29/03/23

Le marché des soins vétérinaires : une consolidation qui s’accélère

Saviez-vous qu’un foyer français sur deux possède un ou plusieurs animaux de compagnie ? Pour prendre soin de nos amis à quatre pattes, 15 700 vétérinaires exercent leur métier au sein de 6 500 cliniques. Aujourd’hui, ce marché pèse plus de 4 milliards d’euros d’honoraires, et se consolide à grande vitesse. Quelles perspectives se dessinent pour les cliniques vétérinaires françaises ?

Un marché majoritairement structuré par des cliniques indépendantes

En 2022, 89% des cliniques vétérinaires en France sont des cliniques indépendantes détenues par des vétérinaires. Ce sont de petites structures, avec en moyenne 2 vétérinaires par établissement et 2 ASV (Auxiliaire Spécialisé Vétérinaire). Les ASV assistent les vétérinaires lors des consultations, des opérations ou des tâches plus administratives.

La profession tient globalement à cette indépendance : les associés dans les cliniques étant généralement vétérinaires de formation, le soin des animaux est au cœur de leur activité, les problématiques business et financières passant au second plan.

Les associés des cliniques sont cependant confrontés à deux défis importants pour leur actif professionnel : le recrutement de nouveau personnel vétérinaire et l’identification de repreneurs pour leurs structures. En effet, les jeunes générations de vétérinaires sortant d’école ont des exigences de plus en plus fortes concernant leurs conditions de travail : amplitude horaire, flexibilité dans l’organisation de leur agenda, avantages extra-financiers… Il est difficile pour les cliniques de recruter du personnel et de le fidéliser. Cette problématique se retranscrit également à l’âge du départ à la retraite des associés : peu de « jeunes » vétérinaires sont prêts à reprendre les structures. Le cas échéant, les associés se tournent vers des groupes financiers pour vendre leurs parts et pérenniser la clinique.

L’arrivée des groupements « corporate » sur le marché du soin vétérinaire

À la vitesse de consolidation actuelle du marché, nous prévoyons que les cliniques rattachées à des structures « corporate » représenteront 30% des cliniques et 50% des effectifs vétérinaires à horizon 2025.

IVC Evidensia, MonVeto, Anicura, Argos, Univet font partie des plus gros groupements « corporate » vétérinaires présents en France. Le marché étant profitable et en croissance, chacun d’entre eux investit pour racheter des cliniques indépendantes et les faire fonctionner en réseaux. La gestion administrative (RH, marketing, comptabilité, informatique et travaux) est prise en charge à 100% par le groupement, ce qui permet aux vétérinaires de se consacrer à leur cœur de métier. Le groupement investit également dans du matériel plus performant qu’il met à disposition de l’ensemble des cliniques de son réseau.

Les groupements « corporate » présentent d’autres avantages qui attirent de plus en plus de cliniques indépendantes. Ils offrent notamment un cadre attractif pour les jeunes vétérinaires en termes de rémunération, d’avantages extras financiers et de conditions de travail : par exemple avec des gardes moins fréquentes et une plus grande régularité dans leurs horaires et leurs congés. Certains groupements proposent également des plans de formation et de développement poussés : les vétérinaires bénéficient alors d’une montée en compétences particulièrement forte.

Des moyens importants déployés par les groupes pour racheter les cliniques vétérinaires indépendantes

Certains groupements « corporate » sont implantés à l’international, d’autres sont exclusivement nationaux. Chacun d’entre eux suit une stratégie de développement qui lui est propre. On distingue généralement deux grandes typologies de groupements :

  • Des groupements avec une orientation plutôt financière (souvent internationaux et fournisseurs de nourriture animale pour certains d’entre eux) : ces derniers proposent des avantages financiers attractifs et des moyens importants. Les gérants ne sont généralement pas vétérinaires de formation et recherchent un bon niveau de performance financière de leur actif
  • Des groupements français créés par des professionnels du milieu vétérinaire : en complément de la valorisation financière de leur actif basée sur les synergies d’un grand groupe de cliniques, ils revendiquent une culture d’entreprise « familiale » entre confrères et valorisent l’expertise vétérinaire et la part d’indépendance laissée aux cliniques qui sont rachetées par le réseau

Pour développer un modèle pérenne et être attractif à la fois pour les clients et les vétérinaires, les groupements « corporate » recherchent un positionnement spécifique qui influence leur stratégie de rachat.

Par exemple, certains groupements misent sur une montée en gamme et en technique des cliniques, en investissant dans du matériel de pointe et sur la formation des vétérinaires. Dans ce cas, ils privilégieront un développement « en grappes », en créant des pôles de compétences par région. La proximité géographique des cliniques offre également l’opportunité de développer un service d’urgenceaccessible aux clients 7j/7 et 24h/24.

Une autre stratégie consiste à racheter uniquement de grosses cliniques qui deviennent des « centres de référés » sur leur zone pour les actes plus techniques ou la consultation de spécialistes. Dans ce cas, la proximité géographique a peu d’importance : le groupement vise avant tout des cliniques de taille importante, même si elles sont disséminées sur le territoire.

Au-delà des différenciations de prestations, les groupes rachètent les cliniques selon différents modèles :

  • Modèle salarial, les vétérinaires (y compris ex-associés) deviennent salariés du groupe
  • Modèle avec des collaborateurs libéraux : les vétérinaires de la clinique prennent le statut de « collaborateur libéral », offrant plus d’indépendance mais aussi moins de sécurité que le statut salarial. Il n’existe pas de lien de subordination entre le vétérinaire collaborateur et le groupement, en revanche le collaborateur doit généralement répondre à des engagements et à des objectifs de rentabilité
  • Modèle associé ou assimilé : ce modèle, plus rare, est mis en avant par certains groupements français. Les vétérinaires des cliniques rachetées prennent des parts dans le groupe et y restent associés. Leur poids dans les prises de décision y est généralement plus important.

Une consolidation qui provoque néanmoins des réticences chez les vétérinaires libéraux

Malgré les moyens financiers et commerciaux importants mis en place par les groupements « corporate », de nombreux vétérinaires libéraux ne sont pas prêts à céder leur liberté à de grands groupes.

En effet, un rachat par un groupement implique une perte d’autonomie dans la gestion de la clinique. Les vétérinaires sont inquiets de ne pas pouvoir choisir librement leurs horaires, leurs jours d’ouverture ou leurs prix. Les groupements « corporates » imposent également le choix des laboratoires pharmaceutiques, en négociant des prix de gros pour fournir l’ensemble des cliniques de leur réseau.

Le deuxième sujet d’inquiétude est celui de la pression financière qui pourrait leur être imposée. Les groupements ont des objectifs de rentabilité qui se traduisent souvent dans les objectifs de performance des cliniques : croissance du chiffre d’affaires, augmentation du nombre d’actes vétérinaires réalisés, nature des actes réalisés en fonction de leur marge, etc. Cette logique « business » fait peur à certains vétérinaires, dont le cœur de métier est avant tout de soigner les animaux et qui revendiquent une logique d’intérêt général, qui est de proposer un service de soin accessible à tous, sans course aux revenus générés.

Ces objectifs de rentabilité et de croissance du chiffre d’affaires ne sont pas toujours associés à une hausse de rémunération pour les vétérinaires. Au contraire, certains d’entre eux témoignent d’une baisse importante de leurs revenus totaux (salaires et dividendes) suite au rachat. Même si les cliniques sont rachetées 3 fois leur chiffre d’affaires annuel, ce montant ne suffit pas à compenser la perte des dividendes à long terme. Le calcul est donc surtout intéressant pour des vétérinaires proches de la retraite.

Dernière crainte majeure : les vétérinaires témoignent de la difficulté qu’ont les groupements à tenir certaines de leurs promesses. Par exemple, là où ces derniers revendiquent pouvoir aider au recrutement, certaines cliniques rencontrent des difficultés pour embaucher du personnel de qualité. D’autres cliniques expliquent que leurs objectifs de rentabilité, qui conditionnent le versement de leurs primes de rachats, sont trop forts et ne peuvent être atteints. Enfin, dans leur recherche de rationalisation des coûts, certains groupements augmentent le prix des actes de 20% à 50%. Cette hausse des tarifs suscite des incompréhensions chez les clients que les vétérinaires ne souhaitent pas gérer, d’autant qu’elle peut s’accompagner d’une dégradation de la qualité du service.

Conclusion

Avec 11% des cliniques qui appartiennent à un groupement « corporate » en 2022, la France se montre un peu plus timide que son voisin anglais dont le marché des soins vétérinaires est déjà consolidé à 50%, phénomène qui a débuté dès 1999.

Il est vrai que de nombreux vétérinaires libéraux français sont soucieux de leur indépendance et affichent une réticence à l’égard de cette concentration. De la même manière, le conseil de l’ordre des vétérinaires est attentif à la défense des intérêts de la profession.  Et face au niveau de valorisation atteint par les cliniques, les investisseurs (corporate et fonds d’investissement) font part de leur perception du risque d’investissement.

Dans ce contexte, le marché des soins vétérinaires français atteindra-t-il le même niveau de consolidation que ses voisins et à quelle échéance ?

Un article rédigé par Noémie Lecoeuvre et Florence Hirondel.