12/09/22

Bio « augmenté » : la solution pour redonner du souffle au marché de la bio ?

Au 87 rue de la Boétie, à proximité des anciens locaux de VERTONE, un Gorillas a remplacé en 2021 un magasin Biocoop. Ce changement symbolique n’est pas anodin et traduit bien les tendances du moment. En effet, alors que le quick commerce n’existait pas, il y a 2 ans, on dénombre désormais plus de 115 dark stores à Paris et sa banlieue. VERTONE s’est attaché à décrypter ce phénomène dans un article disponible ici. Inversement, alors que le nombre de magasins spécialistes bio était en croissance entre 2018 et 2021 avec 110 ouvertures/an en moyenne, il se stabilise pour la première fois en 2022 (base de données LSA).

Plus globalement, le marché de la bio, qui a connu de fortes croissances jusqu’en 2020, connaît un déclin inédit depuis début 2021. Quelles sont les raisons de cette décroissance et comment redynamiser ce marché ?

Le recul inédit du marché de la bio

Alors que la bio enregistrait de très bonnes performances avec des croissances à 2 chiffres entre 2014 et 2020, elle entre pour la première fois en décroissance en 2021 : le chiffre d’affaires bio hors restauration est en baisse de 1,3%, soit 172 M€ avec une décroissance encore plus marquée en grande distribution autour de -4%.

Ainsi, alors que la bio participait fortement à la croissance de la grande distribution jusqu’en 2020, elle contribue à 30% de ses pertes sur le début de l’année 2022 (source : IRI). Ce recul s’explique par une stabilisation de la pénétration du marché mais aussi et surtout par un recul des dépenses annuelles de près de 20€ par foyer, porté par une baisse du nombre d’articles bio par panier et une baisse de la fréquence d’achat.

La bio n’a plus le monopole du « mieux manger »…

Le label français AB / Agriculture Biologique existe depuis 1985, mais de nombreux autres labels envahissent aujourd’hui nos packagings : Viande de France, Vergers Ecoresponsables, ZRP / Zéro Résidu de Pesticide, HVE / Haute Valeur Environnementale, Bleu Blanc Cœur, MSC, Label Rouge… On assiste également à l’émergence de labels bio aux cahiers des charges plus stricts comme Bio Cohérence, Demeter, BIOPARTENAIRE ou encore Nature & Progrès mais dont la notoriété reste encore faible.   

Alors que la bio avait quasiment le monopole du « mieux manger » il y a encore quelques années, elle se retrouve aujourd’hui noyée dans une jungle de logos et se retrouve ainsi en « concurrence » aux yeux des consommateurs. À cela s’ajoute des outils plus récents de comparaison des produits alimentaires comme le Nutriscore ou Yuka, dont les usages ont explosé entre 2018 et 2020 (environ un tiers des Français utilisent les applis de notation, et deux tiers le Nutriscore dans leurs choix de produits alimentaires).

Les Français peuvent ainsi identifier très facilement d’autres alternatives que les produits bio pour mieux consommer. Lorsqu’on les interroge sur les améliorations de leurs habitudes alimentaires, l’achat de produits bio n’arrive d’ailleurs qu’en 6ème position, cité par 40% d’entre eux, derrière l’achat de produits locaux – cité par 48% – de produits frais – 47% – de produits de saison – 45% – le fait de cuisiner davantage – 45% – et le fait d’éviter les pertes et le gaspillage – 40%.

Ces nouvelles attentes ont mis en lumière certaines incohérences sur l’offre bio avec parfois des produits suremballés, aux origines lointaines, avec des additifs controversés ou encore un mauvais profil nutritionnel. D’autant plus que nous avons assisté ces dix dernières années à un boom de l’offre bio en grandes surfaces, ce qui peut donner l’impression d’un label peu exigeant… En effet, on constate que si 94% des consommateurs connaissent le logo AB, ils sont près de la moitié à estimer manquer d’informations et de garanties en termes d’origine des produits, d’impact sur la santé et sur l’environnement, de contrôle des produits ou de réglementation.

Il est de plus en plus difficile à comprendre pour les consommateurs de pouvoir trouver des tomates bio espagnoles hors saison, ou encore de la charcuterie bio avec des sels nitrités à l’heure où les liens avec des cancers sont avérés ! Tout cela mène inévitablement à une baisse de la confiance des consommateurs ; en effet, la note de confiance attribuée au bio est de 6,1/10 en 2021 soit -0,4 pt vs. 2020, en faisant un marqueur de qualité moins puissant que l’origine France ou le Label Rouge 23% des Français pensent aussi que le cahier des charges de l’agriculture biologique française s’est assoupli au cours de ces dernières années, soit +4 pts vs. 2020, encore un signe sérieux de défiance envers ce label.

Face à cette crise de confiance, quelles pistes pour renouer avec la croissance ?

L’une des pistes évidentes pour retrouver le chemin de la croissance consisterait à augmenter l’offre bio là où elle est encore sous représentée, à savoir :

  • sur certaines catégories comme les soins du corps, la confiserie ou encore le snacking
  • chez certains distributeurs, notamment les discounters comme Lidl ou Aldi
  • en e-commerce, car les spécialistes ne sont pas aussi avancés que la grande distribution dans ce domaine

Mais ce n’est pas l’expansion de l’offre qui redonnera confiance aux consommateurs ; la seule solution viable à long terme consiste à redonner de la valeur au bio en créant un bio « augmenté » ; il ne suffit plus d’être bio pour convaincre, il faut être bio et sain, bio et local, bio et éco-responsable… La plupart des acteurs du marché s’orientent plus ou moins efficacement vers cette stratégie, nous en avons identifié deux particulièrement avancés : le distributeur spécialisé Biocoop, et la marque Jardin Bio Etic détenue par Léa Nature. Tous deux sont d’ailleurs reconnus parmi le top 5 des marques les plus engagées en France.

Le cas Biocoop

Pour l’année 2022, Biocoop indique vouloir défendre « la bio cohérente, juste et accessible, qui réponde aux enjeux d’une alimentation saine et d’une agriculture respectueuse de notre planète » démontrant bien son ambition d’un « bio augmenté ». Zoom sur quelques aspects de son engagement.

  • Des engagements sur le local

Biocoop communiquait dans ses derniers résultats annuels 15% de produits locaux dans son offre. À titre de comparaison, c’est 1-2% en GMS et 5-7% chez les autres spécialistes bio. L’enseigne relocalise par ailleurs certaines de ses filières (miel, fruits rouges, amandes…) pour pouvoir augmenter son taux de produits français (déjà à 86%, avec un objectif 90% pour 2025).

  • Des engagements sur la santé

Biocoop retravaille sa gamme MDD pour éliminer toute trace d’ultra-transformation dès 2022, en partenariat avec Siga, système de notation mesurant le niveau de transformation des aliments. À titre de comparaison, 30% de l’offre bio française et plus de 60% du conventionnel sont ultra-transformés. En juin 2022, l’enseigne a également annoncé avoir définitivement éliminé les sels nitrités dans sa charcuterie à marque Biocoop.  

  • Des engagements pour l’environnement

L’enseigne se fixe pour objectif une offre à 50% Zéro Déchet d’ici 2025 :

  • via le développement du vrac qui représente 34% de son offre (quand Biocoop pèse moins de 1% du marché alimentaire, il représente presque 20% du marché du vrac en 2020)
  • via la consigne avec une offre disponible dans plus de 170 magasins avec un objectif de 470 magasins d’ici fin d’année et de 100% du parc en 2025. Biocoop ne commercialise par ailleurs aucune bouteille d’eau en plastique depuis 2017.
  • Des engagements pour l’impact sociétal

Pour valoriser son ambition d’une offre à 30% « commerce équitable » et de 100% des magasins engagés dans un programme de solidarité d’ici 2025, Biocoop a participé à la création d’un label Bio Equitable qui garantit un modèle d’agriculture sociale, vertueuse et cohérente. Ses différentes alternatives lui permettent aujourd’hui de peser 20% du marché du commerce équitable. On peut aussi citer les programmes ‘Bio Vrac pour Tous’ (accompagnement d’épiceries solidaires et sociales pour rendre disponible la bio en vrac aux personnes à faibles revenus) et ‘Collecte bio solidaire’ (collecte de produits bio en magasin pour des associations locales).

Le cas jardin bio etic

En 2020, Jardin Bio, marque n°2 sur le marché de l’épicerie bio, a changé son nom pour devenir Jardin Bio Etic, acronyme d’Entreprise citoyenne engagée pour le développement des Territoires et filières biologiques, au bénéfice de l’Innocuité, de la santé et de la nutrition des consommateurs, tout en préservant le Climat et la biodiversité. Ce changement de nom s’accompagne d’une charte de 50 engagements déjà tenus et d’objectifs chiffrés à horizon 2025 :

  • Pour le E (Entreprise Citoyenne), la marque s’engage à proposer 40% de son offre en commerce équitable et à augmenter l’actionnariat salarié à hauteur de 10%
  • Pour le T (Territoire et Filières), Jardin Bio Etic souhaite proposer 150 produits certifiés Origine France Garantie et fabriquer en France plus de 80% de ses gammes
  • Pour le I (Innocuité, Santé et Nutrition), l’industriel veut garantir 70% de son offre en Nutriscore A et B et 90% sans arôme ajouté
  • Pour le C (Climat et Biodiversité), la marque s’engage sur 100% d’emballages en matériaux recyclables ou biodégradables et un maximum de 5% de l’offre contenant de la protéine animale (avec certification sur le bien-être animal)

Pour conclure, afin de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs, les marques et distributeurs vont donc devoir être de plus en plus nombreux à proposer un bio « augmenté » comme le font déjà Biocoop ou Jardin Bio Etic.

L’enjeu pour les marques engagées dans cette démarche, et plus globalement pour le label AB, sera ensuite de le faire savoir aux consommateurs. On note en effet sur 2021 une baisse du « bruit » fait autour de la bio, notamment en publicité (-10pts vs 2020), sur réseaux sociaux (-7pts) ou encore sur la PLV (-3 pts).

En résumé, savoir-faire et faire-savoir pour regagner la confiance des Français.

Un article rédigé par

Tiphanie Gain, Consultante

Charlélie Bensoussan Gaubert, Partner