une quarantaine aux voyageurs qui entrent sur leur territoire.
- Des incertitudes qui planent quant à une possible nouvelle vague épidémique.
Le climat général d’incertitude est palpable et le spectre d’une deuxième vague est en effet redouté. Alors que les Etats-Unis, l’Inde ou des pays d’Amérique du Sud sont toujours pris dans la première vague, d’autres pays constatent une hausse du nombre de contamination et tentent d’éviter une seconde vague épidémique. En Chine, la découverte de nouveaux foyers épidémiques et la crainte d’une nouvelle vague ont contraint Pékin à reconfiner plusieurs de ses quartiers. La Corée du Sud prolonge les mesures de reconfinement décidées fin mai après la découverte de foyers épidémiques près de Séoul. Plusieurs experts craignent que la reprise des déplacements moyen-longue distance notamment via l’aérien conduise à une reprise de la pandémie en Europe, qui est loin d’être maîtrisée par l’ensemble des pays. « Ce redémarrage essentiellement lié à une volonté d’encourager les déplacements touristiques arrive un peu vite », selon Serge Morand directeur de recherche au CNRS qui vient de publier une étude montrant la corrélation entre l’augmentation du trafic aérien et la propagation des épidémies dans le monde. A la veille du confinement, le professeur Philippe Sansonetti, titulaire de la chaire Microbiologie et maladies infectieuses, avait donné une conférence intitulée « Covid ou la chronique d’une émergence annoncée » et avait projeté deux cartes édifiantes en expliquant : « Si vous imprimez la carte des vols aériens sur celle du coronavirus, vous voyez que ça se recouvre à 100 % »
Cette situation explique l’attentisme des voyageurs, créant un manque de visibilité inquiétant chez les transporteurs. C’est ce que confirme une enquête d’opinion réalisée début juin par l’IATA (Association Internationale du Transport Aérien) qui montre que les ventes pour des voyages la 1ère semaine de novembre n’atteignent que 5 % du chiffre de l’année dernière. Et rassurer les voyageurs sur les mesures qui sont prises par les transporteurs ne suffit visiblement pas à les faire revenir. Pour convaincre les Français de monter à bord cet été, la SNCF lance une grande campagne promotionnelle : 3 millions de trajets longues distances (TGV Inoui, Ouigo, Intercités) à moins de 49€, et 2 millions de billets TER à moins de 10€.
Un contexte économique difficile, mais qui pourrait jouer le rôle de catalyseur de la transition écologique
Voilà tout le paradoxe des crises : elles créent des situations difficiles, mais offrent également de formidables opportunités. Celle du Covid ne fait pas exception et offre cette occasion de repenser notre modèle de mobilité pour le rendre plus durable et inclusif.
En effet, du point de vue environnemental la marge de progression est importante, puisque le secteur des transports est le principal émetteur de CO2 avec 39 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). Il constitue un levier important de l’Union Européenne pour atteindre l’objectif d’une neutralité carbone d’ici 2050. Des objectifs qui se traduisent en France dans la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) qui fixe un objectif de décarbonation totale des transports d’ici 2050.
L’épidémie du Covid-19 contribue à accélérer la prise conscience écologique qui stimulera la préférence pour des modes de transports plus respectueux de l’environnement et développera la quête d’un meilleur équilibre de vie qui transformera nos habitudes. Une étude réalisée lors du confinement montre que 77% des Français considèrent que cette crise est l’occasion de mener une politique ambitieuse de transition écologique, et 68% souhaitent adopter un comportement plus éco-responsable après l’épidémie. Ces tendances de fond s’inscrivent dans la continuité d’autres mouvements tels que le « Flygskam » ou « honte de voler » apparu en 2018 et dont les effets étaient déjà perceptibles au point qu’ils pénalisaient la croissance de l’aérien et pourraient ainsi s’accentuer. Si l’on tient compte du mécontentement des voyageurs face à la façon dont les compagnies aériennes ont géré (ou non) le remboursement des vols annulés, l’avion n’a visiblement pas le vent en poupe post-Covid.
Plus que jamais, le rôle des autorités publiques et des politiques devient central pour adapter les orientations en termes de mobilité et accompagner la transition écologique. En France, les premières mesures de relance économique du secteur des transports montrent que c’est le cap choisi par le gouvernement, avec notamment un plan de soutien de plus de 8 milliards d’euros attribué à la filière automobile pour la décarboner et la rendre compétitive. Dans l’aérien, Air France se voit aider de 7 milliards d’euros, avec la condition de renoncer à ses trajets intérieurs qui peuvent être effectués en TGV. L’objectif est d’inciter Air France à réduire ses émissions de CO2 de 50% sur les vols domestiques d’ici la fin 2024 et amener à revoir la mobilité sur le territoire français, comme l’expliquait Bruno Le Maire à l’Assemblée Nationale.
En bout de chaîne, les acteurs des transports vont devoir adapter leur offre pour prendre en compte ce nouveau paradigme environnemental et social, et s’adapter à l’évolution des comportements. Sur la longue distance, des synergies seront à mettre en place. A Amsterdam par exemple, KLM s’est associée à NS Dutch Railways et Thalys pour remplacer certains vols par une liaison ferroviaire pour réduire les émissions annuelles de CO2.
L’avis de VERTONE sur les tendances de fond au sortir de la crise sanitaire
A l’heure où l’activité redémarre, quelles orientations structurantes se dessinent pour la mobilité moyenne-longue distance ? Si certaines inconnues demeurent, telles que l’ampleur de la crise économique annoncée et l’éventuelle reprise de l’épidémie, VERTONE s’est forgé des convictions sur 3 tendances de fond qui devraient s’opérer ou continuer à se renforcer :
#1 – La démocratisation du télétravail va se poursuivre de façon durable
La démocratisation du télétravail va engendrer un changement des comportements, notamment sur les déplacements domicile-travail et limiter les voyages professionnels. De nombreux salariés envisagent un projet de mobilité géographique afin « de se mettre au vert » et jouir d’une meilleure qualité de vie. Les déplacements domicile-travail pourront dont s’allonger considérablement et entrer dans la catégorie moyenne-longue distance. D’abord forcé par les événements, le télétravail est parti pour s’inscrire dans nos habitudes de mobilité.
#2 – Les modes de transports individuels seront privilégiés aux modes de transports collectifs avec un développement de la préférence pour les modes de transports les plus propres
Le retour de la voiture individuelle tant annoncé, ne signifie pas forcément faire marche arrière ! En effet, cette tendance s’inscrit plutôt dans la continuité des efforts entrepris par les constructeurs automobiles et les autorités publiques, pour démocratiser les véhicules hybrides, électriques, et à hydrogène. La transition vers des véhicules plus respectueux de l’environnement va s’accélérer. Certaines mesures post-Covid vont déjà dans ce sens, puisque les Français peuvent désormais bénéficier d’aides allant jusqu’à 19 000€ pour acheter un véhicule électrique.
Si l’on peut parier sur une reprise rapide de la santé du secteur ferroviaire, la période de convalescence du secteur aérien va durer plusieurs années. La réouverture progressive des frontières et les incertitudes de reprise de l’épidémie inciteront au tourisme local, ce qui justifiera ainsi moins le recourt à l’avion. De plus, la sensibilité écologique plus marquée pourrait permettre au « Flygskam » de revenir en force. Mais l’aérien n’a pas dit son dernier mot et n’a pas tardé à afficher ses ambitions, notamment celle de développer d’ici 2035 un avion neutre en carbone grâce à l’hydrogène.
#3 – La crise économique qui va succéder à la crise sanitaire devrait impacter durablement les déplacements d’affaires et de loisir
La crise économique qui va succéder à la crise sanitaire a été annoncée comme la plus dévastatrice depuis 150 ans. Les entreprises vont alors devoir réaliser des économies. Et parce qu’elles sont désormais mieux équipées pour travailler à distance, elles limiteront les voyages d’affaires en effectuant plutôt à distance les réunions qui n’imposent pas de se déplacer.
Le contexte économique devrait également peser sur le pouvoir d’achat des particuliers. Le budget alloué aux déplacements et aux voyages pourrait être mis sous tension, et inciter à des déplacements plus courts (en distance) et moins fréquents.
Un article rédigé par Jessica Giorno et Pierre-Olivier Bertrand