17/04/25

IA Médicale : un atout pour une meilleure prise en charge des patients ?

67,6%, c’est le résultat obtenu par l’IA Med-PaLM, développée par Google, à l’examen de médecine américain. Le score minimum de cet examen est de 60%. L’IA peut donc prétendre à l’obtention d’un diplôme de médecine aux États-Unis. C’est un scénario qui invite à se questionner : l’intelligence artificielle est-elle en passe de surpasser l’être humain dans le domaine des connaissances médicales ? L’avenir verra-t-il l’émergence de médecins entièrement automatisés ? Dans quelle mesure l’IA médicale constitue-t-elle un outil performant au service des professionnels de santé, notamment pour optimiser le parcours des patients ? Par ailleurs, quels sont les biais inhérents aux modèles d’intelligence artificielle et en quoi l’intervention humaine demeure-t-elle essentielle dans la prise en charge médicale ? Décryptage.

L’IA médicale, un outil facilitant le parcours des patients et les démarches des professionnels de santé

Au service des professionnels de santé

L’intelligence artificielle révolutionne le domaine de l’imagerie médicale en apportant des outils d’analyse avancés qui optimisent la précision et la rapidité des diagnostics. En imagerie médicale, des entreprises comme Paige – entreprise spécialisée dans le diagnostic des cancers – développent des algorithmes capables d’analyser avec précision des radiographies, des scanners et des IRM afin d’aider les médecins à poser un diagnostic plus rapide et plus fiable. Cette assistance technologique permet de détecter des pathologies complexes, comme les cancers ou les maladies cardiaques, avec une précision accrue, plus fiable que l’analyse humaine. Ici, l’analyse étant basée sur des patterns déjà identifiés pour chaque maladie, l’IA s’invite comme soutien à l’analyse et la pose de diagnostic avec un risque d’erreur maîtrisé.

Sur le terrain de la facilitation du quotidien des patients, le projet Medical Assistant, assistant de consultation développé autour de technologies d’IA et en cours de déploiement par Doctolib, doit permettre une automatisation de la prise de notes médicales des praticiens leur permettant de se concentrer pleinement sur l’échange avec le patient.

Enfin, l’IA optimise les parcours de soins en améliorant la gestion des ressources et des listes d’attente. Au Royaume-Uni, les hôpitaux du Cheshire et du Merseyside utilisent un algorithme développé par C2-Ai pour attribuer un score de risque aux patients en attente d’une intervention, en fonction de critères médicaux précis. Cette approche a déjà permis de réduire les complications post-opératoires et la durée des séjours hospitaliers pour près de 1 000 patients. Grâce à ces avancées, l’IA devient alliée des professionnels de santé, améliorant à la fois la qualité des soins et l’efficacité de la prise en charge dans les établissements de santé.

Au service des patients

En tant que patient, le parcours de santé peut se heurter à certains obstacles comme des délais d’attente trop longs pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste ou même un médecin généraliste, ou encore des problèmes de suivi post-consultation, notamment en cas  de maladie chronique ou traitements longs.

L’intelligence artificielle (IA) révolutionne la prise en charge des patients en offrant des solutions innovantes pour une gestion optimisée des traitements et un suivi médical plus personnalisé. Dans le domaine de l’observance thérapeutique, des applications mobile comme Medisafe, une entreprise de santé numérique qui propose une plateforme d’engagement pour aider les patients à gérer leur parcours thérapeutique,  utilisent l’IA pour aider les patients à mieux suivre leurs traitements médicaux. En envoyant des notifications adaptées aux habitudes du patient et en détectant d’éventuelles incompatibilités médicamenteuses, ces outils réduisent les risques d’erreurs et améliorent l’efficacité des traitements.

Le suivi post-consultation bénéficie également des avancées en IA, notamment avec des outils comme Jaide – start-up française qui utilise l’IA générative pour améliorer le suivi des symptômes des patients atteints de cancer – qui collecte les symptômes des patients via une interface intelligente et facilite ainsi la surveillance à distance par les médecins. Enfin, l’IA joue un rôle clé dans la médecine prédictive et préventive. L’entreprise franco-américaine Owkin, collabore avec les Hôpitaux de Paris pour développer des modèles prédictifs en oncologie, notamment pour anticiper les rechutes chez les patientes atteintes de cancer du sein précoce. Ces outils permettent de personnaliser les traitements en fonction des risques individuels. Ces innovations illustrent comment l’IA contribue à une prise en charge plus proactive et efficace des besoins de santé, offrant aux patients un accompagnement plus précis et adapté à leurs besoins.

Toutefois, derrière ces avancées se cachent des défis cruciaux liés à la fiabilité des algorithmes, aux biais des données et aux implications éthiques de son utilisation en santé.

Si l’IA apporte des avancées majeures dans le domaine médical, elle soulève également plusieurs défis en termes de fiabilité, d’éthique et d’accessibilité

Un biais algorithmique avec un risque d’erreur certain

L’une des principales préoccupations liées à l’IA en santé réside dans sa dépendance aux données et aux biais algorithmiques. Les modèles d’IA s’entraînent sur des bases de données qui peuvent être incomplètes ou biaisées en fonction des pays ou des populations étudiées, ce qui peut impacter la qualité des diagnostics. Le psychiatre et professeur français Guillaume Dumas souligne l’importance de considérer les aspects culturels et environnementaux dans l’utilisation de l’IA notamment en santé mentale. Il met en garde contre le risque d’une approche universelle selon lui à risque qui ne tiendrait pas compte des spécificités locales et culturelles.

De plus, certaines décisions algorithmiques peuvent être influencées par des considérations économiques ou politiques, soulevant la question de leur objectivité. Aussi, l’IA reste-t-elle une technologie émergente qui nécessite encore un cadre réglementaire adapté, notamment en ce qui concerne la responsabilité juridique : qui est responsable en cas d’erreur de diagnostic ou de mauvais traitement recommandé par une IA ? Autre défi majeur, l’IA ne prend pas en compte les facteurs émotionnels et contextuels, ce qui peut entraîner une déshumanisation des soins et nuire à la relation patient-soignant. Enfin, certaines études ont montré l’existence d’un biais de genre dans certaines applications de l’IA médicale, où les diagnostics et recommandations reproduisent les biais existants. L’exemple donné par l’ingénieure de recherche Audrey Baneyx est celui de risque d’infarctus du myocarde aujourd’hui sous-diagnostiqué chez les femmes, avec ou sans utilisation de l’IA.

Un sujet éthique en matière de traitement de données personnelles et de santé

L’utilisation de l’IA en santé soulève d’importantes questions éthiques et de confidentialité. Les données médicales étant parmi les plus sensibles, leur stockage et leur exploitation doivent être strictement encadrés. Le RGPD et les normes européennes imposent des règles strictes sur la protection des données. Par exemple, le principe de minimisation des données (article 5.1.c) stipule que seules les données strictement nécessaires à un traitement spécifique peuvent être collectées et utilisées, ou encore l’obligation de sécurisation et d’anonymisation des données (Article 32) oblige les responsables de traitement à garantir la confidentialité des données, notamment via le chiffrement et l’anonymisation.

Des risques persistent notamment face aux cyberattaques ciblant les hôpitaux. Ces dernières années, plusieurs établissements de santé ont été victimes de piratages de grande ampleur, mettant en péril les informations personnelles des patients et perturbant le fonctionnement des services hospitaliers. Cette préoccupation devient d’autant plus sensible que les applications et outils numériques en santé collectent également des données de santé. C’est le cas notamment de Doctolib avec sa fonctionnalité « Santé » lancé début 2025 ayant fait l’objet de nombreux points de vigilance dans la mesure où le patient peut se constituer un véritable carnet de santé en renseignant ses antécédents médicaux, ses traitements en cours, etc.

L’équilibre entre innovation et protection des droits des patients reste donc un enjeu clé pour l’IA en santé.

Des investissements importants nécessaires pour développer les innovations liées à l’IA

Si l’IA représente un formidable levier d’innovation, elle nécessite des investissements conséquents, ce qui limite son adoption par certains établissements de santé. Le développement et le déploiement de ces solutions engendrent des coûts élevés loin d’être toujours disponibles pour les acteurs de la santé, par ailleurs soumis à une augmentation des dépenses.

Cette situation pose la question des priorités budgétaires des hôpitaux et du risque de creuser les inégalités d’accès à l’innovation entre établissements bien financés et ceux disposant de moyens plus restreints. À l’échelle mondiale, l’adoption de l’IA en santé est également inégale, les pays les plus développés bénéficiant d’une avance technologique tandis que d’autres peinent à suivre, exacerbant ainsi les disparités en matière d’innovation médical et le risque d’émergence d’une « médecine à deux vitesses ».

Aussi, même si l’IA présente encore des limites d’ordre technique, et éthique, on peut imaginer un futur où elle facilitera tout de même l’accès aux soins, en supposant que des solutions soient trouvées pour éviter de creuser les inégalités d’accès à l’innovation entre les différents bénéficiaires de ces nouvelles technologies. C’est notamment l’ambition de projets tels que la plateforme numérique Panacée, développée par Liberté Living Lab, pour lutter contre les inégalités d’accès aux innovations thérapeutiques dans le cancer bronchique.

Cet outil gratuit et s’appuyant sur l’intelligence artificielle vise à mieux informer médecins et patients sur les thérapies ciblées.Il s’agit du premier commun numérique dédié au cancer : un outil d’information à jour sur les innovations thérapeutiques disponibles en France, ouvert aux patients et aux professionnels de santé.

En somme, l’intelligence artificielle révolutionne le parcours du patient en améliorant le diagnostic, le suivi et la personnalisation des soins. Elle représente une force incontestable en rendant la médecine plus rapide, plus efficace et mieux adaptée aux besoins individuels. Toutefois, son déploiement soulève d’importants défis éthiques, notamment en matière de protection des données, de transparence des algorithmes et de responsabilité médicale. Il est donc essentiel d’établir un cadre réglementaire et déontologique solide afin que l’IA demeure un outil au service du patient, garantissant à la fois performance et respect des principes éthiques fondamentaux.

Un article rédigé par

Axelle R
Axelle R

Consultante

Mathilde D
Mathilde D

Senior Manager