19/06/24

Face à l’augmentation de la précarité, de nouveaux modèles de distribution de l’aide alimentaire émergent

La distribution de l’aide alimentaire est aujourd’hui prise en tenaille entre l’augmentation de la demande et la stagnation des collectes. Pour y faire face, les associations diversifient les modèles et les formats de distribution, à l’exemple des épiceries sociales et solidaires.

Une augmentation forte du nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire

En 10 ans, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a été multiplié par trois. Cette augmentation s’explique par plusieurs facteurs :

  • La hausse de l’inflation alimentaire, qui atteint un record en 2023 (11,9%) par rapport à 2022, qui enregistrait déjà une hausse record. Mais contrairement à 2022, l’augmentation des prix a particulièrement affecté les produits de base et essentiels à une alimentation saine : +40% pour les carottes, +23% pour le lait ½ écrémé, +21% pour l’huile d’olive, +20% pour le riz et +15% pour le sucre… De manière significative, trois catégories de produits recommandés par le Programme National Nutrition Santé (PNNS) pour un repas équilibré ont subi une inflation supérieure à 18% : les produits sucrés, les matières grasses et, en particulier, les produits laitiers.[1]
  • L’émergence de nouveaux profils de précarité : la paupérisation touche de plus en plus de retraités et d’étudiants, ainsi qu’un nombre croissant de travailleurs précaires. D’après les données de l’INSEE, parmi les ménages vivant sous le seuil de pauvreté, 27% sont constitués de retraités disposant de faibles pensions, 18% des ménages insérés dans l’emploi percevant de faibles revenus et 11% concernent des individus de moins de 30 ans[2].
  • La hausse des maladies chroniques comme le surpoids, l’obésité ou le diabète. Ainsi, en 2021, en France, 12 millions de patients souffraient d’une maladie chronique reconnue dans le cadre du dispositif d’affection de longue durée (ALD). La prévalence de ces maladies est passée de 14,6 % en 2008 à 17,8 % en 2021[3], notamment du fait du vieillissement de la population française.

Une collecte de plus en plus difficile pour les associations

Parallèlement, les associations d’aide alimentaire disposent de moins de capacités qu’auparavant pour collecter les produits. Les volumes collectés sont en stagnation, à la suite des conséquences de la poussée inflationniste de ces deux dernières années. La ramasse – collecte des invendus réalisée par les associations auprès des grandes surfaces – qui constituait jusqu’alors la source traditionnelle d’approvisionnement subit une réduction notable.

Cette contraction est due à l’apparition de nouveaux acteurs privés tels que Phenix ou Too Good To Go, ainsi qu’à l’instauration d’un cadre légal rigoureux visant à combattre le gaspillage alimentaire dans le secteur agroalimentaire et de la grande distribution, illustré par la Loi EGALIM. La gestion optimisée de la chaîne d’approvisionnement et la revente à prix coûtant apparaissent aussi comme des facteurs explicatifs.

La diversité des formats d’aide alimentaire

La distribution de l’aide alimentaire prend plusieurs formes pour s’adapter aux populations requérantes. Elle peut être :

  • Fixe : la distribution a lieu dans des endroits dédiés ; c’est le cas notamment des épiceries sociales et solidaires
  • Itinérante : l’exemple en est donné par les maraudes, par lesquelles des bénévoles de terrain fournissent aux sans-abris de la nourriture, des boissons chaudes ou des produits de première nécessité, et ce, principalement dans les grandes villes. Mais la distribution itinérante peut également passer par des camions allant à la rencontre des personnes situation de précarité les plus isolées sur le territoire français.
  • À distance : le format colis correspond à un don de denrées alimentaires pouvant être consommées directement. Pratique car rapide et ne nécessitant pas de logistique complexe comme un local, il est aujourd’hui le format de distribution alimentaire le plus utilisé en France (utilisé par environ 70% des demandeurs). Cependant, il ne permet pas aux bénéficiaires de pouvoir sélectionner eux-mêmes leurs denrées et d’être accompagnés plus spécifiquement.
  • Ponctuelle : la distribution se fait à des endroits qui changent en fonction des semaines pour toucher plus de personnes

Pour la majorité de ces formats, l’accès à ces distributions alimentaires se fait à la suite d’un examen des revenus des bénéficiaires. Plusieurs conditions doivent être remplies afin de pouvoir profiter de ces dispositifs. Les assistantes sociales jouent un rôle clé pour identifier ces personnes et les accompagner dans leurs démarches.

Deux nouveaux modèles de distribution : les épiceries sociales et solidaires et les restaurants sociaux et solidaires

Un nouveau type de distribution fait son apparition depuis quelques années : les épiceries sociales et solidaires. Elles permettent à leurs bénéficiaires de pouvoir choisir directement les produits en payant une contribution dans un endroit spécifique présenté comme un commerce de proximité. Ces lieux fixes proposent également un accompagnement social pour ceux qui le souhaitent. En pleine croissance, ce format correspond aujourd’hui à environ 20% de la distribution de l’aide alimentaire.

Ce système présente cependant certaines contraintes, nécessitant des bénévoles ou des employés, une logistique complexe, un local attribué, une gestion rigoureuse des approvisionnements ainsi qu’un étiquetage adéquat des produits. Ce modèle s’avère plus coûteux pour les associations.

Les restaurants sociaux sont un dispositif mis en place pour développer le lien social. Autour d’un repas chaud et équilibré, les bénéficiaires sont invités à partager un repas avec d’autres personnes en situation de précarité. Dans la continuité de ce modèle, des restaurants solidaires voient également le jour pour permettre d’accueillir un public plus large – et promouvoir ainsi la mixité sociale.

Bien qu’encore peu répandus, ils représentent environ 10% des distributions alimentaires. À l’instar des épiceries sociales et solidaires, cette approche présente des défis logistiques, nécessitant un plus grand nombre de bénévoles ou d’employés, un espace dédié, ainsi que des installations de cuisine adaptée.

Conclusion

La distribution d’aide alimentaire en France est confrontée à un double défi : répondre à une demande croissante dans un contexte d’inflation record et de diversification des profils de précarité, tout en gérant des ressources stagnantes. Les associations innovent avec des formats variés pour s’adapter aux besoins spécifiques des bénéficiaires, malgré les contraintes logistiques et financières.

Les épiceries et restaurants sociaux et solidaires émergent comme des solutions prometteuses pour offrir choix et dignité aux personnes bénéficiaires, tout en favorisant la mixité sociale. Ces nouveaux modèles, bien que plus coûteux, apparaissent comme des contributions fortes à la lutte contre la précarité alimentaire et l’isolement social.


[1] Observatoire des prix des biens de consommation courante, association Familles Rurales, Janvier 2024

[2] « Pauvreté et territoires : davantage de jeunes et de locataires du parc social dans les grandes villes, plus de retraités parmi les pauvres dans le rural », INSEE, 03/10/2023

[3] « Mieux connaitre et évaluer la prise en charge des maladies chroniques : lancement de l’enquête PaRIS en septembre 2023 », DRESS (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), 11/07/2023

Un article rédigé par

Delphine J
Delphine J

Manager

Natacha M
Natacha M

Consultante