Les DNVB, d’une innovation retail disruptive à un modèle de marques globales ?
Dans un contexte de généralisation des usages numériques de consommation, à l’heure où les enseignes traditionnelles tentent d’opérer une digitalisation de leurs modèles parfois à marche forcée, quelques beaux succès comme Sézane, Jimmy Fairly ou encore Fenty Beauty ont mis en lumière le modèle des DNVB (Digital Native Vertical Brands), apparu il y a quelques années. « Digital native », c’est-à-dire lancées initialement sur un modèle de distribution 100% digitale et « verticales » car elles tendent à supprimer les intermédiaires sur la chaîne de valeur pour s’adresser directement à leurs clients finaux, les DNVB ont révolutionné les codes du retail grâce à des modèles économiques efficients et des stratégies marketing novatrices et engageantes.
Entre 2020 et 2021, le marché français des DNVB a connu une croissance de 32% en passant de 447 à 592 marques en activité (source : Panorama des DNVB 2021), pour une augmentation du chiffre d’affaires global de 59% à 2,7 milliards d’euros. Si ces chiffres témoignent d’une dynamique globale du secteur, ils occultent néanmoins les disparités qui existent au sein du marché. Si certaines DNVB connaissent des jours florissants, d’autres peinent à trouver les clés pour poursuivre leur croissance au-delà de leur clientèle d’origine. Venant s’ajouter au contexte initial, la crise sanitaire de la COVID-19 n’a fait qu’exacerber ces difficultés et révéler des limites inhérentes au modèle des DNVB.
Au regard de l’analyse des stratégies mises en place par les marques les plus performantes du secteur, quels enseignements en tirer sur les clés de développement du modèle des DNVB et les leviers pour transformer ce qui était un modèle retail innovant en marques globales ?
Les DNVB, un modèle innovant fondé sur des prix plus justes, une grande maîtrise des canaux digitaux et une proposition de valeur différenciante
La verticalité de leur modèle permet d’abord aux DNVB de garder le contrôle de leur chaîne de valeur, de la conception jusqu’à la commercialisation. L’absence ou le faible nombre d’intermédiaires leur confère un avantage pour proposer des prix « plus justes » et plus transparents, à l’instar de Jimmy Fairly qui propose des lunettes 3 à 5 fois moins chères qu’un opticien traditionnel. La marque de linge haut de gamme Bonsoirs, promet également à ses clients de concilier une qualité irréprochable et une production locale avec des prix abordables : à partir de 144€ pour une parure de lit complète.
Digitales par essence, les DNVB se distinguent par une maîtrise des codes des réseaux sociaux qui constituent ainsi un canal de communication et d’acquisition privilégié (63% des ventes réalisées). Le modèle mobile-first proposé par les DNVB (88% du trafic réalisé sur mobile contre 40% à 70% pour une marque traditionnelle), est exploité pour concevoir des parcours d’achat optimisés. Il donne des résultats intéressants en termes de performance digitale en comparaison avec l’e-commerce traditionnel. Si le taux de conversion moyen des DNVB est légèrement inférieur à la moyenne (2,27% contre 2,96%), le taux de réachat est en revanche nettement supérieur, (34% contre 14% en moyenne), démontrant une capacité à fidéliser davantage les clients. Enfin, l’importance des réseaux Paids comme canal d’acquisition de prédilection (84% des clients acquis), permet aux DNVB de plaire à une clientèle assez jeune (33 ans d’âge moyen) mais occasionne des coûts d’acquisition assez élevés autour de 26€ par client (source : Digital Native Group, Baromètre 2022 des DNVB et Fevad).
Enfin, la spécificité des DNVB réside dans des propositions de valeur différenciantes, pouvant inclure des services additionnels et construites sur des valeurs telles que la responsabilité, l’authenticité ou la personnalisation. Jimmy Fairly annonce minimiser l’impact environnemental de ses produits grâce à l’usage de l’Eco Acetate, une matière première végétale et biodégradable. Bonsoirs, propose à ses clients un service de recyclage, grâce à un partenariat avec Tizu un fabricant de meubles upcyclés. Enfin certaines DNVB ont recours à la cocréation pour garantir la singularité de leurs produits et engager leurs clients, comme la marque française de textile Asphalte, qui conçoit ses vêtements en questionnant ses clients sur leurs attendus, en termes de couleur, de taille, de finition, de matières etc.
Le casse-tête de la croissance pour les DNVB, au-delà de leurs premiers succès auprès d’une clientèle connectée et acquise à leur proposition de valeur
La faillite brutale de Made.com, DNVB emblématique du secteur de l’ameublement d’intérieur et encore valorisée à 925,7 millions d’euros à la Bourse de Londres en 2021, est révélatrice des grandes difficultés rencontrées par la plupart des DNVB, dont le modèle a été mis à l’épreuve lors de la crise sanitaire. Néanmoins, si les conséquences de l’épidémie de Covid-19 ont fragilisé beaucoup de DNVB, les amenant parfois jusqu’à la faillite, elles n’ont fait qu’amplifier des problématiques déjà existantes.
Tout d’abord, les DNVB font face à une limite d’échelle et à des difficultés pour continuer à croître au-delà de leur communauté de clients d’origine, en raison d’un ancrage à la fois digital et local, en termes de marketing, de communication et de distribution. Si les DNVB ont réussi dans un premier temps à s’imposer auprès des nouvelles générations ultra-connectées grâce à une stratégie d’acquisition sur les réseaux sociaux et des contenus différenciants, elles font désormais face à une concurrence accrue sur ces canaux, accentuée par la digitalisation rapide des marques traditionnelles pendant la crise sanitaire. Pour les DNVB, cette concurrence a pour effet une augmentation des coûts d’acquisition digitale, avec une surenchère sur le prix des posts sponsorisés.
La limite d’échelle des DNVB réside également dans la complexe internationalisation de leur modèle économique. Pour s’implanter à l’étranger, les DNVB font face à deux principaux enjeux : l’adaptation de leur proposition de valeur pour une autre culture et un contexte économique différent, mais également le dilemme de la production entre la constitution d’une chaîne de production dans le pays cible ou l’organisation de la livraison depuis le pays d’origine, avec les contraintes induites en termes de logistique. La marque française Tediber, spécialiste de la literie, a ainsi vu son développement freiné en Italie et en Espagne, à cause d’un pouvoir d’achat plus bas qu’en France et de son obligation de revenir sur son engagement d’une livraison en 24h, en raison de ses contraintes d’approvisionnement.
Pour finir, si les DNVB ont apporté des propositions de valeur différenciantes et engagées, elles sont paradoxalement mises de plus en plus en difficulté sur leur promesse client, dans un contexte d’attentes toujours plus fortes des consommateurs sur l’adéquation entre la communication des marques et la réalité de leur stratégie. Plusieurs DNVB ont ainsi été fortement éprouvées par des révélations sur des partis pris opposés à leur positionnement. La marque de bijoux Lou.Yetu qui revendiquait une production parisienne, a ainsi été l’objet d’une avalanche de commentaires négatifs sur ses réseaux sociaux, à la suite de plusieurs témoignages d’employés faisant état de harcèlement moral au travail, et de révélations sur la provenance de Chine des pièces vendues.
Des DNVB aux ONVB : le futur modèle de marques intégrées et omnicanales ?
Au sein du marché contrasté des DNVB, certaines marques figurent parmi des exemples de réussite y compris au sein du marché français. Parmi elles, on peut citer Miliboo, le producteur et distributeur de meubles et de décoration qui a atteint la rentabilité en 2020 avec 18 millions d’euros de CA puis 39 millions en 2021, après avoir capitalisé sur un partenariat avec M6 et Stéphane Plaza pour augmenter sa notoriété. Dans la beauté, Fenty Beauty s’est fait une place parmi les marques les plus performantes du secteur avec 1600 points de vente dans 17 pays à travers le monde et se tourne à présent vers le continent africain, dont le marché de la beauté est estimé à 14 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2022.
L’analyse croisée des stratégies gagnantes de ces DNVB permet d’identifier trois caractéristiques communes : la capacité à élargir la clientèle au-delà d’une communauté early adopters, le développement d’une distribution omnicanale notamment grâce à un réseau de points de vente physiques et une accélération des investissements sous l’effet d’un financement externe ou du rapprochement avec une grande marque.
Dans la perspective de toucher une clientèle diversifiée, prérequis d’une croissance long-terme, l’omnicanalité est un enjeu clé pour les DNVB. En effet, la diversification des canaux de vente permet de renforcer l’image de marque auprès d’une clientèle plus traditionnelle, de développer de nouvelles innovations en termes d’expérience client et de toucher une nouvelle clientèle. Cette hybridation peut passer par le développement d’un réseau en propre ou par des partenariats avec des revendeurs (wholesale ou concept stores par exemple).
Les financements extérieurs constituent un levier de croissance décisif pour les DNVB : en 2022, 32% des DNVB ont eu recours à une levée de fonds ou ont bénéficié du rapprochement avec une grande marque. En effet, parce qu’elles proposent des modèles alternatifs ou complémentaires à la distribution traditionnelle, les DNVB peuvent attirer les convoitises de la part des enseignes classiques, conduisant à des rapprochements qui peuvent prendre différentes formes : acquisition ou prise de participation, partenariat ou même encore lancement par les enseignes de leurs propres DNVB. Côté enseignes, le rapprochement des DNVB peut se justifier pour trois principales raisons : acquérir leurs connaissances et savoir-faire en matière de communication, distribution digitale et marketing communautaire et toucher une clientèle plus jeune, principalement constituée de Millenials. Parmi les rapprochements entre grandes marques et DNVB, on peut citer l’acquisition par But de 70% des parts de Drawer, une DNVB spécialisée dans le mobilier design, afin de bénéficier d’un apport en compétences pour sa digitalisation et sa modernisation. Dans les exemples de lancement en propre d’une DNVB, le groupe Etam est à l’origine de la marque Livy, positionnée sur la lingerie premium.
Finalement, si les DNVB ont contribué à transformer durablement les codes du retail au cours de la dernière décennie, poussant les marques traditionnelles à se réinventer, elles tendent maintenant à évoluer vers un nouveau modèle de marques intégrées : les ONVB (Omnichannel Native Vertical Brands). Leur particularité : conserver les forces initiales des DNVB en termes de positionnement, transparence, proximité et ce tout en intégrant une stratégie multicanale pour devenir des marques globales.
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