25/11/20

Les marketplaces : un nouveau terrain de jeu pour les assureurs

Quel est le point commun entre Cdiscount, Rakuten, Blablacar, ou encore Back Market ? En plus d’être des marketplaces majeures en France, elles distribuent des assurances en complément des produits et services qu’elles fournissent à leurs clients.

Ces marketplaces reprennent les codes et le business model de la GSS (dépendance du résultat à la distribution de produits financiers – crédit à la consommation & assurances), qu’elles transposent sur le digital et jouissent de parts de marché de plus en plus importantes. En effet, d’après une récente étude Xerfi, celles-ci ont pesé pour 1/3 de la vente en ligne en France qui s’élève à 103,4 Md€ en 2019, et devraient continuer à connaitre une croissance à deux chiffres jusqu’à atteindre 39% du volume des ventes en ligne à horizon 2022.

Fortes de leur succès, une concurrence accrue s’est développée au fil des années, si bien que le marché arrive aujourd’hui à maturité. Les marketplaces sont donc contraintes à une réinvention permanente de leurs business models et à la recherche de nouveaux leviers de croissance.

C’est dans cette optique qu’un vif intérêt pour l’assurance s’est créé. En effet, certaines d’entre elles ont acquis le statut d’intermédiaire en assurances pour pouvoir distribuer des produits à leurs noms comme Blablacar avec leur gamme BlablaSure – assurée par AXA. D’autres marketplaces s’appuient sur l’article R513-1 du code des assurances qui permet à titre dérogatoire, et sous certaines conditions de distribuer des produits d’assurance.

Un nouveau modèle de distribution BtoBtoC émergeant : des partenariats win-win ?

Côté Marketplace : sécurisation des clients, développement de l’offre et diversification des revenus

En tant que tiers de confiance dont le but est la mise en relation de vendeurs et acheteurs, qu’ils soient particuliers ou professionnels, les marketplaces doivent rassurer leurs clientèles afin de garantir un lien de confiance indispensable quant à la réalisation des transactions. Et c’est dans cette optique qu’elles proposent des produits d’assurance qui permettent de couvrir les achats des clients contre divers aléas. C’est le cas de Click & Boat qui propose, en partenariat avec Allianz, une Assurance Plaisance pour couvrir les bateaux des loueurs selon le nombre de journées durant lesquelles le bateau est mis à disposition. On peut également citer Cdiscount qui met à disposition de ses clients des assurances casse, vol de produits nomades avec WAKAM et SPB, ou encore Rakuten en partenariat avec Moonshot-Insurance et Sogessur.

Par ailleurs, ces assurances représentent pour les marketplaces une opportunité d’étoffer leur gamme de services en commercialisant des garanties complémentaires à leur activité. C’est le cas de Wizbii, une plateforme créée en 2011 pour simplifier la recherche d’emploi pour les jeunes, qui s’est lancée dans la commercialisation de produits d’assurances santé et logement pour étudiant. Une mutuelle 100% digitale s’alignant sur les moyens de sa cible avec des prix disruptifs (de 9,90€ pour l’offre basique de couverture à 24€90 pour une couverture santé complète).

Enfin, dernier point mais non des moindres, les assurances représentent un moyen de diversifier leurs revenus. En effet, les marketplaces touchent des commissions de distribution qui leurs permettent de générer des revenus additionnels à leur activité principale. Ces commissions, généralement transparentes pour les clients finaux, sont des pourcentages des primes payées reversés par l’assureur.

Côté Assureur : acquisition de nouveaux clients, accès à de nouveaux marchés et renforcement de l’image de marque

Le principal intérêt de ces partenariats est de bénéficier de la base client déjà établie de la marketplace et de potentiellement recruter des clients que l’assureur n’aurait pas pu attirer grâce à ses canaux traditionnels. En effet, d’après la FEVAD, 92% des 18-24 ans et 94% des 25-34ans achètent en ligne notamment avec leurs smartphones. Ces plateformes représentent donc un levier de recrutement potentiel important, notamment auprès de la cible Millenials.

Également, ce modèle BtoBtoC permet aux grandes entreprises d’assurances d’accéder à de nouveaux marchés qui étaient initialement ciblés par des acteurs spécialisés. Le marché de l’assurance affinitaire, jusque-là adressé principalement par des courtiers tels que SPB ou SFAM en est le parfait exemple. Aujourd’hui, de plus en plus d’acteurs tels que Société Générale Assurances ou Crédit Agricole Assurances se positionnent dessus. Par ailleurs, MAIF dans le cadre de son plan stratégique 2020-2024 a décidé de laisser les commandes de la stratégie BtoBtoC à sa filiale Altima, qui portera la responsabilité des partenariats de distribution en assurances dommages.

En parallèle et dans le cadre de la concurrence entre assureurs, un modèle collaboratif avec des marketplaces constitue une véritable plus-value en termes d’image. En témoigne le bras de fer entre Allianz et AXA pour gagner l’appel d’offre de Blablacar. Assurer un des fleurons des startups françaises a permis à AXA de s’associer à l’image disruptive et positive de Blablacar. Une collaboration plus que fructueuse menant la licorne à créer sa propre marque d’assurance BlablaSur, derrière laquelle AXA continue de concevoir des produits d’assurance automobile allant au-delà des problématiques liées au covoiturage. Une manière également pour l’un des leaders de l’assurance de retravailler sa conception de produits d’assurance automobile et performer son image auprès des utilisateurs de BlaBlaCar.

Une démocratisation du modèle grâce aux évolutions technologiques

Les API : agents facilitateurs

Les API (Application Programming Interface) permettent d’établir des connexions entre plusieurs fonctionnalités, logiciels ou systèmes. Ils facilitent donc la collaboration avec des partenaires externes et notamment l’intégration des produits d’assurance dans les parcours d’achat des marketplaces.

Les assureurs conçoivent puis mettent à disposition des API qui permettent de connecter leurs services (tarification, devis, souscription…) à des sites internet tiers tels que les marketplaces.

Il ne s’agit plus ici d’un avantage concurrentiel mais d’un véritable « must have » pour ce modèle de distribution. En effet, au cœur de la révolution de l’open insurance, les API permettent de réduire considérablement le time to market et la mise en marché des produits.

L’automatisation de la gestion des sinistres

87 % des assurés estiment que l’expérience client de la gestion de sinistre sera fondamentale dans leur décision de rester ou pas chez un assureur (source : « Global consumer insurance survey 2017 », EY). En effet, le processus allant de la déclaration à l’indemnisation semble parfois hasardeux pour les assurés. L’automatisation de la gestion de sinistres est ainsi cruciale car elle permet de distribuer de manière coordonnée les diverses tâches aux acteurs du traitement d’un sinistre (gestionnaires, experts, validateurs), d’optimiser les délais de traitement voire de traiter une partie / l’intégralité du sinistre – sans intervention humaine – notamment sur les sinistres à faibles enjeux.

L’essor de l’intelligence artificielle dans l’identification des fraudes ou l’automatisation du contrôle des pièces par exemple, a largement contribué à la réduction des coûts des sinistres mais surtout, à améliorer la qualité de service proposé aux assurés.

Dans un modèle où la marketplace distribue à ses clients les produits de son partenaire assureur, elle a intérêt à ce que ses clients soient satisfaits, d’autant plus qu’elle joue souvent un rôle de support dans la gestion de certaines demandes ou dans la gestion des réclamations.

Un modèle qui séduit de plus en plus d’acteurs

Un tel positionnement est attractif puisqu’il permet de réaliser davantage de volume d’affaires à moindres coûts et évite une concurrence frontale, contrairement au modèle BtoC.

Naturellement, nombreux néo-assureurs ou assurtech se sont positionnés sur ce modèle qui convient à leur agilité, leur environnement numérique ou encore leur stratégie produit :

  • Seyna a ainsi développé de nombreux produits d’assurance en partenariat avec TicketMate, GarantMe ou encore la startup KOALA
  • Moonshot-Insurance collabore avec Rakuten pour la distribution de produits d’assurance dédiés au e-commerce ou encore Misterfly pour leur gamme Voyages
  • Wakam (ex – La Parisienne Assurances) crée des produits d’assurance sur mesure pour des acteurs traditionnels (courtiers et grossistes), insurtechs (tels que Luko ou Zego) ou e-retailers (Yamaha, Aramis Auto…)

Au-delà des assurtechs, les assureurs « traditionnels » ou assisteurs ont également adopté ce nouveau modèle de distribution à travers de nombreux partenariats et sur de plus en plus de secteurs. Nous pouvons citer les exemples d’Allianz avec Air France pour les assurances Voyages ou encore BNP Paribas Cardif pour la future assurance mobile de Back Market.

Attaqués sur leurs marchés et modèle, les acteurs « historiques de l’affinitaire » tels que SPB n’hésitent pas à diversifier leur offre de produits d’assurance en se positionnant sur de nouvelles niches (nouvelles mobilités, billetterie, animaux domestiques, météo…) et de services complémentaires (Réparation, maintenance ou recyclage des produits nomades…).

Plusieurs challenges subsistent néanmoins pour assurer la réussite de ce modèle

Si le modèle en BtoBtoC se révèle sur le papier très séduisant, il existe cependant différents enjeux et défis à relever pour qu’il soit optimal, notamment pour les assureurs.

#1 – Pouvoir exercer à l’international

Les marketplaces majeures opèrent généralement dans plusieurs pays voire plusieurs continents. Avoir la couverture géographique adéquate est un véritable enjeu pour les assureurs qui souhaitent se positionner sur ce nouveau modèle de distribution.

En effet, que ce soit en obtenant des agréments pour intervenir en LPS (libre prestation de service) pour une distribution en Europe, ou à travers des partenariats, et des dispositifs de co-portage de risque pour une distribution internationale, l’assureur doit pouvoir opérer dans les zones de chalandise de la marketplace.

#2 – Proposer une offre « Plug & Play »

Les charges, notamment de développement et de maintenance liées à l’intégration du catalogue d’assurance, sont souvent un frein pour la marketplace.

Pour lever ce dernier, l’assureur doit proposer une offre facilement intégrable aux parcours clients, que ce soit pour la tarification et gestion des contrats, ou pour la gestion des sinistres. Les APIs sont souvent la réponse à ce frein mais pas seulement. En effet, l’assureur doit être en mesure de proposer tout un dispositif d’accompagnement dans la mise en place au démarrage puis de pilotage et de suivi tout au long du partenariat.

#3 – Fidéliser leurs partenaires de distribution

Dans un marché où une concurrence accrue basée sur les prix s’est développée au fil des années, les marketplaces n’hésitent pas à remettre en concurrence régulièrement les assureurs porteurs de risques afin de proposer les offres les plus compétitives notamment en termes de tarif et/ou de rémunération pour le distributeur.

En effet, les partenariats étant régis par des contrats à durée limitée, les assureurs doivent anticiper la fin de ces derniers et réussir à :

  • Créer une relation de confiance avec leurs partenaires de distribution grâce à des échanges réguliers,
  • Assurer la satisfaction des clients de la marketplace grâce à une gestion des sinistres de qualité,
  • Faire évoluer leurs offres et leur proposition de valeur régulièrement pour faire de l’assurance un facteur différenciant pour la marketplace.

#4 – Comprendre les besoins et attentes des clients grâce à un accès aux données

Le sujet de la data est souvent sensible du fait du contexte (RGPD…) et de leur valeur pour les marketplaces. Souvent réticentes à partager leurs données, les marketplaces ne fournissent à l’assureur que les informations nécessaires à la gestion du contrat d’assurance – insuffisantes pour comprendre les spécificités de la marketplace.

En effet, des informations importantes telles que le taux de conversion de l’assurance ou les caractéristiques des clients (vs. assurés) qui permettraient d’adapter et faire évoluer l’offre d’assurance ne sont pas toujours partagées. Pourtant, ce partage de données clés de la marketplace est souvent crucial afin de mettre en place un partenariat win-win.

En conclusion

Malgré la complexité de certains de ces challenges, la prééminence des marketplaces et le développement du e-commerce font de ce nouveau modèle de distribution, un modèle attirant pour toutes les typologies d’acteurs dans l’assurance – modèle que Vertone a déjà mis en place pour le compte d’une assurtech.

Assureurs et courtiers, doivent travailler leur proposition de valeur pour se démarquer dans un marché fortement concurrentiel, où les offres sont souvent similaires, mais également, repenser leurs produits pour garantir plus de transparence vis-à-vis des clients finaux et améliorer leur image de marque.

Avec la crise du COVID-19, il est fort à parier que ce modèle de distribution va perdurer et s’accentuer. Un des enjeux principaux pour les assureurs sera cependant de réussir à avoir un modèle omnicanal permettant d’avoir des taux de conversion similaires à ceux réalisés en agences ou en boutiques, qui sont largement supérieurs à date.

Un article rédigé par Ali Romdhani et Ines Echahed