15/04/21

L’hydrogène : le futur de l’aviation verte ?

La pandémie n’aura épargné personne. Au premier plan de ses victimes économiques : le transport aérien, qui a perdu en un an près de 70% de ses passagers (source IATA). Un mal pour un bien diront certains, tant l’aviation est décriée pour son impact écologique, comme en témoignait récemment l’infiltration des activistes de Greenpeace à Roissy.

L’ambition d’une aviation climate neutral avant 2050

En 2019, le transport aérien a été à l’origine de 2 à 5% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial selon la IATA et l’EESI. Pour autant, la dynamique de progrès est lancée. D’après Safran, qui revendique 70% de part de marché sur les moyens courriers, chaque génération de moteur permet de réduire l’empreinte carbone d’environ 15% par rapport à la précédente (source Sciences et Avenir, juin 2020). De son côté, la IATA estime que les travaux menés sur les moteurs, les carburants, l’aérodynamique ou la gestion des opérations aura permis en 10 ans de diminuer les émissions par siège au km de 21,5%.

Mais l’augmentation considérable du trafic, qui a triplé en 20 ans, impose une diminution plus nette encore. L’Europe a ainsi naturellement inclus l’aviation parmi les secteurs qui doivent contribuer à l’atteinte de son ambition de neutralité climatique d’ici 2050.

En France, le plan de soutien à l’aéronautique de 15 Mds€ prévoit d’en consacrer 1,5 sur 3 ans à la R&D pour une industrie verte et compétitive, avec l’objectif assumé de faire de la France l’un des pays les plus avancés dans les technologies de l’avion propre. Et bien que le développement d’un nouvel appareil représente en réalité dix fois ce montant, Airbus a annoncé pour 2035 le premier avion vert, à zéro émission.

L’hydrogène : une solution prometteuse, mais pleine de défis

Vous l’avez déjà compris, Messieurs : l’appareil que je vous décris est tout bonnement un chalumeau à gaz oxygène et hydrogène. (Jules VERNES, Cinq semaines en ballon, chapitre X)

En 1863, plus de soixante ans avant l’exploit pionner de Lindbergh, Jules Verne imaginait dans Cinq semaines en ballon une machine volante propulsée à l’hydrogène. Utilisé dès l’après-guerre dans les fusées, les missiles ou les lanceurs de satellites, l’hydrogène fait figure de candidat sérieux pour… propulser l’avion vert. Il présente de nombreux avantages :

  • Des coûts de production en forte baisse.
  • Des prix potentiellement inférieurs à ceux du kérosène en 2050 (Estimation VERTIONE), lui-même en risque de pénurie dès 2030.
  • Des performances, une durabilité et des capacités qui se sont récemment fortement améliorées, assurant une excellente capacité de transformation réciproque directe avec l’électricité.
  • Une densité massique d’énergie (quantité d’énergie contenue dans une masse donnée) trois fois supérieure au pétrole.

Son usage n’est toutefois pas sans poser un certain nombre de défis techniques. Parmi ceux-ci, celui de la densité volumique de l’hydrogène plus importante que celle du kérosène : à volume de réservoir égal, il n’est possible de stocker que le quart d’hydrogène de ce qui serait nécessaire. Les ingénieurs Ariane ont réussi à contourner cette difficulté en refroidissant l’hydrogène à -250°C. Mais cette solution nécessite des systèmes cryogéniques lourds, eux-mêmes consommateurs d’énergie, et pose de nombreuses autres questions, notamment en matière de sécurité : l’explosion de lanceurs au décollage n’est ainsi pas rare. Par ailleurs, les réservoirs à hydrogène devront être sphériques ou cylindriques, là où les ingénieurs aéronautiques ont optimisé l’aérodynamique des avions de ligne en stockant le carburant directement dans les ailes.  

Enfin, autre problème « de poids » : celui des cellules d’hydrogène, aujourd’hui trop lourdes pour équiper un avion.

Airbus s’est ainsi donné cinq ans pour lever cette barrière technologique : « il […] faudra ensuite deux ans pour trouver les fournisseurs, les sites industriels, etc. Donc, la mise en programme est prévue aux environs de 2028. Notre ambition est d’être le premier constructeur à mettre en service un tel appareil en 2035. »

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Les avions « ZEROe » à propulsion à hydrogène – Source Airbus

La nécessité de déployer des solutions alternatives à court terme

L’avionneur semble se concentrer, jusqu’à présent, sur des modèles hybrides, thermique / hydrogène. Sur ce modèle, les prototypes présentés fin 2020 sont prometteurs puisqu’ils permettent de réduire de 50 à 90% les émissions, avec un surcoût pour les passagers de l’ordre de 20$ (source Airbus). Dans sa lancée, Airbus a déposé un premier brevet d’avion à hydrogène en janvier 2021. Il s’agit toutefois d’appareils à hélice, de type ATR (Avion de Transport Régional), à la capacité et portée limitées d’une petite centaine de passagers sur environ 1000 miles nautiques maximum (soit environ 1 800 km).

Les deux autres prototypes présentés, biréacteur et aile volante, restent également en-dessous des 200 passagers sur 2000 miles nautiques (env. 3 500 km). C’est d’ailleurs l’ambition du constructeur que de positionner son modèle hydrogène de 2035 comme successeur à son A320, leader, avec son équivalent B757 de Boeing, sur le segment de marché courts et moyens courriers, et comportant 200 places avec une portée maximale de 5 000 à 7000 km.

Les longs courriers, avec leurs 400 places et leur portée de 10 000 à 14 000 km sont aujourd’hui encore hors d’atteinte.

Quand bien même, les avions mis en service aujourd’hui voleront jusqu’en 2050, et ceux fabriqués d’ici la construction du premier avion vert commercial, jusqu’en 2065. L’urgence climatique pousse ainsi à réfléchir à d’autres solutions d’ici l’avènement du tout hydrogène.

Et en attendant le tout hydrogène ?

La plus évidente est celle du biocarburant, qui ne nécessite que des adaptations marginales des moteurs, à condition toutefois que des filières de production vertes et suffisamment robustes pour alimenter le marché soient constituées. D’après la International Energy Agency, le coût de ces carburants, aujourd’hui 2 à 5 fois plus élevé que celui du kérosène, suffit toutefois à expliquer son taux de pénétration indigent.

En attendant, et sans qu’il soit nécessaire de faire évoluer les flottes : la gestion des vols et du trafic aérien. Thalès estime ainsi qu’un gain de 10% en carburant et émissions est possible à travers la mise en place d’un système plus connecté et collaboratif. Concrètement, cela signifie pour les passagers la réduction de la vitesse et donc l’allongement des durées de vol.

Derrière le défi technologique, la nécessité d’un repositionnement face à la concurrence ?

Les ATR, la gamme thermique la plus proche des prototypes en cours de développement chez Airbus, ont une portée inférieure à 2000 km, pour 60 à 90 passagers, à une vitesse de 500 km/h…  soit presque 10% de moins que le record historique du TGV.

Si les moyens courriers standard pointent encore à une vitesse de croisière maximale de 800 km/h, augmentation des prix liée au renchérissement du carburant, et la diminution de cette vitesse les replacent, à une échelle domestique, en concurrence frontale avec le train à grande vitesse. Or, l’écart de temps de trajet se réduisant, celui-ci se retrouvera avantageusement compensé, du point de vue de l’expérience voyageur, par l’arrivée du train en cœur de ville et la limitation des contrôles de sécurité.

Sauf à travailler dès maintenant main dans la main avec les aéroports sur la mise en place de différenciants forts, l’avènement de nouveaux modes ferrés, plus rapides, et au moins aussi propres que le TGV, pourrait ainsi bien, à terme, sonner le glas du transport aérien courte et moyenne distance.

Quelqu’un a dit « Hyperloop » ?

Un article rédigé par Marianne Benichou