Le projet de Loi Hamon en débat au Sénat : qui veut la peau du crédit conso ?
Deux ans après la mise en application de la Loi Lagarde, le gouvernement s’est engagé dans la voie de la réforme volontariste, en souhaitant développer une approche globale de la consommation, ce qui est louable.
Résultat : le projet de loi Hamon, discuté fin juin et début juillet, et adopté en 1ère lecture à l’Assemblée Nationale, avec un très grand nombre d’amendements.
Texte ardu et conséquent (153 pages dans sa version numérisée !), on peut raisonnablement douter que les sénateurs auront choisi cet ouvrage comme lecture estivale, alors qu’ils ont à l’examiner en cette rentrée parlementaire.
Si on l’étudie en détail, le texte pose problème, en particulier sur le volet Crédit à la Consommation.
Dans l’appréciation de la nécessité d’aller au-delà de la Loi Lagarde, quelque chose a clairement échappé au législateur et aux analystes, c’est l’effet retard. Le crédit conso, c’est du flux et du stock.
On n’en est qu’à deux ans d’application de la Loi Lagarde, et son effet n’est pas encore complet, ni sur la fermeture des comptes inactifs, ni sur la consommation, ni sur la performance économique des établissements de crédit, ni sur l’emploi évidemment. Des études d’impact ont été réalisées comme il est d’usage sur la base du projet de loi initial, mais les inévitables amendements ne peuvent pas faire l’objet d’études d’impact. Et là, des belles intentions peuvent paver la route de futures déconvenues.
Dans l’année qui a suivi la mise en place de la Loi Lagarde, selon l’évaluation qui a été conduite à la demande du Comité Consultatif du Secteur Financier (CCSF), les tendances sont claires (du 1er mai 2011 au 30 avril 2012) : baisse de 3,3 millions du nombre de comptes de crédit renouvelable ; baisse du nombre de transactions à crédit (22% avant LCC et 6,3% après LCC) ; baisse du coût des agios (réforme du taux d’usure et durée maximale de remboursement) ; entretiens commerciaux allongés de 10 minutes (dont magasins : +65%) ; contrats revus pour intégrer les dispositions de la LCC, et passant de 21 à 33 pages (au passage, on peut s’interroger sur la réalité de la simplification / clarification apportée au consommateur).
Depuis 2012, on a assisté à une série de mesures de suppressions d’emplois dans plusieurs établissements financiers. Certes, ce n’est pas une raison pour ne pas améliorer le dispositif réglementaire.
Mais pourquoi s’acharne-t-on à vouloir durcir toujours plus le recours au crédit ?
Les établissements de crédit ont réduit considérablement leurs résultats, les coûts de gestion ont augmenté de manière significative. Le surendettement a lui-même marqué une évolution à la baisse. Au 4ème trimestre 2012, le nombre de nouveaux dossiers en surendettement était en baisse de 5% sur 12 mois glissants. La Loi Lagarde et l’engagement des acteurs ont indiscutablement contribué à inverser la courbe de l’évolution du surendettement, et ce malgré le contexte de hausse du chômage et de la précarité. Mais le surendettement ne peut être ramené à zéro que si l’endettement est ramené à zéro, et un endettement ramené à zéro, c’est la mort de l’économie. Une sorte de philosophie économique où le dernier qui sort éteint la lumière.
Pour simplifier l’illustration des mesures pour lesquelles les impacts problématiques ont échappé aux analyses, nous retiendrons trois exemples :
- Passage de 8 à 5 ans de la durée maximale du plan conventionnel de redressement pour la sortie de surendettement.
- Diminution du délai d’inactivité des Crédits Renouvelables, lesquels seraient clos automatiquement après un an d’activité au lieu de deux ans imposés par la Loi Lagarde.
- Pour renforcer l’obligation de proposer au consommateur une alternative à une offre de crédit renouvelable, le législateur a souhaité obliger le vendeur à proposer pour chacune des modalités (renouvelable ou amortissable) au moins deux hypothèses de délais de remboursement. Au final, cela oblige à présenter au client au moins quatre propositions de modalités de crédit et de remboursement.
Sur le point 1.
Il faut noter que le rapport de la sénatrice Escoffier préconisait de porter la durée d’inscription au FICP (le fichier des incidents caractérisés de paiement) à 8 ans, parce qu’elle avait été ramenée à 5 ans par la Loi Lagarde. La logique était de coupler la durée d’inscription au FICP avec la durée maximale des plans de redressement. Or, une personne en redressement ne figurant plus au FICP, pouvait se retrouver fragilisée en contractualisant un nouveau crédit. Le rapport Escoffier n’a pas proposé de ramener la durée maximale des plans de redressement à 5 ans, car c’est économiquement injouable pour les établissements prêteurs. Si cette durée est conservée à 5 ans dans le texte définitif, les établissements de crédit vont devoir passer à court terme des provisions massives, puisque il sera impossible d’augmenter la charge mensuelle des personnes en situation de surendettement. A-t-on évalué les conséquences financières à court terme ? Et les conséquences à moyen et long terme sur le coût du risque pour les établissements financiers ? Non, puisqu’il s’agit d’un amendement, il n’y a pas eu d’étude d’impact. La conséquence en sera le durcissement des conditions de crédit pour tout le monde. Cela jouera sur le taux d’acceptation, et sur les taux d’intérêts à terme, pour compenser la hausse sensible du coût du risque pour les prêteurs.
Si cet amendement est maintenu, il est d’ailleurs probable que de nombreux établissements de crédit deviennent structurellement déficitaires pour au moins quelques années. L’effet d’une hausse des taux ne jouerait elle-même qu’avec du retard, et sur des volumes moindre en raison du taux d’acceptation en baisse. Bref, une machine à casser complètement la dynamique du crédit. Aucun pays en Europe n’a de durée de plan de redressement aussi courte, tout simplement parce que financièrement ça ne tient pas. Les députés ont pris pour référence l’Allemagne, mais la durée de cinq ans en Allemagne ne s’applique qu’après une première phase conventionnelle avec les établissements de crédit et après la vente des biens du consommateur, notamment immobiliers.
Sur le point 2.
Fermer automatiquement les Crédits Renouvelables au-delà d’une année de non utilisation revient quasiment à tuer le principe même de réutilisation d’une ligne de crédit. Alors que cela offre souplesse au client, et bien sûr potentiel de développement de valeur pour l’établissement prêteur. Pour les deux parties, cela représente également un risque. Il y a cependant une certaine hypocrisie à ramener le délai de clôture à un an. Deux ans après la Loi Lagarde, qui a engendré une dynamique de fermeture très importante de comptes de Crédits renouvelables, et sans avoir encore le recul sur l’effet de la Loi sur les Crédits octroyés après son application, on cherche à aller encore plus loin. Veut-on l’interdire complètement ?
Sur le point 3.
Contrairement à la volonté affichée, tant dans le cadre de la Loi Lagarde que dans le cadre de la Loi Hamon, cette mesure, qui va obliger à proposer et détailler quatre offres distinctes en entretien commercial en magasin, va énormément compliquer les choses à la fois pour les commerçants et les consommateurs. Aucune étude n’a été réalisée pour évaluer le taux de consommateurs qui lisaient effectivement les trente-trois pages obligatoires des contrats de crédit post-Lagarde. Il est sans doute illusoire de penser que les entretiens de vente à crédit puissent s’allonger encore de dix minutes ou plus. Cette mesure semble peu réaliste.
Le Crédit à la Consommation n’est peut-être pas une cause à défendre.
Ce n’est peut-être pas politiquement correct. Le Candidat Hollande avait annoncé dans sa campagne : « Notre adversaire, c’est la Finance ». Pourtant, il y a quelques années, flottait la tentation d’obliger les financiers à prêter à certaines populations trop facilement exclues du crédit. Certains allaient jusqu’à envisager une sorte de « Droit opposable au Crédit » pour les chômeurs, ou les malades en rémission. Aujourd’hui, après une Loi Lagarde plutôt bienvenue, et sans attendre qu’elle porte entièrement ses fruits, ne prend-on pas des risques inconsidérés à vouloir étouffer ainsi ce mécanisme de financement de la consommation ? Quelles seront les conséquences sociales d’une forte baisse d’activité de ces établissements ? Quels en seront les impacts dans les territoires ? Dans les années qui viennent, les grands établissements bancaires qui ont intégré une à une toutes les sociétés spécialisées, devront réaliser des arbitrages dans l’allocation de leurs fonds propres. Ils décideront peut-être alors de délaisser complètement ces activités aux modèles instables, au risque croissant, et constamment mises à l’index.
Alors que nos exportations sont encore en panne, que l’investissement des entreprises est toujours en baisse, ne risque-t-on pas, avec ces mesures un peu improvisées, de porter un coup fatal à ce troisième moteur de la croissance qu’est la consommation, sous couvert de protection du consommateur, toujours victime de financiers toujours coupables ? Il revient à présent aux sénateurs d’y réfléchir et d’en discuter en séance publique.