L’e-commerce DTC (direct-to-consumer) : nouvel eldorado ou fiasco probable ?
Il y a quelques mois, nous partagions notre point de vue sur la question suivante : une marque doit-elle forcément lancer un site e-commerce ? Nous abordions les questions à se poser avant de lancer son site e-commerce en direct pour une marque non-distributeur, les alternatives envisageables et les facteurs clés de succès. Aujourd’hui, nous allons aborder plus en détail les grands enjeux et risques associés au lancement d’une activité e-commerce DTC, pour vendre directement aux consommateurs, sans passer par l’intermédiaire d’un distributeur (direct-to-consumer).
Qui sont les véritables gagnants du e-commerce ?
Quel que soit le secteur (cosmétique, prêt-à-porter, alimentaire, bricolage, ameublement…), la consommation des produits de grande consommation se fait de plus en plus en ligne. Les croissances annuelles sont fortes et souvent à 2 chiffres depuis les 10 dernières années (par exemple, d’après Euromonitor, le marché mondial de la beauté en ligne a triplé entre 2007 et 2017). Les perspectives de croissance restent également encore fortes, notamment en Asie et aux US, mais aussi en Europe.
Pourtant lorsqu’on regarde de plus près à qui bénéficie cette croissance, une étude montre que dans le secteur de la distribution de produits de grande consommation, seulement 10% d’acteurs captent plus de 90% de la valeur en ligne.
Cela ne veut pas forcément dire que les 90% d’acteurs restants ne doivent pas se lancer dans une activité e-commerce directe !
VERTONE a réalisé un benchmark sur les secteurs de l’alimentaire et de la beauté en France.
- En beauté, sur 189 marques (skincare, make-up et parfums), 50% proposent un site de vente en ligne en direct (70% pour les marques de dermo-cosmétique).
- En alimentaire, sur 60 groupes agroalimentaires présents en grande distribution et détenant près de 230 marques, 38% ont lancé un ou plusieurs e-shops.
Les chiffres sont relativement importants mais lorsqu’on analyse les visites sur ces sites, on remarque que très peu d’entre eux possèdent un trafic conséquent : en beauté, seulement 16% des marques possédant un site e-commerce directe ont un trafic supérieur 100K VU/mois (et respectivement 20% en alimentaire).
Quels sont les objectifs recherchés par ces marques derrière leur activité e-commerce ? Et pourquoi 50% des acteurs ne franchissent pas encore le pas ?
Une équation économique complexe et une rentabilité difficile à atteindre pour le DTC
Les postes de coûts les plus importants sur une activité d’e-commerce DTC sont la logistique et le trafic.
La logistique, et notamment la livraison à domicile avec le dernier kilomètre représente environ 20 à 25% du prix d’une commande.
Par ailleurs, une marque non-distributeur, possède un modèle logistique B2B qui se base sur des livraisons par palette de produits vers des entrepôts à des fréquences hebdomadaires ou mensuelles, bien loin d’un modèle de livraison B2C.
L’investissement à prévoir pour ce changement de modèle logistique est donc conséquent, qu’il soit géré en interne ou externalisé via un e-logisticien.
L’acquisition de trafic représente environ 15 à 20% du prix d’une commande mais peut monter jusqu’à 40% pour certains e-retailer.
Si la marque a déjà une présence en ligne et que la part de son trafic organique (SEO/direct) dans son trafic global est faible, cela signifie que la marque dépend fortement d’un trafic acheté et donc :
- Sa base de clients est probablement peu fidèle et/ou peu rentable
- Ses investissements e-marketing risquent d’exploser face à la puissance d’investissement des mastodontes du e-commerce (Amazon, Vepee mais aussi les gros e-retailers ou pure players spécialisés).
Face aux e-retailers, en plus de la bataille du trafic, celle de l’offre est aussi perdue d’avance
Une marque de beauté qui vendra en ligne ses produits sur son site deviendra directement concurrente des e-retailers (Sephora.Fr, marionnaud.fr, nocibe.fr), et des pure players (amazon.fr, beauté-privée.com, Zalando beauté, asos beauté). Or, les e-retailers possèdent un certain nombre d’atouts par rapport à une marque, à savoir :
- Un assortiment (profondeur et largeur d’offre) conséquent : sephora.fr (10 000 références en tout), amazon.fr (50 000 références dans l’univers maquillage) …
- Des prix attractifs et notamment une forte capacité à faire des promos : (taux de promo par secteur en ligne)
- Une bonne qualité d’exécution du service (Sephora s’engage à livrer en 1h, Amazon propose les retours gratuits, un SAV efficace…)
- Une qualité de l’expérience en ligne (one-clic-payment, abonnement livraison, abonnement box, live-chat, programme de fidélité …etc.
Attention aux risques liés à la désintermédiation
Lancer son activité e-commerce DTC peut mettre en risque la relation établie souvent depuis plusieurs années avec sa distribution historique (grossistes, distributeurs généralistes et spécialisés, e-retailers). En effet, les intermédiaires verront d’un mauvais œil cette prise d’initiative concurrentielle et pourraient réagir :
- Déréférencement des produits de la marque (peu probable si la marque est forte mais néanmoins la menace existe)
- Négociations tendues, notamment commerciales, avec risque de moins de mise en avant des produits de la marques par le revendeur
En conclusion, la confrontation directe avec les e-retailers ne semblent pas le meilleur moyen pour une marque de développer son chiffre d’affaire en ligne. En revanche, la distribution indirecte via des e-retailers est probablement le bon levier pour réaliser des objectifs de croissance avec un impact réduit sur sa marge tout en préservant une bonne relation avec ses intermédiaires. Alors finalement, pourquoi une marque déciderait-elle de lancer son propre site en direct ? La réponse dans notre prochain article « L’e-commerce direct pour les marques non-distributeur : Les enjeux d’apprentissage et de connaissance client »
Article rédigé par Pierre BRUN