03/11/21

Les assurtech : nouveaux concurrents ou partenaires des assureurs traditionnels ?

Grâce aux progrès technologiques et investissements réalisés ces dernières années, les assurtech connaissent une montée en puissance et certaines d’entre elles commencent à trouver leur positionnement auprès des assurés, qu’ils soient particuliers en B2B, ou bien professionnels ou entreprises en B2B, ou auprès des assureurs traditionnels en tant que partenaire ou prestataire de service.

Nouveaux venus incubés sous forme de start-up, les assurtech n’héritent pas de systèmes d’informations âgés, générateurs de « dettes » technologiques parfois lourdes à combler. Elles sont en mesure de s’appuyer sur les technologies socles que sont l’intelligence artificielle, le Big Data, les objets connectés ou encore la blockchain en misant sur le retard des acteurs qui sont déjà établis sur le marché de l’assurance.

Du prérequis technologique, les assurtech ont consolidé leurs forces autour de deux principaux piliers : l’optimisation et l’amélioration de la chaîne de valeur assurantielle & l’innovation au service d’une nouvelle expérience client. Comment les assurtech se positionnent-elles dans l’univers de l’assurance : en tant que nouveaux concurrents ou en partenaires des assureurs traditionnels ?

Les nouvelles technologies au service de l’optimisation du modèle assurantiel

Les assurtech ont su bâtir des modèles d’affaire incorporant très peu d’intervention d’humaine, induisant en conséquence une logique de réduction des délais et des coûts et une amélioration de la qualité de service. Les solutions proposées permettent l’optimisation de l’ensemble de la chaîne de valeur assurantielle et la construction de modèles d’affaires plus vertueux.

Une conception et une tarification innovante

Les assurtech innovent dans la conception de nouveaux modèles d’offre comme l’assurance à la demande ou à l’usage, l’assurance comportementale, l’assurance collaborative, l’assurance contextuelle. Ces modèles, encore peu généralisés, contribuent à renouveler les pratiques dominantes du marché. A force d’itérations et d’évolutions, un ou plusieurs de ces modèles vont certainement trouver leur « maket fit » à court ou moyen terme.

Une nouvelle tarification des produits et offres

Sur le segment de la tarification, l’intelligence artificielle est la technologique la plus fréquemment utilisée. Les assurtech se positionnent en tant que prestataires technologiques pour les assureurs « traditionnels ». A titre d’illustration, Akur8 révolutionne la fixation des prix en assurance par le développement d’une solution de tarification, construite sur des algorithmes de machine learning propriétaires. Ceux-ci automatisent la modélisation des risques tout en conservant une transparence et un contrôle complet sur les modèles créés.

Des technologies novatrices de distribution et de souscription d’assurances

La plupart des assurtech positionnées sur la vente en assurance s’inscrivent dans des schémas classiques de prestation ou de courtage (ou MGA, soit « Managing General Agent » pour certaines), mais se différentient par la nature des technologies utilisées.

Les courtiers innovent par l’usage de plateformes digitales, de comparateurs de prix et de robo-advisors permettant un conseil automatisé et personnalisé, avec une promesse de création de valeur pour les clients finaux. Par exemple, Nalo propose un robo-advisor pour organiser le patrimoine des clients en fonction de leurs objectifs financiers.

Les prestataires entendent développer la force de vente des assureurs et améliorer leurs processus de conversion client via des solutions accompagnant les équipes commerciales ou encore les clients finaux. L’assurtech Zelros met à disposition des assureurs des solutions pour prioriser les opportunités commerciales, fournir des conseils et aider à choisir la couverture adaptée aux besoins des clients ou encore automatiser le processus de souscription tout en gérant la détection de la fraude documentaire.

De nouveaux partenaires du quotidien

Les assurtech présentes sur le segment opérationnel de la chaîne de valeur se positionnent en tant que partenaires des assureurs. Ils utilisent la blockchain, le Big Data, la RPA ou les objets connectés pour faciliter, voire automatiser la gestion des contrats, des sinistres, la relation avec le souscripteur ou encore les investissements financiers des assureurs.

L’automatisation de certaines tâches répétitives permet de réduire la charge de travail, les délais, le risque d’erreur et le coût des opérations. Par exemple, Owi a développé une solution capable de traiter automatiquement une majorité de courriels émis par les assurés en adressant des réponses personnalisées.

Le traitement avancé et rapide des données permet d’optimiser le règlement des sinistres ou d’améliorer la détection de comportements frauduleux. Shift Technology est une assurtech française spécialisée dans la détection de fraude et dans l’automatisation de la gestion des sinistres par l’usage de l’IA. L’entreprise déclare signaler automatiquement les réclamations potentiellement frauduleuses avec un taux de pertinence de 75%. L’automatisation de la gestion des sinistres est par ailleurs rendue possible grâce à la plateforme de Shift Assurance Luke, qui offre de puissantes fonctionnalités et une rapidité opérationnelle dans l’aide à la vente et dans la gestion des sinistres. Il est déjà en usage chez Natixis Assurance, CNP et la Maif.

Innover en s’adaptant aux nouveaux usages et à l’évolution des modes de consommation

Le second pilier constitutif du dynamisme des assurtech sur le marché est leur adaptation aux nouvelles tendances comportementales et aux exigences du client 3.0. Les assurtech tirent profit de la révolution des usages et contribuent à édifier de nouveaux modèles d’offre en assurance, se positionnant ainsi à l’avant-garde de l’expérience client. Les nouvelles attentes comprennent notamment :

  • La dématérialisation : Les assurtech incarnent le zéro papier et l’essor du « 100% digital ». Historiquement, les démarches administratives ont toujours été traitées en physique, ce qui rallonge les délais de traitement et multiplie les risques de défaut. L’accès aux dossiers ou le suivi du remboursement de sinistres est désormais possible en un clic depuis son ordinateur ou son smartphone. Par exemple, Assurly propose une assurance emprunteur 100% digitale, contractable en France à partir de son téléphone mobile.
  • L’instantanéité : Traditionnellement, les assureurs et les courtiers peinaient à communiquer de manière efficace, avec des procédures généralement étalées sur plusieurs jours ou semaines. A l’inverse, grâce au recours à l’intelligence artificielle ou la blockchain, les assurtechs promettent des délais de réponse réduits, voire des réponses instantanées. Plusieurs acteurs peuvent aujourd’hui offrir une indemnisation instantanée à la suite d’une déclaration d’un sinistre. A l’instar de Moonshot Insurance, qui propose des assurances contextuelles BtoBtoC avec une expérience 100% digital pour permettre une indemnisation immédiate et sans justificatif requis.
  • La transparence : Les entreprises et les consommateurs sont de plus en plus sensibles à la transparence des frais dans un marché où les acteurs traditionnels peuvent faire preuve d’opacité à ce sujet. Les assurtech révolutionnent l’offre assurancielle en pratiquant la transparence et expliquant leurs tarifs, ce qui facilite le choix, à l’aune du développement des comparateurs. Otherwise, récemment rachetée par Lovys et qui propose une assurance communautaire Auto, Santé et animaux, rassemble les assurés dans des groupes de taille réduite pour valoriser l’entraide. Les petits sinistres sont payés grâce à un pot commun constitué en début d’année par groupes d’assurés de 50 à 150 personnes. En fin d’année, le montant restant dans le pot commun est redistribué entre les membres du groupe.
  • La compétitivité-prix : La réduction du budget disponible des ménages contribue à accentuer l’exigence prix, y compris sur les services financiers. Les assurtech ont misé sur la compétitivité prix et sont en mesure de proposer des tarifs inférieurs au marché, grâce à leurs modèles innovants. Luko propose à ses clients d’installer des capteurs connectés et intelligents pour prévenir les risques de leur foyer et mieux gérer leur consommation énergétique, permettant une offre 20% moins chère que la concurrence pour les immeubles.
  • Le sur-mesure : Les assurtech disposent d’une capacité de segmentation plus fine, à la faveur de l’exploitation poussée du Big Data, et se distinguent par la conceptualisation de modèles d’offres ciblés, privilégiant la personnalisation du produit, prix, service et de la relation client. A titre d’exemples :
    • Tulip se revendique en tant que première assurance « d’objets à la journée » et propose par exemple une assurance kitesurf ou vélo modulable dans la durée : à la journée, au mois, ou à l’année.
    • Wilov est une assurtech qui s’inscrit dans l’assurance auto selon le principe du pay as you drive : la tarification est fonction du nombre de jours où l’assuré utilise son véhicule.
  • La flexibilité : Conjointement à l’intensification de la concurrence, consécutive de la généralisation de la loi Hamon en Santé, ou de la loi Bourquin pour l’emprunteur, les assurtech ont élaboré des offres sans engagement, adaptées à la sortie du modèle du client captif. Ces offres peuvent le plus souvent être souscrites pour une durée correspondante à l’usage de l’assuré ou sont résiliables à tout moment.
    • Leocare propose une offre 100% mobile et sans engagement pour l’automobile et l’habitation dont les options peuvent être activées ou désactivées en un clic.
    • Lovys propose une solution d’assurance 100% digitale, tout-en-un et flexible. Les abonnements sont mensuels, sans engagement et une seule interface suffit pour gérer l’ensemble de ses besoins en assurance.
  • La simplicité : L’assurance implique des produits très complexes et techniques, souvent déclinés dans un langage « d’expert » et peu assimilable. Les assurtech ont pris le parti de la lisibilité et tendent à proposer une gamme d’offre réduite et simple, avec des bénéfices formulés en langage client. De même le design des applicatifs et interfaces proposées est souvent minimaliste, renfort d’une expérience allégée. Alan, par exemple, est une assurance digitale spécialisée dans la santé et prévoyance en BtoB, proposant aux entreprises une couverture simple en deux formules : l’une de base (Alan Green) et l’autre prémium (Alan Blue). L’offre est dématérialisée, sans engagements et comporte des garanties claires et un niveau de couverture élevé.

Les assurtech et les assureurs « traditionnels » : concurrence ou complémentarité ?

Outre ces atouts, trois fragilités majeures peuvent menacer les assurtech :

  • La solidité financière : Les assurtech ne disposent pas des réserves de capitaux nécessaires et sont dépendantes des levées de fonds pour se développer du fait de leur faible taille et de leur récence.
  • L’intensité concurrentielle : L’engouement des clients pour les assurtech et l’irruption de nombreux acteurs ces dernières années implique une concurrence forte, en particulier sur le segment de la distribution. Celle-ci suppose une pérennisation possible pour un nombre limité d’acteurs, et l’impératif de se démarquer et de répondre au mieux aux besoins des clients
  • La proximité humaine : Les assurtech ne disposent pas de réseaux denses de conseillers, pivot de la relation client en assurance, et primordiaux dans l’accompagnement et la commercialisation de produits, en particulier sur le segment vie. Malgré la tendance de la dématérialisation, le contact humain reste essentiel, que ce soit pour l’accompagnement dans les projets ou pendant les coups durs. Les assurtech peuvent alors pâtir de l’absence de relai physique à leurs canaux digitaux auprès de certains publics.

Même si certains acteurs comme Alan ou Seyna ont obtenu le statut de porteur de risque et préemptent des parts de marchés, peu d’assurtechs ont la capacité de se positionner en tant que concurrents directs des acteurs traditionnels. La grande majorité des assurtech opèrent en tant que courtiers d’assurance ou fournisseurs de technologie pour les acteurs du secteur, et ont opté d’emblée pour un positionnement complémentaire.

Le foisonnement technologique est un point de ralliement entre acteurs et peut être stimulé pour développer des synergies, repenser les modèles d’affaires et poursuivre la transformation de la chaîne de valeur en assurance au service de la création de valeur pour les clients.

De nombreux partenariats gagnant-gagnant entre assurtech et acteurs traditionnels commencent à voir le jour, et il est très probable que ce modèle s’inscrive dans la durée. Un des principaux enjeux à court terme sera de trouver le partenaire idéal, à la fois capable de créer de la valeur et compatible du point de vue de l’ADN et des valeurs, et à moyen terme de réussir à maintenir une relation de confiance tout en continuant à innover et se différencier.

Un article rédigé par Ali Romdhani et Arnaud Bertin