03/06/22

Le Quick Commerce : quels facteurs clés de succès pour les quelques survivants ? #2

Le quick commerce ou la promesse de livraison de courses ultra-rapide. Des courses livrées en moins de 10, 15 ou 20 minutes selon les promesses des acteurs. Dans la première partie de notre décryptage (article à retrouver ici), nous avons évoqué la consolidation du marché, résultant en la survie de 4 acteurs parmi 11 sur le marché français : Flink, Getir, Gopuff, Gorillas. Puis, nous avons décrit les stratégies partenariales entre quick-commerçants et grands distributeurs, avec des liens créés entre Casino & Gorillas, puis entre Carrefour & Flink.

4 batailles pour gagner la guerre du quick commerce !

Occupation du territoire, notoriété, expérience client et développement du panier d’achat : ces composantes tactiques seront clés dans la guerre concurrentielle pour la conquête du marché français.

1/ La logistique et l’expansion géographique

Pour livrer les courses en un temps record, ces acteurs s’appuient sur un réseau de « points de départ », les fameux dark stores, ou supermarchés de moins de 400m² fermés au public au sein desquels les livreurs préparent les commandes avant de les livrer. Pour respecter la promesse d’instantanéité, la zone de chalandise autour de ces dark stores est d’environ 2 km, ce qui souligne l’importance de tisser un réseau important, avec des points d’ancrage stratégiques clés, pour pouvoir augmenter la clientèle potentielle. Ainsi, alors que la majorité des acteurs n’existait pas avant 2021, on dénombrait en mai 2022 plus de 115 dark stores & dark kitchens en Ile-de-France.

Estimation du nombre de dark stores en France par acteurs en mai 2022

Getir se distingue à date dans cette course aux emplacements, notamment par un modèle de franchise déjà éprouvé dans d’autres villes européennes, lui permettant une expansion rapide avec des investissements raisonnés.

2/ La notoriété et le recrutement des clients

Une fois installés dans une nouvelle zone de chalandise, les quick-commerçants se livrent une véritable guerre du « top-of-mind », à coup d’affiches dans le métro, de publicité digitale, et surtout de promotions massives. En effet, selon une étude YouGov réalisée en décembre 2021, seuls 7% des Français savent vraiment ce qu’est le quick-commerce et moins de 10% connaissent les acteurs majeurs du secteur comme Gorillas (8%), Flink (5%) ou Getir (3%).

Ainsi, en 2021, les quick-commerçants ont investi près de 14 M€ en médias en France dont 9 M€ dans les transports. Flink + Cajoo ont déboursé près de 6 M€, et Gorillas et Frichti 4,9 M€.

En plus de ces investissements médias, chaque acteur met en place en parallèle des campagnes promotionnelles massives sous forme de codes promotionnels destinés à accélérer la conversion, et à créer le réflexe client. Les remises proposées sont très attractives (dépassant par ailleurs allègrement le seuil légal de 34%) pour recruter un maximum de nouveaux clients.

Promotions ou deals Groupon proposés par les acteurs du quick commerce en 2021 ou 2022

3/ L’irréprochabilité de l’expérience client

Les nouveaux clients recrutés sur la plateforme le sont souvent à prix d’or. Il est donc indispensable de s’assurer un bon taux de réachat et de proposer pour cela, entre autres, une expérience client irréprochable. Cela passe par une ergonomie optimale de l’application, l’excellence du service client en cas de questions ou réclamations, la disponibilité des produits (et donc la gestion du stock) ainsi que la pertinence / justesse des informations fournies, le tracking de la livraison… Car si la livraison prend 15 minutes, l’acte de « faire ses courses » ne devrait pas prendre plus de 5-10 minutes (de l’ouverture de l’application au paiement).

L’expertise technologique et logistique ainsi que le sens du commerce des forces en présence sont donc des éléments clés pour délivrer cette expérience. Dans cet univers ultra-concurrentiel, un caillou dans l’expérience ne pardonne pas !

Notes des applications de quick commerce sur les stores à fin mai 2022

4/ Le développement du panier d’achat

Pour atteindre la rentabilité, en plus de s’assurer d’avoir un volume de commandes suffisant pour occuper l’ensemble des livreurs à plein temps, il est nécessaire de rentabiliser la livraison et le service offert via un panier suffisamment élevé. Hors aujourd’hui, le panier moyen en quick commerce a peu évolué et stagne autour d’environ 20€. Aujourd’hui, ce panier est quasi-exclusivement composé de produits correspondant à des moments de vie pouvant impliquer un besoin d’instantanéité (manquer d’un ingrédient dans une recette, lancer l’apéro, changer bébé, prendre le petit déjeuner…), comme en témoignent les best-sellers de Cajoo (la Cristalline, la bouteille de Coca, le lait Candia, les œufs, les pâtes, le papier toilette, la baguette, la bière Heineken…). Flink a d’ailleurs aussi largement communiqué autour de ces « essentiels du dépannage » :

Communication de Flink, autour des « essentiels du dépannage »

L’enjeu pour les quick-commerçants va donc être de réussir à pousser les acheteurs à compléter leurs achats de produits de dépannage avec quelques autres produits. Et pour cela, plusieurs leviers sont identifiables :

  • Le développement et la stabilité de l’offre : aujourd’hui, un dark store contient entre 1500 et 2500 références ; entre novembre 2021 et mars 2022, le nombre de références de Cajoo a augmenté de plus de 50% pour atteindre environ 2400 références, celui de Getir de près de 20% pour dépasser 1500 références (données : Birds), mais ces assortiments restent inférieurs aux enseignes de proximité urbaine, à 3500 références en moyenne pour pouvoir couvrir toutes les unités de besoin (données : IRI Liquid Data).

D’autres essais de développement de l’assortiment et donc du panier émergent :

  • Produits locaux, souvent plus valorisés (peuvent représenter 30% des références Gorillas)
  • Plats préparés (notamment Gorillas via le rachat de Frichti)
  • Produits non alimentaires (partenariat Flink / Fnac Darty pour proposer des chargeurs, batteries externes, écouteurs, livres, jeux de société…
  • Le prix, le prix, le prix : dans ce contexte inflationniste, difficile de ne pas mentionner le sacro-saint prix ; les quick-commerçants doivent évidemment être compétitifs en prix, et notamment aussi bien, voire mieux positionnés que les supermarchés de proximité. Ainsi, les clients pourront être incités à ajouter dans leur panier des produits dont ils n’ont pas besoin à la minute mais qu’ils auraient acheté lors de leurs prochaines courses. Pour améliorer leur positionnement prix, l’alliance avec des grands distributeurs est un plus pour pouvoir bénéficier de leurs prix d’achat mais aussi de leur offre MDD plus accessible. Les MDD Carrefour et Monoprix représentaient d’ailleurs en avril 2022 10% à 12% de l’assortiment Cajoo / Gorillas (données : Olivier Dauvers).
  • La connaissance client et la personnalisation : l’enjeu pour ces acteurs est aussi dans le développement d’une expérience de plus en plus personnalisée / individualisée, en mettant en avant les produits additionnels les plus pertinents selon le profil de consommation.

Le cash, facteur clé de succès n°1 ?

Afin de pouvoir se développer sur chacun des facteurs clés de succès évoqués et remporter la mise, il est obligatoire d’avoir un apport en cash suffisant pour pouvoir tenir suffisamment longtemps et survivre à la consolidation.

En effet, avec une livraison valorisée à quelques euros et une promesse d’employer les livreurs en CDI, le business model est complexe à tenir, au moins tant qu’il y a trop d’acteurs sur la place. À cela s’ajoutent les investissements médias et la forte activation du levier promotionnel pour acquérir et fidéliser les clients dans la durée.

La consolidation du marché a d’ailleurs prouvé cette nécessité, les 4 acteurs restants, tous étrangers, étant valorisés à 60 Mds€ et ayant levé des milliards pour l’ouverture et le développement du marché français, ne laissant aucune chance durable à des startups naissantes comme Cajoo.

Le fondateur de Gopuff a par ailleurs déclaré : « Nous étions rentables durant les quatre premières années de notre existence, car nous avons construit ce business pour qu’il soit viable à long terme. […] Aujourd’hui, l’entreprise n’est plus rentable, car nous investissons nos profits des marchés les plus rentables et les plus matures dans nos nouveaux marchés, comme la France. »

Et la responsabilité dans tout ça ?

Sur ce sujet, rien n’est moins clair… Sur le plan sociétal, la plupart des acteurs font la promesse d’employer les livreurs en CDI. Mais sur le S1 2022, les acteurs n’ont pas hésité à licencier en masse : Getir a remercié 4000 collaborateurs (14% de sa masse salariale mondiale), quelques mois après Gopuff qui a laissé partir près de 500 collaborateurs, tandis que Gorillas s’est aussi séparé de 300 salariés… L’exemple de Zapp n’est pas plus brillant : après le licenciement de ses 139 salariés en suite à la fermeture brutale de son activité à Paris, ses ex-collaborateurs dénoncent des conditions de travail déplorables, une pression chronométrée sur les livreurs, et 1600 arrêts maladie et accidents du travail en un an ! (source : l’Humanité)

Sur le plan environnemental, les livraisons se veulent effectuées en vélo électrique (équipement intégralement fourni, livreurs assurés), mais restent individuelles (une livraison pour quelques produits, quand le panier moyen e-commerce standard est de l’ordre de 80 à 100€ ; ainsi, une livraison mutualisée de 20 clients en e-commerce représente 100 micro-livraisons individuelles en quick-commerce. Et qu’en est-il factuellement des impacts environnementaux de l’activité : approvisionnement quotidien en flux tendu, aménagement des espaces urbains, risques de suremballage, etc. ?

On peut imaginer que dans l’évolution de ce marché, la responsabilité sociétale et environnementale des quick-commerçants pourra constituer un élément de différenciation essentiel, notamment auprès des jeunes urbains, principaux adeptes de ce nouveau mode de consommation.

Le quick-commerce est certainement un marché en devenir, avec une belle croissance à prévoir sur les quelques prochaines années… mais répond-il à un réel besoin ou a-t-il créé une énième occasion à la surconsommation ? On peut penser que l’évolution du paradoxe entre exigence d’instantanéité sur la livraison et volontés citoyennes de consommer moins et mieux jouera un rôle clé dans la perspective long terme du quick commerce.

Un article rédigé par Charlélie Bensoussan Gaubert, Pierre Brun, Tiphanie Gain et Arthur Léauté