25/10/22

L’abonnement dans la distribution : état des lieux d’un nouveau business model

Initié par Amazon dès 2008, le business model de l’abonnement a peu à peu conquis le monde de la distribution ces dernières années : un marché estimé à 6,47 Mrds € en France 2021 avec un potentiel encore fort : un rapport publié en 2021 par la société Telecoming estime que le marché pourrait encore doubler d’ici 3 ans. En France, on estime que 72% des Français ont souscrit à un abonnement en 2021 et possèdent en moyenne 2,5 abonnements. Quelles sont les raisons de l’essor de ce nouveau modèle économique ? Comment les acteurs du retail l’intègrent à leur offre existante ?

Abonnement : un nouveau modèle économique

Un abonnement peut être défini comme une relation contractuelle de long terme offrant un certain nombre de produits ou de services (souvent avec une notion d’illimitée) pour un prix forfaitaire pouvant être mensuel, trimestriel ou annuel. Les abonnements se sont d’abord développés comme modèle de vente dans la presse quotidienne avant de s’étendre à l’énergie, les transports urbains, les salles de sport ou les services de téléphonie et d’accès à internet. Depuis le début des années 2000 et l’avènement de l’économie du numérique, la « nouvelle économie de l’abonnement » a vu la progression du modèle dans de nouveaux secteurs comme le retail et les medias, avec 5 grands types d’abonnements :

L’Abonnement : une tendance symptomatique des évolutions de la société doublée d’une opportunité business

Le développement du business modèle de l’abonnement depuis 20 ans illustre le nouveau rapport des Français à la consommation et à la propriété. L’étude Zuora menée en 2018 indique que 64% des Français considèrent que l’abonnement à des produits ou des services libère de la charge que représente le fait d’être propriétaire et 46% des Français déclarent qu’ils aimeraient posséder moins de choses.  Les Français trouvent donc dans la mécanique d’abonnement une réponse à leurs nouvelles aspirations de consommation :

  • Avoir du choix : 45% veulent accéder à une offre large, selon leurs envies, quand ils le désirent, en échange d’un forfait
  • Avoir de la flexibilité : les clients veulent pouvoir répondre à un besoin plus ou moins ponctuel sans que cela nécessite un achat
  • Bénéficier d’une expérience simplifiée : l’abonnement peut permettre un réapprovisionnement automatique et / ou offrir des services simplifiant la vie des clients
  • En avoir pour son argent : les clients veulent pouvoir réaliser un bénéfice en recevant les services et / ou les produits auxquels ils ont souscrit, en fonction du budget qu’ils décident de mettre dans leur abonnement

L’appétence des consommateurs pour les mécaniques d’abonnement est un argument en soi pour réfléchir à lancer ce type de service et l’offre est aussi une vraie opportunité business.

L’abonnement est en effet un moyen pour les entreprises de générer un revenu récurrent et prévisible grâce à une mécanique engageante. C’est aussi un levier de développement de valeur client sur la durée, et notamment de développement de la fréquence des clients. Dans notre étude VERTONE sur les usages de la livraison, 33% des répondants ayant un abonnement réalisent plus souvent des achats plaisir ou imprévus auprès de l’enseigne auquel ils sont abonnés. Ce constat se retrouve chez Carrefour avec son test d’abonnement promotionnel où les abonnés ont augmenté leur panier moyen de 30% en moyenne via une fréquence de visite plus importante. De même, chez Amazon, les abonnés Prime dépensent en moyenne deux fois plus que les non-abonnés.

L’abonnement est également une source de fidélisation et d’augmentation du taux de nourriture client (c’est-à-dire la part des dépenses qu’un client réalise au sein d’une même enseigne) : ce dernier aura tendance à privilégier l’enseigne chez qui il possède un abonnement pour ses achats et donc à augmenter son taux de nourriture. Dans l’étude VERTONE menée en 2021, 45% des répondants déclarent qu’avoir un abonnement les incite à réaliser un achat qu’ils auraient normalement fait ailleurs. Cela se vérifie chez Casino où les abonnés Casino Max réalisent 100% de leurs dépenses liées aux PGC dans l’enseigne.

Enfin, c’est un levier de différenciation et donc de recrutement potentiel d’une nouvelle cible client intéressée par l’expérience simplifiée proposée par cette mécanique.

Abonnement et rétention client : les différentes stratégies d’entreprises

L’abonnement est un levier de rétention client supplémentaire à la main des retailers, historiquement habitués à proposer des programmes de fidélité. Abonnement et programme de fidélité, s’ils ne sont pas proposés et communiqués de manière cohérente, peuvent rendre la lecture de l’offre de fidélité complexe par les clients. Aussi, 4 grandes stratégies de positionnement se dégagent :

L’abonnement, comme offre privilège réservée aux clients membres du programme de fidélité permet de jouer le sentiment d’exclusivité. A contrario, elle ne permettra pas de recruter fortement et nécessite le plus souvent de diminuer la générosité dans l’offre « socle » pour pouvoir financer la générosité de l’abonnement.

L’abonnement comme offre complémentaire au programme de fidélité permet de conserver un socle de fidélité « fort » tout en jouant davantage le serviciel avec un enjeu d’autofinancement.

L’abonnement seul (sans programme de fidélité) comme le proposent les « pure players » est très axé sur les faiblesses de ce type d’acteurs, à savoir le déficit de magasins physiques et donc la livraison à domicile en est souvent l’avantage phare. En revanche, ce modèle est peu envisageable pour les retailers qui continuent à avoir besoin d’un programme de fidélité pour connaitre le plus largement possible les dépenses de leurs clients (notamment en magasin), là où un pure player, par la simple création d’un compte client, peut « enregistrer » l’ensemble de ses achats. Attention toutefois à la rentabilité de ce type de modèle qui, à ce stade, n’est toujours pas démontrée.

Enfin, l’abonnement comme clé d’entrée à l’offre est un véritable business model en soi. Très répandu sur les produits médias, il reste encore anecdotique dans le retail, notamment, car il ne permet pas de rendre l’offre accessible au plus grand nombre.

Abonnement retail : un reach encore très faible

Un premier bilan montre que si les offres d’abonnement en retail remplissent leur rôle de rétention et d’augmentation de la valeur client, elles peinent néanmoins à séduire une large clientèle. Par exemple, trois ans après son lancement, Casino Max se rapproche des 250 000 abonnés pour des millions de clients porteurs de leur carte de fidélité. De même pour Carrefour qui a convaincu moins de 3% de la clientèle locale à souscrire à son offre d’abonnement promotionnel en test. Les offres d’abonnement se heurtent donc à un plafond de verre fixé par des consommateurs souhaitant limiter leurs dépenses et leur consommation.

En effet, les abonnements sont une charge fixe pour les ménages inclus dans les 46,2% de dépenses pré-engagées, or lorsque le pouvoir d’achat est menacé (comme c’est le cas en 2022 et probablement jusqu’en 2024), les produits de grande distribution font partie des premières variables d’ajustement dans le budget des ménages. Dès lors, les consommateurs se montrent moins enclins à s’engager sur des dépenses fixes mensuelles supplémentaires dont ils craignent de ne pas pouvoir se désengager et pour lesquelles ils ne perçoivent pas toujours un avantage immédiat.

 « Instinctivement, les Français n’ont pas envie de s’abonner. Le traumatisme Canal+, où l’on galère pour se désabonner, reste dans les esprits. Il faut donc être très clair sur l’absence d’engagement » note Aymeric Grange, CEO de la DNVB 900.care. La présence ou l’absence d’engagement peut alors devenir un levier d’acquisition client sur cette offre qui ne doit pas s’activer au péril du business model de l’abonnement choisi.  

Enfin, les offres d’abonnement incitent par nature à consommer davantage, une surconsommation de plus en plus pointée du doigt par une partie des Français pour des raisons environnementales ou responsables.

Pour conclure

Trouver le “bon” modèle d’abonnement requiert donc une analyse fine des comportements d’achat des clients et nécessite donc d’adopter une approche « test & learn » pour trouver le bon équilibre entre segmentation de l’offre, pertinence business, rentabilité et qualité de service.

Un article rédigé par

Coraline Guillaumin, Consultante
Pierre Brun, Partner