02/11/20

Réinventer la relation client : un enjeu clé pour les bailleurs sociaux

La concentration du marché issue de la loi ELAN : une opportunité de réorganiser la relation client

Plus des trois quarts des bailleurs sociaux, du fait de la taille de leurs parcs, ont été concernés par la contrainte de concentration du marché, en application des dispositions de la loi ELAN de 2018. Les rapprochements d’acteurs challengent aussi bien leur organisation cible que leur modèle économique, et la convergence des modèles d’activité mène à la question de l’organisation de la relation client après rapprochement. En effet, avant rapprochement, les acteurs concernés suivaient parfois des stratégies de relation client multicanal différentes, organisaient différemment le traitement des sollicitations clients, ou encore pilotaient différemment les flux et la performance.

Un rapprochement d’acteurs offre tout d’abord une opportunité de réfléchir à la définition et aux modalités de mise en œuvre d’une stratégie cible de relation client multicanal. Quel dispositif relationnel multicanal en fonction d’objectifs partagés ? Comment instruire, prioriser et lancer des canaux de relation client complémentaires aux canaux traditionnels ? Comment analyser l’impact d’un nouveau canal en termes techniques, financiers, organisationnels et de ressources humaines ? Le champ des possibles offre un terrain de jeu très vaste, entre canaux humanisés (traditionnels, digitaux, sociaux et communautaires) et canaux automatisés (outils self-care), dans lequel les acteurs regroupés devront effectuer les meilleurs arbitrages.

Tout rapprochement pose aussi la question de l’organisation du traitement des demandes et réclamations clients par le Service Relation Client. Quelle gouvernance et quelle organisation cibles ? Quelle architecture technique et quels outils cibles, a fortiori lorsque les acteurs concernés disposaient de systèmes d’information et d’outils différents ? Quels budgets associés ? Ces questionnements ne concernent pas uniquement l’organisation et les outils, notamment le choix d’un CRM, mais également la gestion des ressources humaines, la définition et la diffusion d’une posture relationnelle, et la formalisation de procédures, scripts et gestes métier pour les conseillers.

Enfin, les rapprochements d’acteurs appellent à interroger le pilotage des flux et de la performance de la relation client. Comment concevoir ou optimiser le dispositif de pilotage et de reporting ? Quels indicateurs de relation client prioriser en fonction de mes objectifs, par exemple en matière de qualité ou de valeur, produites ou perçues ?

Face aux évolutions sociales et sociétales, identifier et adresser de nouveaux besoins clients

La relation client des bailleurs sociaux ne peut être analysée sans prendre en compte les spécificités de leurs locataires et les missions spécifiques qui incombent aux bailleurs sociaux.

Face à la difficulté économique et sociale des locataires, certains bailleurs mettent en place des dispositifs d’alerte et de prévention pour identifier les situations critiques et éviter le décrochage. Une détection d’autant plus cruciale alors que les locataires sont impactés par la crise économique et sociale. La relation client doit donc s’adapter pour prendre en charge une assistance personnalisée lorsque les difficultés sont avérées (reports de loyers impayés, accès facilité au crédit, accompagnement par des associations locales…). Autant de données à intégrer à l’outil CRM pour exploitation par les services concernés.

A titre d’exemple, Brest Métropole Habitat a mis en place un partenariat avec une filiale de la Caisse d’Épargne pour proposer des microcrédits aux locataires qui ont des difficultés à payer leur loyer du fait de leur situation (chômage, intérims…) ou d’incidents de la vie (décès, maladie…).

Par ailleurs, des mutations sociétales profondes (vieillissement, nouvelles structures familiales…) imposent aux bailleurs sociaux d’adopter une approche marketing ciblée et donc d’adapter la relation client aux besoins de chaque cible. Ce traitement différencié permet de mieux répondre par exemple aux besoins des seniors, des jeunes, de familles monoparentales, via un accompagnement adapté et dédié à ces cibles, qui sont différemment sujettes à la précarité (vieillissement chez soi, insertion, garde d’enfant…). Un accompagnement qui nécessite notamment d’organiser la relation client en amont et de former les conseillers aux gestes métiers, postures et discours les mieux adaptés.

La digitalisation de la relation client, nécessaire mais pas suffisante

Nous évoquions dans notre article précédent sur les bailleurs sociaux l’impact de la digitalisation sur les parcours clients, notamment pour proposer des algorithmes de recommandation lors de la recherche d’un bien à louer, la mise en place de portails ou d’applications mobile pour la gestion locative courante (gestion des factures, paiement des loyers…), l’implémentation de capteurs reliant aux outils CRM les réseaux de chauffage et les ascenseurs pour prévenir les locataires en cas d’incidents, ou encore l’apparition de chatbots accessibles 24/7 pour gérer les demandes et réclamations clients.

La digitalisation permet aussi aux bailleurs de doter les gardiens d’immeubles d’outils digitaux pour faciliter leur travail de proximité et améliorer ainsi la relation client au niveau du point de contact le plus proche du client. Seine-Saint-Denis Habitat a par exemple choisi de doter ses gardiens d’un outil digital leur permettant de piloter la qualité des interventions des prestataires (ménages, techniques) et de remonter les incidents. Ces collaborateurs de terrain peuvent ainsi saisir les contrôles des prestations de nettoyage ou techniques au sein des parties communes des résidences, et prévenir les sources d’insatisfaction client.

La digitalisation est donc un axe de progrès majeur, mais doit aussi être analysée au regard du contexte social des locataires des bailleurs sociaux. En effet, la relation client doit rester universelle, en intégrant des solutions « low tech » pour prendre en compte l’illectronisme qui peut toucher les locataires des bailleurs sociaux. De manière générale, on peut rappeler que 12% des Français n’ont toujours pas accès à internet et que 19 % des Français ont renoncé au cours des 12 derniers mois à faire quelque chose parce qu’il fallait internet. La digitalisation est donc une condition nécessaire mais non suffisante pour couvrir tous les besoins en matière de relation client.

Repenser la relation client pour s’inscrire pLus globalement dans les nouvelles tendances du marché

Au-delà de ces éléments sectoriels, de grandes tendances sont à l’œuvre en matière de relation client et se diffusent progressivement dans différents marchés. VERTONE suit régulièrement ces tendances, synthétisées dans son benchmark multi-sectoriel, publié tous les ans.

Ainsi, par exemple, tous marchés confondus, notre benchmark rapporte que l’offre multicanal continue de s’enrichir, avec en moyenne 7 canaux gérés. On note aussi des efforts importants d’optimisation de l’accessibilité et des parcours clients (horaires d’ouverture, optimisation des FAQ…) et une volonté croissante d’aller au-devant des demandes clients (canaux de contact directement accessibles sur toutes les pages, chats et web call back de plus en plus présents sur les parcours d’assistance…). Enfin la relation client est de plus en plus valorisée comme levier de différenciation, tendance que l’on ressent également dans le secteur de l’immobilier, y compris dans les activités plus traditionnelles comme chez les syndics de copropriété, qui voient émerger de nouveaux acteurs.

Autant de nouvelles pratiques de marché qui, dès aujourd’hui, impactent les bailleurs sociaux et les amènent à remettre sur l’ouvrage leurs vision, objectifs et leviers d’actions de la relation client.

Un article rédigé par Pierre-Henri Debray