13/09/22

Éducation alimentaire : un enjeu de taille encore trop peu pris en main !

D’ici 2050, 92 millions de décès prématurés dus à des maladies liées à l’obésité devraient survenir dans les pays de l’OCDE, du G20 et de l’Union européenne. Les consommateurs sont de plus en plus au fait de ces chiffres alarmants, et les habitudes alimentaires n’ont jamais autant changé que ces dernières années. La France ne déroge pas à la règle : d’après notre étude VERTONE x IFOP réalisée en 2021, ce sont 91% des Français qui jugent la santé comme un critère extrêmement important dans leurs achats alimentaires, quasiment au même niveau que le critère prix.

Malgré le fait que les problèmes liés à une mauvaise alimentation ont un double enjeu considérable, de santé publique mais aussi de pérennité écologique, l’éducation alimentaire a été très peu traitée durant la campagne présidentielle 2022. Pourtant, ce ne sont pas les initiatives qui manquent pour interpeller les politiques et mettre ce sujet au cœur des décisions du quinquennat.

Tour d’horizon de ces propositions, portées par des collectifs engagés, bien décidés à faire bouger les lignes

Des propositions vers une transition alimentaire durable

  • Une démocratisation massive du bio et des circuits courts

Le « Collectif Alimentation durable pour tous » – créé en janvier 2022 à l’occasion de la campagne présidentielle – se positionne dans plusieurs de ses propositions en faveur d’une alimentation bio, durable et accessible au plus grand nombre. La Fourche, épicerie bio en ligne, propose la mise en place d’un chèque alimentation bio mensuel de 100 euros, tandis que la Ruche qui dit Oui ! propose d’exonérer de TVA les produits issus de la vente directe (vs 5,5% actuellement), favorisant ainsi la préférence pour les circuits courts. Eco2 initiative prône quant à elle une réduction de 30% de l’empreinte carbone de notre alimentation en atteignant 50% de produits bio dès 2030.

Les initiatives tendent également à encourager une production durable, afin que tous les maillons de la chaine puissent être impactés positivement : dans ses 12 propositions faites aux candidats à la présidentielle, le collectif « Mangeons durable » propose ainsi un revenu minimum agricole pour les agriculteurs bio, et souhaite 100 % de la surface agricole française en agroécologie à horizon 2050. Ce dernier objectif serait financièrement possible à la fois par la création d’un fonds de compensation pour financer la transition agroécologique et par la réorientation des budgets de la politique agricole commune (VERTONE a d’ailleurs décrypté le marché de la bio dans un article disponible ici).

  • Une agriculture, un élevage et une pêche raisonnés

Au-delà de la transition agroécologique, permettant de réduire drastiquement la dépendance aux pesticides, « Mangeons durable » imagine une méthode de diagnostic de qualité des sols agricoles afin de valoriser les sols sains. Plus généralement, l’écologiste Maxime de Rostolan propose d’instaurer une comptabilité des externalités pour une agriculture durable afin de rémunérer les agriculteurs rendant des services écosystémiques, et de taxer ceux qui ont une empreinte globale négative.

Parmi les autres propositions : doubler les objectifs de production de protéines végétales d’ici 2030 pour sortir de l’élevage industriel (« Mangeons durable »), ou encore attribuer des quotas de pêche aux acteurs les plus vertueux (Poiscaille pour « Alimentation durable pour tous »).

  • Une société engagée et solidaire

Ces propositions ne concernent pas seulement la production alimentaire, mais aussi sa distribution et sa consommation. Les distributeurs mais aussi les consommateurs sont donc considérés comme des éléments centraux de cette transition alimentaire. « Alimentation durable pour tous » souhaite notamment lutter contre le gaspillage alimentaire et la précarité alimentaire en développant la culture du don, à travers le renforcement des contrôles sur les dons des invendus des distributeurs à des associations, obligation encore trop peu respectée dans les faits.

Enfin, côté du consommateur final, l’occasion de s’engager en faveur de la transition alimentaire devient concrète, à travers l’initiative de « C’est qui le patron » qui propose de généraliser sa méthode d’intégration des consommateurs aux processus de négociations commerciales pour garantir un revenu plus juste aux producteurs.

Des propositions vers une transparence totale de l’information

Le collectif « En Vérité », composé d’environ 50 marques nationales, a interpellé les candidats pendant la présidentielle sur l’importance de donner aux consommateurs une transparence totale sur ce qu’ils mangent, grâce à un affichage simplifié, standardisé et obligatoire. 4 critères informatifs sont proposés : origine, valeurs nutritionnelles, additifs, et type d’agriculture. Cette problématique d’affichage est également soulevée par Eco2 initiative (« Collectif Alimentation durable pour tous ») pour le secteur de la restauration collective, ainsi que par Food Chéri qui propose d’étendre la loi EGalim aux acteurs de la restauration d’entreprise.

Au-delà de l’aspect informatif, la clarification des affichages sur les produits alimentaires pourrait permettre de réduire significativement le gaspillage alimentaire. C’est ce que défend Too Good to Go qui propose l’instauration d’une mention indiquant que le produit reste consommable après la date pour combattre 20% du gaspillage alimentaire des foyers dû à une mauvaise compréhension des dates de consommation.

Il devient indispensable de mettre le mieux manger au cœur des préoccupations des générations futures, et ce, dès l’école

Sur ce point, les collectifs s’accordent ! « Mangeons durable » insiste sur la nécessité de légiférer et d’intégrer une éducation à l’alimentation durable dès l’école primaire, et d’instaurer d’ici 2030 au moins 50 % des produits végétaux en cantine fournis localement. Dans le même temps, le collectif« Open Agrifood », accompagné notamment par le « Think Tank Agroalimentaire », a profité du lancement de la campagne présidentielle et du salon de l’agriculture pour présenter son manifeste pour une éducation à l’alimentation et le faire signer par le ministre de l’Éducation Nationale.

Destiné aux parlementaires, ce manifeste insiste sur l’importance de mettre en place 1h d’éducation alimentaire par semaine pour tous les élèves tout au long du parcours de scolarité obligatoire. Il repose sur le postulat que pour la construction de l’individu, apprendre à s’alimenter est aussi important qu’apprendre à compter, à lire, à écrire, et est constitué de 4 piliers : apprendre à cultiver / apprendre à cuisiner / apprendre à goûter / apprendre à choisir.

Malgré ces levées de boucliers, force est de constater que depuis la campagne présidentielle, ces sujets peinent à être sous le feu des projecteurs. Et parmi le brouhaha des prises de parole, il est bon de rappeler que l’enjeu principal reste d’unir et fédérer. Des organisations de poids, liées au gouvernement, telles que la « Convention citoyenne pour le climat » pourraient endosser ce rôle, même si le gouvernement freine la mise en application de ses propositions de 2020.

Concrètement, où en sommes-nous, à date, dans le paysage de l’éducation alimentaire ?

Des consommateurs éduqués « sur le tas », désireux de changement

Les consommateurs faisant le lien entre alimentation et santé, et exprimant leurs préoccupations, les industriels et distributeurs bougent depuis plusieurs années sur la qualité de leurs produits. Plus qu’un lanceur d’alertes, le consommateur se positionne aujourd’hui en véritable prescripteur. Par exemple, il y a 5 ans, la plupart des grands industriels affirmaient qu’il était impossible de se passer des nitrites pour la conversation de certains produits comme le jambon, pourtant, aujourd’hui, toutes les grandes marques proposent leur référence sans nitrites, car le sujet a fait suffisamment réagir les consommateurs pour obliger les marques à se positionner. L’application Yuka, membre du collectif « Alimentation durable pour tous », souhaite d’ailleurs aller plus loin et s’associe aux associations Ligue contre le cancer et Foodwatch pour demander l’interdiction des additifs nitrés dans tous les produits alimentaires, à commencer par la charcuterie (pétition signée par plus de 350k personnes), tandis que l’ANSES vient de publier un rapport confirmant le lien entre consommation de nitrites et risque de cancer colorectal.

Les jeunes générations étant les consommateurs, industriels et politiques de demain, on comprend d’autant mieux l’urgence de les éduquer dès le plus jeune âge. Les changements doivent venir à la source, une conviction partagée par la « Convention citoyenne pour le climat », qui précise qu’agir « ne doit pas reposer uniquement sur le consommateur, mais également sur une transformation en profondeur des modes de production et de distribution ».

À qui ce rôle éducatif revient-il ?

Pour le moment, les sujets alimentaires sont entièrement portés par le ministère de l’Agriculture. La question d’un « ministère de la Consommation » dédié aux thèmes de la consommation et de l’éducation, pourrait se poser, comme le soulevait Frank Rosenthal. Rappelons également que depuis 2018 existe la loi EGalim, qui s’attaque aux sujets d’une alimentation saine, sûre et durable pour tous, mais qui est passée totalement à côté du sujet de l’éducation alimentaire à l’école.

Désireuses de transformer les mentalités en profondeur afin que le changement puisse s’inscrire dans la durée, les marques et associations, ne souhaitant pas attendre pour agir, proposent déjà de réels projets éducatifs clés en main, adaptés dès le plus jeune âge. C’est ainsi que « Les Enfants Cuisinent », fondée en 2011 par le chef Olivier Chaput, propose des ateliers de cuisine aux enfants, pour objectif principal « la prévention et la lutte contre l’obésité infantile et les maladies liées à l’alimentation des enfants ». Autre initiative privée, « Too Good to go » a annoncé en mai 2022 le lancement de « Mon école antigaspi » pour sensibiliser les enfants à la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Ce projet très complet propose aux enseignants un kit constitué de fiches pédagogiques et de jeux de société élaboré avec des professionnels de l’éducation. Il s’agit ici d’éduquer aux réflexes antigaspi dès le plus jeune âge. Première avancée vers la sphère politique, le pilote du projet a été validé par l’Éducation nationale, et devrait être déployé à plus grande échelle à partir de la rentrée 2022. Enfin, des approches ludiques, disponibles à tous très facilement via newsletter, telles que le Cahier d’activité Siga, se constituent en supports d’une éducation rendue possible dans la sphère privée, à la maison.

Au programme : sensibiliser à l’ultra transformation alimentaire, grâce à des articles très nourris (pour les parents), et des cahiers d’activités à destination des enfants, permettant par exemple de reconnaitre le degré de transformation d’un aliment. Ce type d’initiatives privées ou associatives vient compléter le dispositif ‘très light’ des « Classes du Goût », promu par l’Education Nationale, consistant en 12h de séances entre CM1 et 6ème, pas forcément pratiqué par tous puisque non obligatoire, et principalement orienté sur la dimension sensorielle et l’apprentissage du goût, très peu sur les valeurs santé et écologique.

D’autant plus que si l’on regarde à l’étranger, des initiatives déployées en milieu scolaire ont débouché sur des résultats très positifs. Aux Etats-Unis par exemple, une étude a évalué les effets du programme des « Gold Medal Schools » dans l’état de l’Utah, conçu pour donner à des élèves dès le primaire les clés pour choisir des aliments équilibrés, faire de l’activité physique régulièrement. L’étude réalisée sur 1 an a permis de démontrer une stabilisation de l’IMC et une baisse de la consommation de sodas par rapport au groupe de comparaison. Au Japon, une étude a montré que les programmes de cours de cuisine à l’école augmentaient la participation et l’influence sur les parents à la maison. Les cours de cuisine à l’école étant d’ailleurs monnaie courante dans plusieurs pays comme la Norvège, la Suède, le Japon ou encore l’Angleterre…

pOUR conclure

L’alimentation et la santé doivent être considérées dans une globalité de consommation. Les diverses initiatives ont l’intérêt de montrer que ce sujet est plus que d’actualité, et qu’il intéresse tout le monde ; reste à le formaliser… Malgré l’impact « local » qu’ont toutes les initiatives privées ou associatives, légiférer apparaît comme une solution indispensable pour faire bouger les lignes durablement, à court et long terme. Une lueur d’espoir, peut-être, avec le rapport d’information au Sénat de juin 2022 intitulé « Surpoids et obésité, l’autre pandémie », dans lequel l’une des 19 recommandations parle de « confier à l’Education Nationale la conception d’un module de formation obligatoire au goût et à la pratique de la cuisine dès l’école primaire ».

L’OMS prend également le sujet en main, avec l’ouverture à l’été 2022 d’une consultation publique sur le sujet de la protection des enfants au marketing alimentaire. Objectif de cette consultation : fournir recommandations et directives politiques afin d’améliorer l’efficacité des mesures de sécurité sanitaire des aliments et de limiter l’exposition des plus jeunes à des politiques commerciales agressives en matière d’alimentation. Un guide devant être fourni aux différents pays une fois la consultation terminée, l’affaire est donc à suivre de près dans les mois à venir.

LES COLLECTIFS ACTIFS SUR LE SUJET

Un article rédigé par

Isabelle De Passemar, Consultante

Charlélie Bensoussan Gaubert, Partner