Pouvoir d’achat : face à un contexte de crise inédit, quelles réponses des enseignes de la grande distribution ?
Depuis plusieurs mois, les différents médias français et étrangers présentent une inflation historique affectant le pouvoir d’achat de millions de consommateurs. En France, les chiffres de l’INSEE montrent que l’inflation est un phénomène systémique, mais en forte hausse depuis le début d’année, notamment en raison de la hausse du prix de l’énergie, de l’alimentaire et des produits manufacturés (6,2% pour l’année 2022 selon les dernières estimations).
Cependant, si on compare cette croissance de l’inflation à son impact sur l’évolution du pouvoir d’achat, L’INSEE nous indique que celui-ci ne recule que de 1% après n’avoir cessé de croître les dix dernières années.
En considérant ces chiffres, nous pourrions nous demander si les Français vivent une véritable crise du pouvoir d’achat ?
Selon de récentes enquêtes, 1 français sur 2 a le sentiment que les prix ont augmenté et commence à renoncer à certaines dépenses. Les prix de l’alimentaire ne cessent en effet de grimper avec une hausse de 11,8% d’après les chiffres du mois d’octobre de l’INSEE qui pourrait atteindre les 15% d’ici la fin de l’année si on considère les références stars des paniers d’achat. Quant aux baromètres des grandes enseignes, ils indiquent une hausse des ventes des produits de marques de distributeurs et produits premiers prix et une baisse drastique des achats de produits frais (+16,9% d’augmentation de prix au mois d’octobre selon l’INSEE et -6,4% de vente en volume depuis le début de l’année selon une étude Kantar).
Un arbitrage entre les dépenses contraintes et non essentielles s’observe aussi depuis plusieurs mois avec un recul des ventes des équipements à la personne ou de la maison. Enfin, on observe que cette perception d’augmentation des prix est d’autant plus présente chez les foyers les plus vulnérables (selon une étude Kantar, sur un an, la perception que les prix ont fortement augmenté touche 72% des vulnérables).
Cette crise est donc bien réelle mais nécessite une analyse démoyennisée des chiffres pour s’apercevoir qu’elle touche finalement plus fortement une partie de la population. En effet, ce contexte de pression économique va d’abord contraindre le budget des plus modestes déjà affectés par une crise salariale et sociale diffuse.
En complément de la loi « Pouvoir d’achat » mise en place par le gouvernement, les enseignes ont elles aussi déployé des actions et développé de nouvelles offres pour aider les Français à préserver leur budget ?
Ainsi, les distributeurs ont renforcé leurs campagnes de communication pour affirmer leur positionnement de « défenseur du pouvoir d’achat », réaffirmer leur engagement auprès des consommateurs et conserver une dynamique de gain de parts de marché. En termes d’investissement, il semblerait que les acteurs de la grande distribution aient en priorité investi pour compenser la hausse de leurs prix d’achat et reculer la répercussion de cette hausse sur le prix final pour le consommateur.
En parallèle, la majorité des grandes enseignes ont répondu à la crise du pouvoir d’achat au travers d’offres « anti-inflation », en majorité promotionnelles, avec des produits à prix bloqués ou des paniers « essentiels » à 30 ou 50 euros.
Ces actions restent finalement assez généralistes, accessibles à tous et s’adressent tout autant à des clients au budget contraint qu’à des clients très “promovores”. Ainsi, en considérant que la crise du pouvoir d’achat touche en réalité plus fortement les ménages avec des budgets modestes et accentue une ligne de fracture au sein de la population, il devient plus que jamais essentiel pour les distributeurs de proposer des offres adaptées à leurs clients.
Un ciblage plus précis des populations en mal de pouvoir d’achat adresserait donc le sujet de façon plus juste
Dans les faits, on observe bien une première tentative de ciblage des populations les plus affectées puisque les populations aisées ne sont pas celles qui consomment habituellement des produits de marques de distributeurs ou de premiers prix – qui composent majoritairement ces offres commerciales « anti-inflation ». Aussi, une minorité d’enseignes ont déjà développé des solutions plus ciblées. Intermarché a ainsi créé l’offre « petits budgets » qui propose 5% en avantage carte tous les jours pour les clients porteurs de la carte fidélité et présentant un quotient familial inférieur ou égal à 850€. L’enseigne Casino propose quant à elle une réduction du prix de l’abonnement « CasinoMax » pour les étudiants et les seniors.
Cependant, ce modèle pourrait être affiné et complété en identifiant précisément les consommateurs dans le besoin. Dans la conjoncture actuelle, cette identification est selon nous, VERTONE, un enjeu majeur et un levier de différenciation clé pour les acteurs de la grande distribution.
Les enseignes pourraient ainsi cibler les consommateurs historiques de premiers prix ayant diminué le volume de leurs achats ou encore distinguer les clients friands de promotion de ceux achetant de la promotion par contrainte budgétaire. En termes de dispositif, les ressources internes des distributeurs comme la data clients et les outils CRM déjà en place pourraient être utilisés et optimisés à ces fins. Les enseignes pourraient dès lors, avec cette segmentation client plus précise, proposer un niveau de personnalisation plus poussé avec des offres qui seraient proposées aux clients selon leur besoin du moment. Ainsi, des campagnes pourraient, selon le type de clients, pousser des produits alimentaires essentiels à un prix avantageux ou des promotions plus généralistes sur l’ensemble du panier. Grâce à une offre pleinement adaptée à chaque client, la générosité allouée serait aussi mieux répartie.
Au-delà de l’aspect prix, les enseignes ont aussi une responsabilité dans la qualité des produits proposés même dans un contexte inflationniste
En effet, de nombreuses études démontrent que la qualité des produits consommés, prioritairement d’un point de vue santé et innocuité, reste au cœur des préoccupations des Français, toutes tranches de revenus confondues. Ainsi, il serait pertinent de considérer la crise du pouvoir d’achat sous un angle nouveau, en ne la considérant pas uniquement sous le prisme du prix mais aussi de l’équilibre. Équilibre entre l’accès à un produit à un prix adapté au contexte mais aussi d’une bonne qualité.
Le véritable levier de différentiation des enseignes résiderait donc dans la réconciliation du prix et de la qualité
Après avoir identifié les clients des enseignes les plus attentifs à ces sujets, il n’en demeure pas moins que l’accès à cette qualité peut rester problématique du fait de la barrière du prix. Les produits de marques de distributeurs pourraient dès lors y voir une opportunité.
En effet, les progrès certains réalisés dans la composition et la qualité de ces produits qui restent compétitifs pourraient réconcilier prix et qualité. Carrefour a par exemple déjà développé une initiative en ce sens en fin de parcours sur son site e-commerce. En effet, en fin de panier et grâce à un « filtre responsable », le client a la possibilité d’afficher des produits participant au « mieux manger » en alternative à son panier initial. Bien souvent, ce sont des produits de la marque distributeur qui ressortent en remplacement de produits de marques nationales. Cette mise en avant permet donc au client d’accéder à des produits qualitatifs tout en réalisant des économies sur son panier final et, on peut le supposer, de regagner la confiance de certains consommateurs.
En synthèse, cette crise du pouvoir d’achat touche l’ensemble des Français mais impacte davantage certains ménages. Les dépenses contraintes étant directement touchées, les grandes enseignes ont un rôle majeur à jouer. Des offres assez généralistes ont pour l’instant en majorité été proposées alors qu’une offre affinée pourrait davantage soutenir ceux qui souffrent réellement de la crise. Enfin, réconcilier prix et qualité pourrait rééquilibrer les inégalités d’accès à certains types de produits tout en devenant un élément de différenciation face à la concurrence.
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