Textile : les enjeux d’adaptation de l’offre et de transformation du modèle de distribution
Nous avons partagé dans notre article « Le secteur du textile serait-il arrivé au bout de son modèle ? » un aperçu des conséquences de la crise du Covid-19 sur le secteur durement touché du textile.
Pour aller plus loin, VERTONE a identifié 3 grands enjeux à adresser par les acteurs du secteur du textile pour préparer l’après, certains relevant du court terme et d’autres du moyen/long terme. Dans un premier article, nous avons évoqué le 1er enjeu, court terme, qui consiste à reconquérir la clientèle
A présent, nous allons aborder les 2 autres enjeux stratégiques à relever selon nous par le secteur du textile : la nécessité de faire évoluer l’offre en anticipant les changements de comportements des consommateurs d’une part et de transformer en profondeur le modèle de distribution d’autre part.
Enjeu #1 : faire évoluer l’offre pour accompagner les évolutions des attentes et des comportements client a court / moyen terme
La crise du Covid-19, et les mesures de confinement qu’elle a induites, ont accéléré ou renforcé un certain nombre de tendances dans les évolutions des comportements. Au-delà des évolutions du comportement moyen des consommateurs, on constate dans la plupart des domaines des évolutions significativement plus fortes au niveau des comportements individuels, au moins pour une partie des consommateurs.
Une demande croissante de produits plus responsables
Pour certains clients, la réelle volonté de consommer mieux et moins et les préoccupations environnementales deviennent un critère de choix indispensable :
- La demande d’une consommation plus durable et responsable : Déjà plus d’un tiers des Français ont acheté de la mode durable ou responsable en 2019. Sur le modèle de Yuka, l’application Clearfashion se développe déjà pour noter les vêtements et montre l’intérêt croissant des consommateurs sur ces questions. Au-delà du Fashion Pact, des partenariats entre grandes enseignes et petites marques éthiques fleurissent, à l’instar d’Agnès b. qui vient de s’associer à Panafrica pour une collection de chaussures éthiques. Certaines grandes maisons boycottent la Fashion Week et décident de limiter leur collection à 2 fois par an (YSL, Gucci).
- La demande de local et d’ultra-local : En 2019, selon l’Insee, 87% de la consommation de textiles, de chaussures et de produits de l’industrie de l’habillement ou du cuir était importée. L’enjeu est d’actualité en étant un des piliers du « plan de relance » du gouvernement. Des initiatives se forment également, comme le Collectif Boutiques Made In France créé pendant le confinement qui réunit des boutiques indépendantes distribuant plus de 300 marques de fabricants français ou encore La Carte-Française, première carte cadeau multi-enseignes exclusivement dédiée au made in France. Certaines marques vont même jusqu’à proposer une offre « ultra-locale » de vêtements produits dans l’environnement immédiat du point de vente (la marque lilloise No.Co qui vend des t-shirts entièrement dessinés et fabriqués dans la région ou encore H&M qui a lancé à Berlin un petit magasin ultra local mêlant sa propre collection à des vêtements d’autres marques berlinoises et des vêtements d’occasion d’un partenaire local)
Une baisse du pouvoir d’achat engendrée par la crise
Pour d’autres clients, qui constatent ou anticipent une baisse de leurs revenus dans les prochains mois, suite à la crise économique actuelle, le prix et le pouvoir d’achat constituent une préoccupation centrale
Cela se traduira-t-il par une ruée vers les marques low-cost ? Par une accélération des remises dans les secteurs déjà fortement drivés par la promotion ? Ou au contraire les consommateurs décideront-ils de privilégier la qualité à prix plus élevé, tout en consommant moins ? Probablement un peu de tout cela à la fois.
De nombreuses enseignes de textile auront certainement du mal à apporter une réponse satisfaisante à la dispersion croissante des comportements et attentes de leurs clients : elles vont devoir faire des choix !
Une marque premium positionnée sur un segment haut de gamme pourra par exemple :
- Accepter de diminuer sa marge brute sur frais variables notamment pour proposer des produits plus qualitatifs
- Enclencher une réelle transformation RSE qui se traduira par des actions concrètes par exemple sur sa production textile qui pourrait de plus en plus se baser sur de l’économie circulaire
Une telle marque ne pourra par ailleurs que difficilement adresser le segment « bottom of the pyramid » dans le contexte actuel et y trouver une rentabilité certaine (sans dégrader son image de marque).
Au contraire, une marque dite « low cost » ou de « fast fashion », avec une clientèle dont le pouvoir d’achat sera encore plus faible qu’auparavant, pourra plus difficilement adopter une stratégie plus locale et RSE (car elle n’en aura probablement pas les moyens). En revanche, une telle marque pourra :
- Miser sur un « juste prix » plutôt que continuer une course à la promo
- Accepter de dégrader sa marge brute sur frais variable sur certaines catégories de produit par exemple pour proposer des produits plus qualitatifs et plus durable
- Diversifier son offre avec par exemple avec le business de la seconde main. Malgré les mesures sanitaires, le marché de l’occasion est en pleine effervescence : ses parts de marché ont augmenté de 3% au sortir du confinement (passant de 23% à 26%), et d’après une étude d’Opinion Way en mai, un Français sur trois se déclare prêt à se priver de produits neufs pour les vêtements. Les initiatives se multiplient, Kaporal ou encore Maison 123 viennent de lancer leurs plateformes de vide-dressing et Cdiscount vient de s’associer à Patatam pour proposer une offre de vêtements d’occasion.
ENJEUX #2 – FAIRE EVOLUER LE MODELE DE DISTRIBUTION A MOYEN / LONG TERME
L’usage des canaux digitaux et notamment du e-commerce s’est fortement accéléré durant la crise. Les enseignes qui ont pu limiter les pertes durant la période de confinement sont celles qui avaient su initier une transformation omnicanale de leur modèle de distribution depuis plusieurs années. Par ailleurs, l’actualité montre que les mesures sanitaires risquent de perdurer encore un moment, limitant ainsi l’impact du réseau de magasin. La réinvention du modèle de distribution à moyen / long terme semble donc devenir une nécessité absolue, notamment pour les acteurs du textile et la place du digital devrait ainsi être de plus en plus prédominante dans ce modèle.
Une stratégie de distribution diversifiée
Une stratégie de distribution intensive et multicanale peut s’avérer judicieuse pour faciliter l’accès au produit et améliorer le taux de couverture commerciale.
- Les réseaux sociaux comme canal de vente : Facebook par sa fonction « Boutique » et Instagram avec « Shopping » permettent de vendre directement via leur réseau social mais un autre schéma distribution devrait également fortement se développer : le « network social selling ». Ce dernier consiste à rémunérer les clients acheteurs qui partagent les photos de leurs achats sur les réseaux sociaux et les clients qui achètent ces produits partagés directement depuis la photo, comme le propose l’app 21buttons.
- L’hyper-distribution : L’utilisation toujours plus forte des sites de déstockage devrait permettre d’écouler le surstock d’articles mais aussi de cibler de nouveaux clients. Par ailleurs, les partenariats e-retail (via des acteurs comme Zalando, Spartoo, La Redoute, Asos…), devrait également permettre de toucher plus largement une clientèle potentiellement moins fidèle à la marque et qui ne serait pas venue en boutique ou sur le site de la marque naturellement.
- De nouveaux schémas de distribution : De nouvelles collaborations se développent depuis le début de la crise, à l’instar de Decathlon qui distribue depuis avril certains produits chez Franprix et depuis peu aussi chez Auchan ou C&A qui a ouvert plusieurs corners au sein de Géant Casino depuis le mois d’août.
Une rationalisation du réseau de points de vente en complémentarité avec l’e-commerce direct
Un point de vente physique est un coût fixe important (loyer / personnel) qui pèse sur la rentabilité dans le secteur du textile, notamment avec l’augmentation des loyers depuis les 10 dernières années (cf. notre article Le secteur du textile serait-il arrivé au bout de son modèle ? ). Il est donc important de pouvoir circonscrire de manière précise les différentes populations de magasins qui sont clairement en sous performance commerciale et d’anticiper leurs potentielles évolutions, repositionnement, voire fermetures.
Pour cela, il est important de tenir compte d’une combinaison de différents critères :
- Le poids des achats client dans le magasin
- La part de chiffres d’affaire réalisée sur via le digital par ce magasin (pour les enseignes dans lesquelles les ventes online sont rattachées aux magasins)
- Le montant des loyers (notamment pour les magasins présents dans des centres commerciaux ou certaines zones urbaines ou péri-urbaines désertées depuis la crise)
- Les coûts de personnel
Une analyse fine sur cette combinaison de critères permettra a minima d’avoir une vision précise des optimisations du parc actionnables rapidement, tout en misant le canal e-commerce direct en complémentarité.
L’optimisation de la chaîne logistique pour soutenir le développement du e-commerce
La mise en place d’une logistique plus souple est possible grâce au ship-from-store par exemple. Ce dispositif n’est pas vraiment nouveau pour les enseignes du secteur de l’habillement mais on constate que toutes ne sont pas matures sur le sujet. Durant le confinement, c’est Intersport qui a annoncé le retour du ship-from-store pour soutenir son activité e-commerce avec des commandes en partance de ses magasins.
Investir dans l’automatisation de sa logistique semble être particulièrement rentable sur le long terme : récemment, le groupe Casino s’est doté d’un nouvel entrepôt automatisé pour le lancement de la plateforme e-commerce Monoprix Plus. Basé de bout en bout sur la technologie Ocado, l’objectif sera de préparer une commande en six minutes tout en proposant plus de 50 000 articles.
En conclusion, il est clair qu’une transformation du secteur est plus que nécessaire et les leviers identifiés ci-dessus sont ceux sur lesquels les enseignes de mode doivent se pencher en priorité. Que ce soient les enjeux relatifs à la reconquête de la cliente, à l’adaptation de l’offre, à la compréhension des comportements client, à la transformation du modèle de distribution, autant de sujets clés sur lesquels VERTONE et ses équipes sont capables de vous accompagner.
Un article rédigé par Pierre Brun & Pascal Boulnois