Covid-19 : la crise va-t-elle accélérer la transition écologique ?
Depuis le printemps 2020, de nombreux dirigeants d’entreprise ont pris la parole pour exprimer leur vision du « monde d’après » et affirmer le rôle que doivent avoir les enjeux sociaux et environnementaux dans la reprise économique de leur secteur d’activité.
Placer l’environnement au cœur de la reprise économique : une tribune signée par 90 dirigeants
Le 5 mai 2020, plus de quatre-vingt-dix dirigeants d’entreprises françaises et internationales ont appelé dans une tribune au « Monde » à une mobilisation collective pour faire de la relance économique un accélérateur de la transition écologique, en revoyant les modèles économiques, de consommation et de production :
« Cette épreuve [du Covid-19] intervient à un moment où la transformation de notre économie s’engageait en réponse aux enjeux du dérèglement climatique et de la perte de la biodiversité, pour prévenir d’autres crises majeures annoncées par la communauté scientifique. (…) Nous réaffirmons les engagements pris depuis plusieurs années. (…) Au-delà du court terme, le traitement de la crise doit se prolonger par une mobilisation de l’intelligence collective sur le monde d’après cette pandémie, avec des transformations plus profondes à envisager dans nos façons de produire et nos modèles d’affaires, des changements de comportements de consommation et de modes de vie, un rapport à la nature à revoir. »
Banque : instaurer une économie plus équitable
Dans le monde de la finance, les acteurs se sont largement engagés en faveur d’une croissance plus responsable, avec des discours renforcés depuis la pandémie : arrêt des financements des industries polluantes ou non durables (ex. activités liées au charbon thermique), intégration de critères ESG dans les processus opérationnels, développement de la finance durable, soutien de l’ESS, développement d’offres inclusives…
Pour Jamie Dimon, PDG de JPMorgan Chase, la première banque américaine, « cette crise doit servir d’électrochoc et d’appel à l’action pour les entreprises et les gouvernements à réfléchir, penser, agir et investir pour le bien commun ». Pour cela, il faut «s’attaquer aux obstacles structurels qui ont empêché jusque-là une croissance économique plus équitable pendant de nombreuses années ».
Jean-Laurent Bonnafé, Directeur Général de BNP Paribas, est totalement en accord avec cette vision des choses. En effet, il pense que « l’un des enseignements de la crise sanitaire de 2020 est que les risques collectifs ne sont pas une menace abstraite », et que « la Banque doit prendre toute sa part dans la recherche du bien commun, en accélérant son soutien à la transition écologique et en se donnant les moyens d’être plus inclusifs, notamment pour les plus fragiles ».
Sylvie Préa, Directrice RSE du groupe Société Générale, évoque « une crise sanitaire, économique et financière, avec des risques dans les chaînes d’approvisionnement et un impact sociétal sans précédent ». Pour elle, cette situation doit être « une opportunité pour trouver un nouvel équilibre humain et économique ». La RSE prend alors une place particulièrement cruciale et est « plus que jamais, un moteur de la performance à venir, au cœur de la stratégie, en résonance avec notre raison d’être, nos valeurs et qui donne tout son sens au métier de banquier. »
Assurance : transformer le secteur pour faire face aux urgences sociales et environnementales à venir
Les assureurs ont été directement touchés par la crise au niveau des sinistres liés aux maladies et aux décès mais aussi au niveau des demandes d’indemnisation des pertes d’exploitation des commerces, qui ont fait parler d’elles dans les médias. Dans leurs prises de parole, les dirigeants témoignent d’un sens de l’urgence accru et d’un besoin de restructurer le secteur pour faire face aux prochaines crises qui s’annoncent sur le plan sanitaire et sur celui du dérèglement climatique.
Pour Jacques Richier, PDG d’Allianz France, l’aggravation des inégalités provoquée par la crise « a renforcé le volet «S» de la RSE, consacré à promouvoir l’inclusion et réduire les fractures sociales ». Thomas Buberl, PDG d’Axa, estime que « le monde n’était pas assez préparé et ne s’est pas assez coordonné », notamment au niveau mondial, et qu’à l’avenir « il faudra faire beaucoup plus en matière de prévention ».
Tourisme : une transition inévitable vers un tourisme plus responsable
Le secteur du tourisme, qui était en croissance constante depuis 20 ans, s’est effondré en quelques semaines lors du confinement. Les experts n’envisagent pas de retour à la normale avant 2022 au mieux. Les acteurs du tourisme vont devoir faire des choix stratégiques pour s’adapter à un environnement en mutation et répondre aux attentes de consommateurs en forte évolution.
Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde, va même plus loin et pense que « le tourisme post COVID-19 ne peut plus espérer survivre sans se réinventer ». Le tourisme se doit d’être responsable : « Voyager doit devenir un acte qui respecte les écosystèmes et les populations locales. Il n’est plus possible d’observer, d’une part, le tourisme et, de l’autre, le tourisme responsable ».
Pour Charles-Edouard Girard, co-fondateur de HomeExchange, « Le Covid-19 a détruit l’idée du tourisme de masse ». Il lance un appel au reste du secteur : « Regroupons nos idées pour rendre le tourisme plus responsable, bénéficiant aux voyageurs, à l’économie et au monde ».
Transports : des cartes rebattues entre les différents acteurs de l’aérien, du ferroviaire, des transports en commun, et de la mobilité douce
Très sévèrement touchés par la crise, les acteurs traditionnels du Transport voient leur modèle économique remis en question : au-delà des contraintes sanitaires à court terme réduisant le nombre de voyageurs et impactant directement leur rentabilité, les acteurs doivent faire face à des évolutions profondes du secteur : explosion de la mobilité douce, préférence pour les voyages locaux, généralisation du télétravail, volonté des pouvoirs publics de développer le ferroviaire (ex. trains de nuit ou fret ferroviaire)… et des contreparties écologiques fortes intégrées dans les plans d’aide de l’Etat.
Jean-Pierre Farandou, PDG du groupe SNCF veut que le groupe SNCF soit « en 2030 un champion mondial de la mobilité durable, pour les voyageurs comme pour les marchandises ». Il évoque dans Les Echos « un avantage écologique évident, le train pollue dix à vingt fois moins que les autres modes de transport, et il consomme six fois moins d’énergie à la tonne et aux voyageurs transportés. »
Chez Air France KLM, l’aide de l’Etat de 7 milliards d’euros a été accordée en contrepartie d’engagements écologiques rapides : ex. réduire de 50% les émissions de CO2 sur les vols domestiques d’ici 2024, réduire les émissions de CO2 par passager, utiliser du biocarburant… « Le réseau domestique d’Air France va connaître une restructuration accélérée afin de parvenir aux objectifs environnementaux fixés par le gouvernement français ainsi qu’à l’équilibre financier d’ici à 2021 » a annoncé Benjamin Smith, PDG du groupe Air France KLM.
Distribution alimentaire : une confirmation des tendances écologiques
Depuis plusieurs années déjà, les attentes des consommateurs sont en forte évolution dans l’alimentaire. Les prises de parole des dirigeants depuis le printemps 2020 viennent confirmer et accélérer les initiatives déjà engagées autour du « mieux manger », de l’environnement (transport des marchandises moins polluant, vente en vrac et réduction du plastique), et du soutien aux producteurs.
Par exemple, Auchan a lancé le projet Auchan 2022. D’après Jean-Denis Deweine, Directeur général d’Auchan Retail France, le but de cette initiative est « [d’] adapter l’entreprise aux attentes du consommateur » avec « dire plus de proximité, plus de local, plus de solidarité aussi (…) en résonance avec la période que nous venons de vivre. ».
Michel-Edouard Leclerc, PDG de Leclerc, pense que cette crise doit être « un moment clé de réinitialisation de nos modèles économiques » et nous permettre de « redevenir bons mais sur les nouveaux modèles de consommation et les nouveaux modèles de production. »
Chez Groupe Casino, on estime qu’on ne peut séparer les objectifs économiques et sociétaux. D’après le PDG Jean-Charles Naouri « performances économiques et progrès sociétal peuvent aller de pair si l’on inscrit la croissance dans la durée ».
Distribution spécialisée et mode : des enjeux de survie à court terme et des enjeux de transformation majeurs à long terme
On aurait pu penser que les prises de parole sur le « monde d’après » seraient nombreuses dans les enseignes du textile et de la distribution spécialisée (sport, ameublement, bricolage, etc), qui ont été mises à rude épreuve pendant le confinement. Pourtant les dirigeants semblent peu enclins à s’exprimer sur ces enjeux long terme, préoccupés avant tout par la survie immédiate de leur entreprise. Cela veut-il dire pour autant que les enjeux sociaux et environnementaux ne sont pas vitaux dans la reprise de l’activité ? Rien n’est moins sûr… Les experts insistent sur la nécessité pour ces acteurs de se transformer pour mieux répondre aux enjeux de société, et les initiatives fleurissent autour de ces sujets. Il est avant tout question de réinventer les modèles économiques, dans une logique plus circulaire : éco-conception, produits d’occasion, réparation, location et économie de la fonctionnalité…
Du côté de la distribution spécialisée, Régis Koenig, directeur de la politique services et de l’expérience client du Groupe Fnac Darty, est conscient que leurs deux enseignes Fnac et Darty « se sont créées sur la société de consommation » et que « nous ne pouvons continuer à consommer de la même manière ». Pour lui, « il est indispensable que nous réinventions en partie les modèles économiques, plus proches d’une économie circulaire ». Pour cela le groupe Fnac Darty « [accélère] ainsi sur des modèles de revente de produits d’occasion, en plus de la réparation, pour rallonger leur durée de vie ».
Les 96 000 collaborateurs de Decathlon ont exprimé au travers du site « One Blue Team », leur communauté interne à destination des médias, leur volonté de « [donner] à la société tout entière le pouvoir de bouger ». Pour eux « le sport doit une fois encore se repenser, se renouveler ». Ils le souhaitent « toujours plus durable, plus solidaire, plus agile. Plus ouvert, plus essentiel, plus complice. Plus féminin, plus responsable, plus inclusif », et appellent à « devenir essentiels ».
Côté mode, plusieurs marques, dont le groupe Etam, le groupe Eram, Petit Bateau ou La Redoute ont lancé en septembre 2020 une grande consultation citoyenne sur la mode responsable, avec le soutien du Ministère de la transition écologique et la Mairie de Paris. Au programme des questions adressées : comment faire évoluer l’industrie de la mode ? quels procédés doivent-être améliorés selon les citoyens ? comment faire évoluer la fabrication, la distribution, la consommation, ou encore la communication ?
Hubert AUBRY, Directeur de la stratégie et des nouveaux développements du groupe Eram, estime que « Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer dans la transformation de la société autour des enjeux du développement durable. Elles sont la pierre angulaire du changement. Car, elles ont le pouvoir d’agir à grande échelle, pour adopter un fonctionnement plus vertueux et apporter de nouvelles propositions de valeur au marché. C’est un devoir de responsabilité et une formidable source d’innovation. (…) La crise actuelle nous aide aussi à bouger des lignes, plus vite et plus loin que nous aurions pu l’envisager ».
En conclusion, rares sont les secteurs aujourd’hui qui ne se posent pas la question de la transition écologique, de manière volontaire ou contrainte. Face aux grands enjeux du monde de demain, les entreprises ne semblent plus avoir le choix que de prendre leurs responsabilités. La pandémie a fait bouger les lignes et a mis en évidence la nécessité d’intégrer les enjeux sociétaux dans le cœur de métier des entreprises pour devenir des leviers d’innovation positifs, conciliant responsabilité et performance économique.
Un article rédigé par Florence Hirondel