Télétravail : quelles modalités au lendemain de la crise sanitaire ?
Le confinement généralisé de mars 2020 pour lutter contre la crise sanitaire mondiale a engendré une adoption massive du télétravail des salariés du secteur tertiaire, modifiant profondément les modes de travail et les organisations internes. Pour répondre à ce bouleversement, les entreprises ont dû se mobiliser en un temps record et mettre en place des outils digitaux collaboratifs, de nouveaux processus métiers ou encore accompagner les managers dans le pilotage de leurs équipes à distance.
Plus d’un an plus tard, quel bilan les entreprises tirent-elles de cette généralisation du télétravail ? Flexibilité, autonomie, gain de temps de transports : les avantages du télétravail sont nombreux. Souhaitant en profiter, 84% des salariés déclaraient vouloir continuer à télétravailler à hauteur de quelques jours par semaine à la sortie du premier confinement. Cependant, cette période a également révélé un certain nombre de risques liés au travail à distance, comme la perte du sentiment d’appartenance ou encore les risques psycho-sociaux (stress, burnout).
Pour préparer la sortie de la crise sanitaire, les entreprises travaillent depuis plusieurs mois sur la définition des conditions de travail de demain. C’est dans ce contexte que VERTONE a lancé une étude en mars 2021 pour analyser les stratégies d’entreprise de 10 grands groupes français. L’objectif ? Comprendre leur vision du travail hybride, les modalités concrètes relatives au télétravail ou encore les dispositifs d’accompagnement des collaborateurs. Nous aborderons dans cet article les étapes de la mise en place de la politique de télétravail, les équipements et outils mis à disposition des salariés, les dispositifs d’accompagnement ainsi que les moyens de pilotage de l’activité à distance.
Précision : l’étude a été menée sur 7 acteurs du secteur banque / assurance, 1 acteur de l’énergie, 1 acteur du transport et 1 acteur de la logistique. La collecte des données a été réalisée à travers des entretiens à distance avec des directeurs ou responsables RH ainsi qu’à travers l’étude des accords entreprise publiés récemment.
Etape 1 : Construire un cadre précis de mise en œuvre de la politique télétravail
Avec le déconfinement et l’allégement du protocole sanitaire, les entreprises s’interrogent sur le nombre de jours de télétravail qu’elles vont désormais accorder à leurs salariés. Un nouvel équilibre doit être trouvé, avec 1, 2 ou 3 jours de télétravail et le reste du temps passé sur le site de l’entreprise.
L’étude « Penser les lieux et les espaces de travail de demain », réalisée en octobre 2020 par l’ANVIE, montre que les collaborateurs souhaitent toujours passer la majorité de leur temps de travail sur le site de l’entreprise. Lorsqu’on leur demande comment ils souhaiteraient répartir leur temps de travail entre l’entreprise, la maison et les tiers lieux (des lieux de travail partagés et flexibles tels que des espaces de coworking, des work cafés ou des centres d’affaires), le bureau en entreprise arrive en tête (55% du temps de travail), devant la maison (37%) et les tiers lieux (8%).
Sur les 10 acteurs interrogés par VERTONE, 9 octroient deux jours de télétravail par semaine. 7 acteurs sur 10 offrent une flexibilité sur le choix des jours en télétravail. Le lieu de travail reste pour la majorité des entreprises la résidence principale ou secondaire en France Métropolitaine. Seul un acteur de l’assurance autorise le télétravail depuis les espaces de coworking.
Dans les nouveaux accords qui ont été conclus, le télétravail est désormais ouvert à tous les métiers dont le type de poste le permet. Seuls les métiers qui traitent des données sensibles ou qui nécessitent un équipement spécifique (ex : ordinateur puissant) sont exclus.
Nous avons constaté que les conditions d’accessibilité au télétravail ont été considérablement assouplies ces derniers mois. Cependant, un certain nombre de critères d’éligibilité doivent être remplis par les collaborateurs :
- Plus de la moitié des acteurs étudiés demandent la réalisation d’un bilan ou d’un autodiagnostic pour certifier l’aptitude du collaborateur à télétravailler.
- 7 acteurs sur 10 ont mis en place une période d’adaptation durant laquelle le salarié comme le manager peuvent à tout moment mettre une fin au dispositif de télétravail en cas de raison légitime. Cette période de test dure généralement 3 mois.
- Tous les acteurs étudiés accordent la possibilité de faire du télétravail pour les contrats en CDI ou CDD ayant leur période d’essai validée. 40% des acteurs offrent cette possibilité également aux alternants et 30% aux stagiaires, sous réserve de l’acceptation de leur manager.
- Le niveau d’ancienneté requis pour prétendre au télétravail est très variable d’un acteur à un autre et peut varier de 2 mois jusqu’à 12 mois. L’ancienneté requise dépend principalement du degré d’intégration du salarié pour garder le lien avec ses collègues et obtenir la confiance de son manager.
En complément de ces critères, la plupart des acteurs ont construit une procédure précise de mise en place du télétravail décrivant les prérequis à remplir par le collaborateur.
- L’ensemble des acteurs requiert un espace de travail dédié adapté (domicile ou autre lieu personnel) pour assurer un niveau de confidentialité suffisant ainsi qu’une connexion internet haut débit.
- Ils demandent tous a minima une souscription à une assurance multirisques habitation, et pour certains une couverture responsabilité civile.
Les indemnités versées aux collaborateurs réalisant du télétravail sont très variables d’une entreprise à une autre. Certains acteurs versent une prime télétravail lors de la première inscription au dispositif. L’enveloppe allouée varie entre 100 et 150€ et vise à couvrir une partie des frais d’équipement du collaborateur à domicile (écran, bureau, chaise…). D’autres accordent un forfait journalier ou mensuel. Certaines n’offrent aucune indemnisation.
Etape 2 : Fournir les équipements et outils adéquats
Une fois que l’entreprise a défini les modalités pratiques pour faire du télétravail, se pose la question des équipements et des outils qu’elle doit mettre à disposition de ses salariés pour leur assurer un environnement de travail adapté.
Concernant les équipements, l’ordinateur portable, la souris et le casque audio sont les principaux équipements pris en charge par l’entreprise. La moitié des acteurs étudiés mettent à disposition de leurs collaborateurs un ou deux écrans de PC et quelques-uns offrent également des claviers.
Pour ce qui est de la téléphonie, trois acteurs offrent des solutions de softphonie (logiciel installé sur le PC du collaborateur permettant de passer des appels grâce au wifi) et seulement deux acteurs équipent leurs collaborateurs en smartphone.
Une seule entreprise sur les dix interrogées propose un fauteuil ergonomique.
Pour faciliter le travail à distance, les entreprises mettent en place de nouveaux outils collaboratifs. Parmi les outils cités, on observe la généralisation d’outils existants comme :
- L’intranet entreprise pour faciliter les échanges d’informations
- Teams, Google Meet ou Zoom pour animer des réunions à distance
- Un espace capitalisation pour centraliser les données importantes et les connaissances de l’entreprise
- Des communautés d’expertise ou métiers pour favoriser l’entraide entre les collaborateurs
- Des journaux internes ou newsletters pour informer les collaborateurs des dernières actualités
En plus de ces outils, les acteurs mettent en place de nouveaux outils collaboratifs :
- Klaxoon, un logiciel de plus en plus utilisé pour animer des réunions ou des ateliers de travail
- Un réseau social d’entreprise, qui encourage davantage les échanges et l’entraide entre collègues (Yammer, Facebook entreprise)
- Des outils de planification du télétravail, déployés pour offrir de la visibilité sur les jours de présence sur site et à distance (Jooxter, Coviflex, Semana)
Etape 3 : Accompagner les collaborateurs au quotidien
Afin d’accompagner les collaborateurs à s’habituer aux nouveaux modes de travail, des dispositifs d’accompagnement sont mis en place aussi bien pour les salariés que pour les managers.
L’un des principaux enjeux des entreprises pendant la période de crise a été de maintenir le lien entre les collaborateurs et de conserver la cohésion des équipes ainsi que le sentiment d’appartenance à l’entreprise.
Pour améliorer l’expérience collaborateurs, les entreprises interrogées mettent en place 4 principaux dispositifs de communication :
- Pour maintenir l’engagement des collaborateurs comme des réunions d’équipe hebdomadaires en présentiel ou des petits déjeuners virtuels.
- Pour échanger sur les bonnes pratiques du télétravail : points individuels réguliers pour partager des bonnes pratiques, animer des réunions à distance, réaliser des webinars mensuels sur les nouvelles pratiques de travail ou encore des échanges à propos de l’ergonomie du poste de travail.
- Pour maintenir la santé et le bien-être des collaborateurs : une plateforme dédiée à la santé qui encourage à la pratique du sport, un club bien-être psychologique qui permet d’échanger sur des initiatives personnelles.
- Pour être à l’écoute de l’humeur des collaborateurs : un baromètre QVT (qualité de vie au travail), des enquêtes récurrentes sur le bien-être des collaborateurs, un suivi régulier de la satisfaction des collaborateurs à travers le réseau social interne.
Les managers ont également dû être accompagnés dans leur changement de posture managériale pour passer d’une culture de moyens à une culture de résultats. Par exemple, le temps de présence effectif sur site ne doit pas être un critère de performance absolu ; un livrable rendu à temps en revanche peut l’être.
Les dispositifs classiques de formation des managers ont été complétés en 2020 par un volet dédié au travail à distance. Plusieurs acteurs ont organisé des ateliers de travail pour réfléchir à l’organisation du travail en entreprise de demain (animation des réunions d’équipe, déroulement des échanges bilatéraux avec son supérieur, appréhension de la charge de travail…). D’autres ont coconstruit des chartes de fonctionnement avec leurs équipes.
Les acteurs interrogés ont également témoigné avoir travaillé sur une cible en termes de posture managériale pour les années à venir, axée sur la responsabilisation des salariés, la bienveillance, la culture du feedback, de l’échange et le développement de l’engagement des salariés.
En parallèle de ces dispositifs, des plans de formation et d’accompagnement au changement sont déployés progressivement aussi bien pour les collaborateurs que pour les managers.
- Des chartes ou des guides synthétiques sont mis à disposition généralement via l’intranet. Ils définissent le cadre du télétravail, des bonnes pratiques, les leviers à activer pour maintenir la performance de son équipe ainsi que des FAQ.
- Des formations à distance sous forme de modules d’e-learning sont déployées sur les spécificités liées au télétravail, les astuces pour maintenir le lien avec son équipe ou le pilotage de l’activité à distance. Certains acteurs forment leurs collaborateurs également sur la prise en main des équipements techniques mis à disposition ou les nouveaux outils digitaux déployés.
Enfin, l’ensemble des acteurs déclarent avoir des projets d’aménagement des bureaux à court et moyen terme pour favoriser le travail collectif. Nous avons identifié les initiatives suivantes :
- Mettre en place le flex office pour repenser l’organisation et la capacité des locaux
- Concevoir de nouveaux espaces dédiés aux échanges informels
- Supprimer la majorité des bureaux individuels
- Aménager plus de salles collaboratives
Etape 4 : Piloter l’activité des collaborateurs à distance
La dernière étape pour assurer la pérennité des dispositifs de télétravail est le pilotage de l’activité des collaborateurs à distance.
A travers cette étude, nous avons constaté une réelle difficulté des acteurs à fixer des indicateurs de suivi ou encore des objectifs chiffrés :
- Un tiers des acteurs déclarent se baser essentiellement sur la confiance et la transparence des échanges pour piloter les équipes.
- Deux acteurs évoquent la mise en place de points de suivis dédiés pour échanger davantage sur la charge de travail et la gestion du temps professionnel / personnel.
- Seulement deux acteurs ont fixé des indicateurs de suivi liés à la qualité de vie au travail, au nombre d’actions de formations réalisées et suivent régulièrement le temps de déconnexion de leurs salariés.
- Ils s’accordent tous sur la nécessité de passer d’une culture des moyens à une culture de résultats et sont toujours à la recherche des moyens les plus efficaces pour y arriver.
Un article rédigé par Ioana Bratosin