New Retail #1 – Le juste prix et le paradoxe du consommateur
Alors que l’inflation atteint un niveau inédit en France depuis 1985 en se situant à 5,2% en moyenne sur l’année 2022 (source : Insee, décembre 2022), accélérée par la flambée des prix de l’énergie, de l’alimentation et des produits manufacturés, la réflexion autour du « juste prix » devient plus que jamais un sujet d’actualité.
Si la notion de « juste prix » interpelle depuis plusieurs siècles, cette dernière a évolué au gré des mutations sociétales et de la conception de la consommation. Au 11ème siècle, St Thomas d’Aquin introduisait déjà dans cette notion, l’idée d’une profitabilité pour le bien commun, au-delà d’un intérêt individuel ou bilatéral. La recherche du « juste prix » est donc un sujet de société, reflet des grands enjeux d’une époque et qui, pour notre génération, est liée à des problématiques telles que la mondialisation, le développement durable, la relocalisation ou encore le progrès technique.
Pour les enseignes et les marques, la complexité de la notion de « juste prix » réside dans les aspirations contradictoires des individus, tiraillés entre une posture de consommateur citoyen, leurs contraintes économiques et dans le même temps leur envie de produits de qualité, qui leur fassent plaisir. Le rapport qualité/prix est ainsi le premier critère de décision dans le choix d’un produit, et ce, devant le prix en lui-même (source : LSA, juin 2021). Face à la volatilité de ces critères de décision, y compris pour un même individu, l’enjeu pour une enseigne est d’opter pour le prix qui soit le plus cohérent avec son positionnement de marque et sa stratégie globale. Le bon prix est donc une notion, toute relative et sa définition peut se faire dans une perspective de pouvoir d’achat, de perspective marché et chaîne de valeur ou d’impact sociétal. Certains modèles ambitieux permettent cependant de réconcilier l’ensemble de ces dimensions.
1/ Le prix juste pour le pouvoir d’achat du consommateur
Dans un contexte inflationniste et de réduction du pouvoir d’achat, le prix juste peut être celui qui permet aux ménages de maintenir leur niveau de consommation ou d’en limiter l’érosion. De multiples tactiques marketing sont utilisées par les enseignes pour laisser penser au consommateur qu’ils bénéficient du prix qui les avantage le plus de ce point de vue.
Parmi les stratégies marketing « classiques », les enseignes peuvent avoir recours à un effet de gamme « premier prix » à l’image de distributeurs comme Intermarché et sa marque « Top Budget ». En affichant deux prix dont un « prix barré », certaines enseignes cherchent à mettre en valeur une promotion et un avantage pour le client avec un sentiment de rareté et d’urgence, une stratégie fréquemment employée pendant les périodes de promotion. Les prix bas peuvent également être au cœur de l’image de marque, comme c’est le cas pour Lidl qui se donne comme mission de rendre la qualité accessible à tous.
Des modèles économiques se sont également développés autour de l’agrégation et la comparaison d’offres. Sur le marché du voyage, Kayak promet par exemple de trouver le meilleur prix pour réserver son billet d’avion ou son hôtel. Enfin, une stratégie peut consister à adapter les prix en fonction d’un engagement sur les volumes, comme le fait Metro, une offre souvent plus adaptée au B2B.
À l’inverse, prenant le contre-pied des discounters et de la guerre pour les prix les plus bas, certains commerçants proposent des alternatives pour affirmer la notion de prix juste, et ce, sans négocier sur la qualité. Cela peut se matérialiser par une adaptation du prix à l’usage comme le fait SNCF en proposant aux usagers des lignes de Nouvelle-Aquitaine une formule d’abonnement évolutive en fonction du nombre de trajets réalisés grâce à l’application FlexTER. Cela peut également passer par la construction d’une image premium, comme Balzac Paris qui met en avant sa décision de ne pas faire de promotions et de maintenir des prix fixes toute l’année, en la présentant comme un gage de qualité.
2/ Le prix juste d’un point de vue marché ou chaîne de valeur
Au-delà d’un point de vue purement individuel, la notion de prix juste peut se concevoir dans un contexte de marché, comme un équilibre entre l’intérêt du consommateur, celui du producteur et du distributeur, pour que chacun y trouve son compte.
La tarification dynamique est une solution utilisée dans plusieurs secteurs pour adapter le prix en fonction de l’offre et de la demande. Uber adapte de cette manière le prix de la course, avec un système de majoration lors des pics de demande, visant à inciter les chauffeurs à prendre des voyageurs. Sarenza utilise également ce principe de tarification évolutive qu’elle fait varier en fonction de l’écoulement des produits pour optimiser ses stocks.
Sur des marchés marqués par une tension économique et un appauvrissement, certains acteurs vont jusqu’à repenser leur chaîne de valeur, dans l’optique de proposer un prix qui rémunère correctement tous les intermédiaires. Pour y parvenir, la marque de mode Basus, engagée contre la surproduction et l’hyperconsommation, a opté pour une tarification qui repose sur un système de production à la demande et sur-mesure, en éliminant ainsi les coûts liés aux stocks et invendus. Une autre marque de mode Everlane, affiche une stratégie tarifaire « transparente » en détaillant pour chaque produit le détail des coûts de production unitaire.
3/ Le prix juste d’un point de vue sociétal
Dans un contexte d’urgence climatique et de crise économique, les modes de consommation évoluent pour s’ancrer de plus en plus dans un référentiel de valeurs et de normes. Le nouveau consommateur citoyen intègre des critères de décision liés au bien commun et non plus à son seul intérêt individuel, permettant aux enseignes d’assumer des prix plus élevés, à condition d’un gain sociétal ou environnemental.
En contrepartie de promouvoir le savoir-faire national, Le Slip Français affiche un prix en moyenne deux fois plus élevé que ses concurrents. Avec l’objectif de préserver l’environnement et inciter les usagers à limiter leur consommation d’eau, Rennes Métropole a instauré une tarification écologique progressive. Alter Eco a fixé un prix « équitable » pour ses produits afin de permettre de financer des chaînes commerciales plus courtes et de soutenir les producteurs sans compromis sur la qualité.
Pour adresser la problématique de la solidarité économique mais également de l’inclusion numérique des foyers défavorisés, Orange propose l’offre « Coup de pouce », destinée aux personnes avec un quotient familial inférieur à 700€ et qui pour une formule à 19,99€ par mois, permet d’acheter un ordinateur portable reconditionné pour 175€.
4/ Le prix juste qui réconcilie réalité économique et consommation responsable
Certaines marques cherchent finalement à réconcilier pouvoir d’achat et consommation responsable, afin de résoudre les aspirations contradictoires des consommateurs.
Pour toucher du doigt cet équilibre, Jules a allié relocalisation de sa production et innovation technologique afin de produire des vêtements équitables, respectueux de l’environnement et à prix accessible. C’est qui le patron ?! a conquis les consommateurs français et européens en commercialisant des produits dont le prix est défini en fonction d’un cahier des charges choisi par les consommateurs par consultation et visant à rémunérer au mieux le producteur, tout en les informant sur l’impact de chaque décision sur le prix du produit fini. Un modèle qui se veut transparent et responsabilisant pour les consommateurs, ainsi placés au cœur du processus de décision.
Enfin, dans la lignée du courant de pensée « l’économie frugale » qui questionne le progrès technique à tout prix et défend une production mesurée visant à faire mieux avec moins, Dacia a employé une démarche d’écoconception pour produire la Dacia Logan en réexploitant des pièces de voitures et avec un concept se résumant à l’utilité première du véhicule : transporter des passagers de manière sécurisée
Conclusion : quelles perspectives pour les marques dans un contexte inflationniste qui modifie le comportement des consommateurs ?
Malgré la volonté de certaines marques d’intégrer des enjeux de responsabilité sociale et environnementale dans leur stratégie tarifaire, doit-on craindre que les perspectives inflationnistes ne rebattent les cartes et freinent le développement de ces initiatives ?
L’évolution des comportements d’achat des Français depuis six mois, qui se sont orientés davantage vers les marques distributeurs (pour 22% des consommateurs), (source : rapport Yougov, juin 2022), et l’augmentation de la part du critère prix dans le choix d’un produit (+4 points), montre que dans un contexte de crise, les consommateurs tendent à adopter des réflexes de « survie » en priorisant leur pouvoir d’achat, au détriment de préoccupations pour le « bien commun », laissant présager une aggravation de la tension autour des prix dans le secteur de la distribution.
Retrouvez également notre deuxième article de la série New Retail sur la personnalisation dans l’expérience client et notre troisième article sur les clients ultra-connectés et l’exigence d’instantanéité.
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