Luxe et RSE, Brève #1 : « Nouveau paradigme et attentes clients »
L’industrie du Luxe, quoique chahutée ces derniers mois par un contexte macro-économique défavorable, a connu des dernières années, a fortiori depuis la reprise post-covid, une situation de croissance inédite. Cette croissance invite à interroger le rôle que le secteur aura à jouer, dans un monde marqué par des inégalités grandissantes, des crises écologiques récurrentes et des ressources de plus en plus contraintes. Car la conservation de processus de fabrication artisanaux et la sélection de matériaux de qualité ne suffisent pas à compenser un impact environnemental significatif.
Le luxe peut-il continuer à faire rêver tout en se conformant aux exigences de sobriété d’une consommation responsable ? Face à des consommateurs de plus en plus regardants et qui attendent des marques une certaine exemplarité, les acteurs du secteur s’engagent progressivement. Ce premier article d’une série consacrée à ce nouveau paradigme propose de faire l’état des lieux sur ces attentes, et sur les initiatives émergentes pour y répondre.
Des attentes en évolution
Face aux enjeux du réchauffement climatique, les attentes de consommateurs tendent à évoluer. Le secteur du luxe est directement concerné : 60% des consommateurs de produits de luxe estiment que ce secteur se doit d’être pionnier dans la transition environnementale, sociale et sociétale. 6/10 clients disent d’ailleurs intégrer cette notion dans leur acte d’achat.
C’est d’autant plus le cas pour la « Gen Z » et les Millenials, dont Nielsen estime que 75% d’entre eux seraient prêts à dépenser plus pour des produits « durables ». Il est bien sûr à noter que l’écart est grand entre le déclaratif et les comportements effectifs. Mais l’enjeu à convaincre est de taille pour les Maisons de luxe : si cette génération représente actuellement 30% de leurs clients, cette proportion devrait plus que doubler d’ici 20261.
L’écueil du greenwashing
Avec une industrie fortement mondialisée et consommatrice de ressources rares, les groupes de luxe contribuent au réchauffement climatique et à la dégradation des écosystèmes. À titre d’illustration, les déplacements induits par les Fashion Weeks de New York, Paris, Milan et Londres génèrent à eux seuls plus de 240 000 tonnes de CO2 chaque année2 (qui correspondent à 10% des émissions annuelles d’une ville de la taille de Paris). Par ailleurs, si la crise sanitaire de 2020 a conduit à l’accélération des initiatives « green » dans le secteur, des concepts de « luxe entrée de gamme » se sont développés en parallèle, permettant de vendre d’importants volumes d’objets griffés (casquettes, bananes, portes clés, etc.), en allant à l’encontre de la modération affichée.
Ces contradictions se retrouvent dans les résultats de l’indice de durabilité développé par Kantar Insight3 visant à évaluer les performances RSE de divers secteurs. Après étude des mesures prises au niveau de la stratégie, de l’activation, de l’innovation et de l’impact RSE des entreprises considérées, cet indice se mesure sur une échelle allant de -100 à +100. Le secteur du luxe se situe relativement bas, à -38.
Les Maisons de luxe, conscientes de leur impact, mettent progressivement en place des mesures pour tenter de limiter leur empreinte écologique. Mais la communication autour de ces engagements se heurte parfois à la crainte d’être accusées de « Greenwashing ». Il s’agit pour elles de convaincre leurs clients de la réalité effective de leurs actions en faveur de l’environnement.
Entre transparence et innovation, un florilège d’initiatives durable visant à crédibiliser l’engagement des Maisons
Face au besoin de transparence, les marques cherchent à communiquer sur leur processus de production et son impact RSE.
Les consommateurs doivent pouvoir comprendre l’origine des matières premières utilisées autant que les conditions de travail des employés. Ainsi, là où Chanel a définitivement arrêté d’intégrer des peaux exotiques au sein de ses collections, Hermès et LVMH ont quant à eux investi dans des fermes de crocodiles en Australie afin de mieux maîtriser l’approvisionnement des peaux utilisées pour la maroquinerie.
Le groupe Kering s’approvisionne de son côté exclusivement en or certifié responsable. Quant à Guerlain, la Maison fait partie des références en matière de « beauté durable » via ses efforts sur la préservation de la biodiversité. Avec sa plateforme « Bee Respect », les clients peuvent accéder à la démarche de traçabilité de l’entreprise sur l’intégralité du cycle de vie des articles de parfumerie (des matières premières au packaging ou aux modes de transport.). Enfin, l’initiative “Durable Elegance” de Lacoste, un projet accompagné par VERTONE, met en avant la synergie de deux valeurs propres à la marque. On y retrouve des informations sur les matières utilisées, leur engagement environnemental mais également une présentation de la Fondation Lacoste.
De façon générale, le changement de paradigme vers un luxe plus responsable implique des enjeux forts du point de vue de l’innovation dont les Maisons & groupes doivent faire preuve.
L’éco-conception de l’offre représente par exemple une belle opportunité et attire de nombreux investissements. Il s’agit en effet de proposer des matériaux alternatifs, plus durables et éthiques. On trouve ainsi des diamants de laboratoires (Fred), des cuirs végétaux (Stella Mc Cartney), des tissus alternatifs issus du recyclage (Vivienne Westwood), des gammes entières issues des rebuts des lignes de production (Petit h chezHermès, Gucci off the Grid), ou même des matières issues de déchets (telle que la collection « upcyclée » Jack de Boucheron Ultime).
Le packaging est également un domaine qui a vu fleurir de nombreuses innovations. L’enjeu pour les marques de luxe est de trouver des solutions de réutilisation et de recyclage dans ce domaine hautement consommateur de ressources, alors même que 80% des clients attendent des packagings véhiculant la qualité du produit4. Ce défi n’est pas impossible comme le prouve les initiatives de Ruinart (avec son étui Crayères en papier, réduisant de 62% l’empreinte carbone de l’étui) ou des marques de cosmétiques comme Guerlain et Yves Saint-Laurent qui développent des contenants cosmétiques rechargeables.
Les acteurs du luxe innovent également en jouant sur la fin du cycle de vie du produit. Dans la croissance du marché du luxe, la seconde main représente une part significative, estimée désormais à 26 milliards d’euros en 20235. On estime que la moitié des clients du Luxe ont interagi avec le marché de la seconde main – que ce soit pour vendre ou pour acheter, pratiques facilitées par le développement de plateformes digitales sécurisées (Vestiaire Collective, etc.).
Par ailleurs, récemment, plusieurs Maisons ont commencé à miser sur la réparabilité, à l’instar de Bottega Veneta et son « Certificate of Craft » qui permet aux propriétaires de certains sacs iconiques de la Maison d’accéder gratuitement un service d’entretien et de réparation via l’utilisation d’une carte associée au numéro de série de l’article6.
Pour une culture partagée de l’exemplarité
Pour affirmer et renforcer le crédit de leur position sur le développement durable, les Maisons doivent accentuer leurs efforts dans le sens d’une culture de l’exemplarité, en associant leurs efforts respectifs et en y incluant les parties prenantes. En France, le Comité Colbert rassemble 93 Maisons du secteur partagent leurs bonnes pratiques pour plus de durabilité, notamment autour d’une Commission Développement Durable qui a vu le jour en 2020 et publie annuellement des rapports RSE sectoriels. Les efforts collectifs, comme ceux du Comité, sont essentiels pour ancrer cette démarche au cœur même du secteur.
Afin de convaincre de leur sincérité, les Maisons se doivent de continuer à apporter des preuves concrètes de leur engagement tout en restant fidèles à leur ADN. C’est seulement ainsi qu’elles seront en mesure d’affirmer un positionnement allant au-delà d’une simple réponse à une tendance de marché. C’est ce sujet – l’ADN propre des Maisons de Luxe et leur consonnance intrinsèque avec les enjeux de la durabilité – que nous explorerons dans le deuxième article de notre série consacrée à ce thème.
1 La Dépêche. (2023). Les millennials et la génération Z, moteurs du marché du luxe.
2 Carbon Trust (2020) Zero to Market : the carbon cost of travel associated with the ready-to-wear wholesale buying process
3 Kantar Insight (2023). Sustainability Sector Index
4 Citeo (2019) Etude shopper : Perception environnementale des emballages
5 Alioze. (2023). Les chiffres clés du marché du luxe en 2022-2023.
6 Duvieu, P. Journal du luxe. (2022). Bottega Veneta lance un service de garantie à vie sur ses sacs.
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