Électrification du transport routier de marchandises : quelles ambitions et orientations en Europe ?
Le transport routier de marchandises est aujourd’hui l’une des principales préoccupations du secteur logistique pour transiter vers une économie européenne plus verte. Poussés par un accroissement des flux d’échanges à travers la mondialisation, les camions semblent aujourd’hui rouler sur un modèle thermique désuet : responsables de 45% des émissions d’oxydes d’azote en Europe et de 30% des émissions de CO2 du transport routier européen, les camions ne représentent pourtant que 2% des véhicules en circulation sur le continent.
Dès lors, en quoi l’électrification du transport routier de marchandises est-elle un défi pour l’Europe ? Quelles sont les ambitions et orientations du continent ?
Un changement de modèle poussé par l’État
L’Europe s’est attaquée au problème : le transport routier de marchandises devra réduire à partir de 2030 ses émissions d’au moins 45% par rapport à 2019. Cette obligation sera ensuite portée à 65%, pour enfin arriver à 90% de réduction des émissions en 2040. Le secteur du transport routier de marchandises se voit ainsi poussé à se tourner vers un nouveau modèle d’ici les 15 prochaines années.
Les États, au-delà des contraintes fixées dans les années à venir, jouent dès lors un rôle déterminant d’accompagnement à la transition. En France, le gouvernement a annoncé en mars 2023 un soutien de l’ordre de 100 M€ en faveur de la décarbonation des poids lourds. À travers le plan France 2030, l’État financera 55 M€ pour faciliter l’achat de poids lourds électriques, ainsi qu’un investissement à hauteur de 40 M€ dans la production des camions électriques.
La route vers l’innovation
Dans le cadre de cette électrification du transport routier de marchandises, les transporteurs commencent à transformer leurs flottes de véhicules. En 2023, la filiale française du groupe américain XPO Logistics a par exemple commandé 65 camions porteurs électriques, et prévu l’installation de 50 bornes de recharge au sein de ses infrastructures. Convaincue par cette transition, 60 nouveaux porteurs et 105 tracteurs électriques de semi-remorques ont été commandés début 2024 par la firme. De même, plus de 1 000 véhicules électriques ont été mis sur les routes par Volvo Trucks, dont la firme met en avant les 11 millions de kilomètres parcourus ayant permis 11 000 tonnes de CO2 économisées.
Transport & Environnement estime ainsi qu’un camion sur deux sorti d’usine sera électrique dès 2030, mettant en lumière la transition qui s’opérera dans les 5 à 10 années à venir dans ce secteur. Renault Trucks France souligne notamment cette route vers l’innovation : « Nous avons fait le pari du véhicule électrique à batterie. Nous avons la conviction qu’il s’agit de la meilleure technologie en matière d’émissions, de coûts et de disponibilité de l’énergie par rapport à l’hydrogène notamment. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura que de l’électrique en 2040, mais ce sera largement majoritaire » Emmanuel Duperray, Vice-Président électromobilité du constructeur.
Dans la lignée de cette transition, les innovations fleurissent pour adopter une logistique plus verte. À titre d’exemple, Vinci Autoroutes expérimente depuis septembre 2023 une recharge dynamique par induction sur l’autoroute A10 en région parisienne. Ce pilote, au budget total de 26 M€, consiste à recharger un véhicule électrique lorsque celui-ci roule, équipé d’un patin placé au bas du châssis se fixant sur le rail conducteur de l’autoroute. À l’issue du pilote étalé sur plusieurs années, l’entreprise évaluera si l’innovation peut être produite sur l’ensemble du territoire, permettant dès lors de s’affranchir d’une trop grande dépendance aux bornes de recharge.
Une transition jonchée d’embuches
Aujourd’hui, seuls 1% des camions européens sont électriques. Les années à venir seront donc décisives pour la transition à opérer. Toutefois, le périple s’avère difficile et la route vers l’électrification semée d’embuches.
Les investissements nécessaires
La question du financement est au cœur de cette transition. Comme le souligne Rodolphe Lanz, secrétaire général de la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR) : « Un tracteur électrique routier coûte environ 350 000 € contre moins de 100 000 € pour un diesel. Nous sommes face à un mur financier pour les entreprises ». Face à un seuil de 90% de réduction des émissions des transports routiers de marchandises pour 2040, les entreprises soulignent l’insuffisance des aides étatiques. Selon la FNTR, 23,5 Mds€ seront nécessaires pour les transporteurs pour opérer la transition jusqu’à 2040. L’enveloppe de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) ne s’élève cependant aujourd’hui qu’à 130 M€.
Le maillage de bornes de recharge
En 2022, les grands routiers parcouraient en France en moyenne 455 kilomètres chaque jour. Là est la principale difficulté de la transition : pour l’heure, l’autonomie de la flotte électrique de camions reste limitée à 300km, comme le souligne Emmanuel Duperray chez Renault Trucks. Le maillage des bornes de recharge, au-delà d’être un enjeu de taille pour le secteur automobile européen, s’avère être un réel défi également pour le transport routier de marchandises.
D’ici 2025, 40 000 batteries de véhicules électriques moyens & lourds nécessiteront des recharges en Europe sur des bornes distinctes et plus puissantes que celles dédiées à l’automobile. D’ici 2030, ce volume atteindra les 270 000 batteries à charger quotidiennement pour assurer le flux d’échanges à travers le Vieux continent.
Ces infrastructures, indispensables au bon fonctionnement d’une flotte de camions majoritairement électriques, sont aujourd’hui absentes du territoire européen. L’ACEA (Association des Constructeurs Européens d’Automobiles) souligne la nécessité de l’installation de 15 000 bornes de recharge publiques pour véhicules lourds d’ici l’année prochaine. Ce besoin est en croissance exponentielle : 50 000 bornes publiques seront nécessaires en Europe d’ici 2030 d’après l’ACEA.
Le défi est donc immense dans les années à venir : le déploiement du réseau de recharge ainsi que les investissements financiers se doivent de suivre la cadence d’une transition rapide vers un nouveau modèle de transport routier européen de marchandises, tenu d’être décarboné d’ici 2040. La solution pourra aussi passer par l’ouverture et l’intégration (via des offres combinées) avec d’autres modes de transport de marchandises plus durables tels que le fret ferroviaire, et dans une moindre mesure le transport fluvial.
Un article rédigé par