« Réindustrialisation responsable » : comment faire de l’ESS un levier de croissance de la réindustrialisation ?
Définie dans la loi du 31 juillet 2014 comme « un mode d’entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine », l’économie sociale et solidaire (ESS) pèse aujourd’hui pour plus de 200 000 structures et plus de 2 millions de salariés, soit 14% des emplois du secteur privé en France selon ESS France.
Pour autant, lorsque l’on focalise sur les secteurs d’activité des entreprises de l’ESS, l’action sociale, les activités financières et d’assurance, l’enseignement ressortent en tête ; et loin derrière les filières industrielles. En croisant les données des entreprises industrielles selon l’INSEE et des structures répondant à la définition de l’ESS, nous estimons en effet qu’environ 1 400 structures industrielles sont issues de l’ESS, soit moins d’1% des entreprises du secteur, et 43 000 salariés, soit 1,3% du total des effectifs du secteur.
Sur la chaîne de valeur de l’industrie, ces acteurs de l’ESS sont concentrés sur le transport logistique amont/aval et la collecte de tri (entreprises de l’économie circulaire), sur la sous-traitance industrielle lors des phases de fabrication et assemblage produit, et plus largement sur les services RH (intérim d’insertion).
À l’aune de France 2030 et des enjeux de réindustrialisation en France, le développement de ces acteurs ESS à vocation industrielle pourraient représenter un levier « d’industrialisation responsable », qui reste aujourd’hui freiné par plusieurs obstacles. Missionné par la Banque des Territoires sur ce sujet, nous avons interviewé plus de 80 acteurs du secteur afin de mettre à plat ces obstacles et d’identifier des leviers de développement. Retour sur les grands enseignements et trois cas d’usage de collaborations entre grand compte industriel et ESS qui nous ont particulièrement marqués.
Nos grands enseignements pour faire de l’ESS un levier de croissance de la réindustrialisation
Méconnaissance mutuelle et risque de concurrence entre acteurs traditionnels et ESS
L’un des principaux obstacles réside dans la méconnaissance mutuelle entre les acteurs de l’ESS et les entreprises industrielles traditionnelles. Cette méfiance découle souvent d’une incompréhension des modèles économiques et des objectifs de chacun, rendant complexes les collaborations.
De plus, les entreprises de l’ESS sont très localisées et qui peuvent difficilement jouer sur un effet d’échelle sur les coûts. Elles font face à une concurrence de la part d’acteurs privés qui sont organisés en réseaux, comme les sous-traitants historiques des grands groupes, ou de nouvelles startups responsables, qui n’ont pas les mêmes contraintes légales ou financières.
>> Levier proposé : Promouvoir les coopérations économiques entre les entreprises de l’ESS et les acteurs industriels classiques. Des initiatives comme celles du groupe SEB, La Poste ou Saint Gobain, qui développent des écosystèmes territoriaux et créent des synergies durables, montrent la voie (cf. ci-dessous).
Accès limité aux financements et à l’immobilier industriel
L’accès aux financements adaptés reste un défi majeur pour les structures de l’ESS, souvent en raison de leur statut juridique spécifique – par exemple, les financements en fonds propres sont impossibles pour les entreprises sous le statut association ou SCOP. Or, pour développer des projets innovants ou accéder à l’immobilier industriel (usines, machines…), Les besoins en capitaux sont importants et difficiles à satisfaire pour ces petits acteurs.
>> Levier proposé : Adapter les stratégies et outils de financement existants pour mieux répondre aux besoins spécifiques de l’ESS. Par exemple, la structure VALO’ a créé une holding pour attirer des investisseurs, contournant ainsi les limitations de financement associées à son statut de SCOP. De plus, la mise en place de stratégies foncières facilitant l’accès des entreprises de l’ESS à des locaux industriels semble essentielle, comme par exemple la réhabilitation de friches industrielles.
Difficulté à recruter et à conserver les talents
Les entreprises de l’ESS peinent à attirer des talents, notamment dans les fonctions techniques et stratégiques, en raison des salaires modestes comparés à ceux du secteur industriel classique (salaire médian des emplois cadres de l’ESS est inférieur de 2 500 euros à celui du marché, selon une étude APEC en 2023). Par ailleurs, le niveau de compétence et de qualification attendu dans le monde industriel demande aux entreprises de l’ESS un haut niveau de formation qu’il est souvent compliqué d’acquérir.
>> Levier proposé : Renforcer l’attractivité des métiers dans l’ESS par des campagnes de communication et développer des programmes de formation à impact. Des initiatives comme la campagne de communication “Avec l’Industrie” par OPCO 2i, visant à valoriser les métiers industriels et à attirer de nouveaux talents, sont des exemples inspirants en la matière.
3 cas d’usage de collaborations entre grand-compte industriel et ESS
1/ La Poste et Nouvelle Attitude
Nouvelle Attitude, entreprise d’insertion créée en 2008 et rachetée par La Poste en 2012, était initialement spécialisée dans le tri fin et le négoce de papier. Grâce à ce rachat, elle a pu diversifier ses activités en incluant le recyclage de capsules de café, de films plastiques et de textiles professionnels, ainsi que le reconditionnement de matériel informatique et de flottes de vélos de facteurs. En 2023, Nouvelle Attitude a accompagné 197 personnes sur 8 départements, avec une durée moyenne d’insertion de 13 mois et un taux de sortie dynamique de 75%.
2/ RepareSeb, joint-venture entre Ares et Groupe Seb
Créée en 2021, cette joint-venture sociale entre le Groupe Ares (51% du capital) et le Groupe Seb (49%) se concentre sur le reconditionnement et la réparation d’appareils électroménagers. Initiée par la Ville de Paris, qui a financé une partie des travaux d’aménagement, RepareSeb contribue à l’économie circulaire en offrant un service de réparation de proximité et en vendant des produits reconditionnés à prix réduit. Le Groupe Seb apporte son expertise technique et est à la fois le premier client et fournisseur de RepareSeb.
3/ Saint Gobain et Recyfe
Saint-Gobain a investi dans Recyfe, un réseau national de recyclage de menuiseries en fin de vie, composé d’une cinquantaine d’entreprises d’insertion et adaptées. Recyfe valorise les fenêtres en fin de vie pour récupérer le calcin, essentiel à la production décarbonée de nouvelles menuiseries. Cet investissement permet à Saint-Gobain de progresser vers son objectif de 50% de calcin dans la production de verre plat d’ici 2030, contribuant ainsi à son ambition de « net zéro carbone » à l’horizon 2050.
L’économie sociale et solidaire a le potentiel de transiter notre industrie vers un modèle plus responsable et durable. Les exemples de collaborations réussies entre grands groupes et structures de l’ESS montrent que des synergies bénéfiques sont possibles et déjà en cours. Cependant, pour maximiser cet impact, il est crucial de surmonter les obstacles identifiés et de mettre en œuvre les leviers proposés.
Pour en savoir davantage, découvrir des stratégies innovantes et des témoignages inspirants, nous vous invitons à télécharger l’étude de la Banque des Territoires en cliquant ici.
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