03/03/13

LE COURRIER DANS L’ÈRE DE LA CONCURRENCE ?

Nous y sommes, enfin presque ! Initialement programmée au 1er janvier 2009 en France, l’ouverture totale du marché du courrier à la concurrence ne sera finalement effective qu’au 1er janvier 2011. Cette ouverture signifie la fin du monopole de La Poste sur les envois de correspondance < à 50 g, marché qui représente près des ¾ des volumes de courriers adressés.
Libéralisation, le mot est lâché. Cette ultime étape censée stimuler la concurrence au sein des pays européens devra permettre, d’après le régulateur, de faire baisser les prix et d’améliorer la qualité de service.

Plusieurs pays européens n’ont pas attendu 2011 pour libéraliser totalement leur marché postal : la Suède (1993), la Finlande (1995), la Grande-Bretagne (2006) et l’Allemagne (2008) ont déjà franchi le pas.
Bien que très attendue par les autorités de régulation nationales et par la commission Européenne, la concurrence sur ces marchés ne semble pas vraiment au rendez-vous… Ainsi, certains opérateurs, comme Royal Mail (Grande-Bretagne) conservent un quasi-monopole de leur activité courrier plus de 3 ans après l’ouverture totale du marché ; d’autres comme Deutsche Post (Allemagne) ou Posten AB (Suède) gardent encore près de 90% de parts de marché.

Cependant, certains nouveaux entrants aux Pays-Bas, et dans une moindre mesure en Allemagne, semblent tirer leur épingle du jeu. Il faut dire que les autorités de régulation hollandaise et allemande les ont choyés : au-delà des critères de poids, ces pays ont décidé d’ouvrir totalement des pans entiers d’activité du courrier (libéralisation du publipostage en Hollande, création d’une licence D en Allemagne dès 1998 permettant aux concurrents d’assurer des « services à valeur ajoutée » même pour les envois < 50g). De ce fait, les nouveaux entrants ont pu accéder très rapidement à un vaste terrain de jeu leur permettant de capter plus facilement des parts de marché.
Néanmoins, force est de constater que la concurrence a du mal à percer. Cette inertie s’explique en grande partie par la survivance d’obstacles qui n’incitent pas les nouveaux entrants à pénétrer les marchés postaux :

1. Une réglementation encore floue et non figée dans le marbre, notamment concernant :

– le financement du service universel postal (service qui oblige les opérateurs historiques à garantir un service postal de qualité en tout point du territoire et une distribution 6 jours sur 7) : le maintien de ce service représente pour l’opérateur historique un surcoût non négligeable en comparaison à un nouvel entrant non soumis à ces obligations (surcoût estimé en France à 944 millions d’Euros). Si différentes solutions de financement sont envisagées (gains de productivité, rationalisation, subventions de l’état, création d’un fonds de compensation alimenté par des taxes imposées aux nouveaux entrants…), les pays européens ne parlent pas tous de la même voix sur le sujet et les débats sont encore loin d’être clos.
Une chose est sûre : le fait que les règles du jeu ne soient pas encore clairement établies n’incite pas les nouveaux entrants à se lancer sur le marché du courrier !
– l’existence d’exonération de TVA sur les produits relevant du service universel postal : historiquement, les produits relevant du service universel postal sont exonérés de TVA (exemple du timbre Marianne) ; acceptable en situation de monopole, cette exonération engendre de nombreux risques de distorsion de concurrence dans des marchés libéralisés, les nouveaux entrants – non soumis aux obligations du Service Universel Postal – ne bénéficiant pas de ces avantages fiscaux sur leurs offres. Certains opérateurs historiques n’ont d’ailleurs pas hésité à profiter de cette situation : Deutsche Post et Royal Mail se sont ainsi fait « épingler » par la commission européenne à ce propos.
Afin d’accélérer le développement de la concurrence, il est désormais plus qu’urgent de traiter cette problématique d’exonération de TVA. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir sollicité le conseil européen ; mais ce dernier, tiraillé entre le fort lobbying des opérateurs postaux et les exigences de la commission européenne, n’est pas parvenu à mettre tout le monde d’accord… Affaire à suivre.

2. Une politique protectionniste de la part des gouvernements

C’est un réflexe naturel : dès qu’une entreprise « fierté nationale » est déstabilisée, les gouvernements usent de leurs armes pour défendre leurs fleurons. Le marché postal n’est pas épargné ; dernier exemple en date, l’ Allemagne : en 2008, au moment de la libéralisation totale de son marché postal, le gouvernement allemand a décidé d’instaurer un salaire minimum légal nettement plus élevé que les salaires payés par d’autres opérateurs postaux européens. Cette mesure a eu pour conséquence de décourager les opérateurs alternatifs, ne pouvant assumer de tels coûts salariaux.
Les réactions en chaîne ne se sont pas fait attendre : sachant qu’un opérateur historique ne peut pénétrer les marchés européens que si son marché domestique est totalement ouvert à la concurrence, TNT (opérateur postal historique hollandais), voyant les conditions d’accès au marché allemand se durcir, a exercé un fort lobbying auprès du gouvernement hollandais pour repousser la date d’ouverture totale du marché aux Pays Bas (prévue initialement en 2008, en même temps que l’Allemagne).
A ce jour, aucune date d’ouverture totale du marché hollandais n’a été avancée…

En France, la concurrence est quasiment inexistante

Dans l’hexagone, seul 1% du marché du courrier a été capté par les nouveaux entrants à fin 2008 ! En réalité, ces derniers ont conquis près de 5% du marché qui leur est ouvert (mais qui ne représente que 25% du marché du courrier adressé en valeur). Cependant, le terrain de jeu n’est actuellement pas suffisant pour pouvoir rivaliser avec La Poste ; Adrexo, le seul opérateur à s’être engagé dans l’envoi de lettres > 50 g a ainsi décidé de jeter l’éponge en mars 2008.
De l’aveu même de l’ARCEP, « il n’existe peu ou pas de concurrence sur le marché français ». Sachant qu’il convient d’atteindre une part de marché de 17% sur ce segment pour « espérer couvrir les seuls coûts opérationnels d’un réseau de distribution », nous sommes encore loin de la situation concurrentielle tant attendue…

Le danger de la concurrence vient d’ailleurs

A court terme, l’équilibre économique de l’activité courrier de La Poste (et plus généralement de tous les opérateurs historiques postaux) est plus fortement menacé par un double phénomène : rationalisation des envois de courriers publicitaires et concurrence d’Internet qui se matérialise par la substitution des flux papier en flux numériques.
La tendance est en effet à la « e-communication » : e-mail, e-facture, e-relevé, e-déclaration des revenus, e-feuille de soin, … Nombre de documents papier passent désormais au format numérique. Cette révolution numérique a clairement un impact sur le volume total de plis adressés : alors que ce volume baissait d’environ 1% par an sur le marché français, la baisse s’est accélérée en 2008 et sera certainement supérieure à 3% en 2009.
Au regard de ces chiffres peu enthousiasmants (1% de baisse des volumes correspond à une perte de 100 millions d’Euros sur le chiffre d’affaires de l’activité Courrier), les opérateurs historiques, et notamment La Poste, doivent dès maintenant trouver des relais de croissance afin de faire face à la montée en puissance de la dématérialisation. Et pourquoi pas, y prendre part…