18/05/20

Comment la grande distribution alimentaire transforme son expérience client pendant la crise du COVID-19 – Expérience (client) de crise #12

Avec sa série “Expérience (client) de crise”, VERTONE décrypte les actions mises en place par les entreprises pour faire évoluer leur Expérience Client et l’adapter au contexte de la crise que nous traversons.

La grande distribution alimentaire connaît un séisme pendant cette crise, avec une croissance du marché de plus de 12% (pic à 40% dans la semaine de pré-confinement), principalement due à un transfert du fait de la fermeture de la quasi-totalité des formes de restauration (estimé à plus de 2Mds€), et notamment portée par le e-commerce qui connaît une croissance de plus de 80% pendant le confinement !

Du jamais vu pour ce secteur qui voit ses tendances catalysées par cette période inédite : consommation plus responsable, déclin du format hypermarché, montée du digital… Le gâteau grossit donc, mais toutes les enseignes n’en profitent pas de la même manière ; Intermarché (+1,7 point de part de marché sur 4 semaines de confinement) et Système U (+0,7 point) sortent grands gagnants grâce notamment à un maillage géographique important de magasins et de Drives, bien répartis sur le territoire, alors que les enseignes d’hypermarchés perdent du terrain (ex : Carrefour Hyper à -2,4 points, Auchan Hyper à -1,1 point).

Nous nous sommes donc intéressés aux initiatives de ces acteurs qui ont dû totalement revoir leur expérience client pendant cette crise.

Des initiatives pour rassurer les clients

Le secteur s’est tout d’abord vu impacté par un changement dans les comportements d’achat. Un niveau d’inquiétude fort vis-à-vis de la sécurité des points de vente, mais également sur l’approvisionnement, ce qui a entrainé un effet de stockage dans les premières semaines. Les Français ont également eu la perception d’une forte hausse des prix alors que le secteur annonce une inflation zéro sur la période ; ce choc de perception s’expliquant par plusieurs leviers décryptés dans notre article (concentration des paniers, hausse du prix de certains produits marqueurs comme les fruits & légumes, baisse de la promotion, consommation dans des magasins de proximité avec un indice prix plus élevé)… Les enseignes ont alors mis en place de nombreuses initiatives pour rassurer les consommateurs sur ces 3 aspects : SÉCURITÉ, APPROVISIONNEMENT, PRIX.

Ainsi, l’expérience en magasin a été adaptée avec de nouvelles mesures sanitaires pour protéger les travailleurs et les clients. Alors que la plupart des enseignes équipent les caisses avec des vitres en plexiglas, orientent les clients avec un marquage au sol et une entrée unique, rappellent les mesures à appliquer par des affiches et des messages audios, contrôlent les flux grâce à l’obligation de l’utilisation d’un chariot par client, certains distributeurs vont plus loin. Carrefour teste par exemple un sas de désinfection à l’entrée de son magasin, quand Intermarché, Picard et d’autres réservent des tranches horaires pour les plus âgés et les travailleurs en première ligne.

Pour limiter les effets de stockage, les enseignes ont dû également rassurer les consommateurs sur l’approvisionnement des magasins. De nombreux dirigeants ont pris la parole pour rassurer sur le risque de pénuries comme Michel Edouard Leclerc ou Dominique Schelcher, PDG de système U. Carrefour a innové en exploitant ses données afin de permettre à ses clients de visualiser en direct le stock de certaines catégories de produits sur la page web d’un magasin.

Exemple de données de stock des produits essentiels pour un magasin Carrefour

Enfin, la baisse du pouvoir d’achat étant une réalité quand 66% des Français estiment que le coronavirus a déjà eu ou aura bientôt un impact sur leur revenu personnel, les distributeurs communiquent alors massivement sur leurs prix bas. La plupart des acteurs ont rapidement mis en avant le blocage des prix de leurs marques de distributeurs, suivis par Intermarché qui est allé plus loin en maintenant le prix de 10 000 produits, marques nationales comprises, jusqu’au 15 mai. En sortie de confinement Leclerc renforce son positionnement initial à travers sa campagne publicitaire TV « ça fait des semaines que vous faites des efforts, comptez sur nous pour en faire plus » et s’engage à fixer le prix de 12 600 produits.

Des initiatives pour capter une part du gâteau e-commerce

L’augmentation du recours à l’e-commerce alimentaire, qui a passé le seuil symbolique des 10% de parts de marché (vs 5,7% en 2019 et une croissance annuelle d’environ 0,4 point), a été décrypté en détails dans notre article. Ce service, encore discret en France avant crise, a conquis 1 foyer sur 4, en recrutant 2,5 millions de nouveaux clients et a entrainé des files d’attente en ligne, avec des créneaux de retrait / livraison souvent indisponibles. C’est Leclerc, qui possédait 48% du marché Drive en 2019 (source Olivier Dauvers), qui profite avant tout de cette demande explosive, en gagnant 1,6 point de part de marché rien qu’avec son e-commerce, soit quasiment autant que tout le groupe Mousquetaires. Grâce à son maillage de près de 1450 unités, Intermarché explique quant à lui 40% de sa croissance grâce à l’e-commerce.

Les distributeurs se sont ainsi retrouvés dans une situation de demande supérieure à leur capacité d’offre, faisant donc face à un enjeu très court terme d’augmentation de leurs capacités à honorer cette demande. Certains d’entre eux créent de nouveaux services, comme Auchan et son « click & collect essentiel », qui propose une sélection très réduite de produits de marques distributeurs. Carrefour, quant à lui, multiplie les initiatives, et propose pas moins de 12 solutions de livraison; à Paris et en Île de France, les livraisons à domicile peuvent être assurées en 30min par l’intermédiaire d’Uber Eats, Glovo ou Shopopop. Le service Les Essentiels Carrefour lancé dès la fin mars propose des « paniers thématiques » (bébés, potager, entretien, animaux, veggie…) en livraison rapide avec des tournées optimisées. Enfin, Carrefour a élargi son réseau en ouvrant temporairement ses Drives Promocash aux particuliers (habituellement réservés aux professionnels de la restauration.

e-commerce grande distribution pendant la crise du coronavirus vertone cabinet de conseil marketing stratégie grande consommation retail
Exemple de paniers Les Essentiels de Carrefour

Franprix qui n’a pas la force du e-commerce des autres enseignes a développé un partenariat avec Deliveroo et transforme certaines de ces surfaces de vente en « dark stores » ; fermées le matin pour que les vendeurs préparent les commandes de manière plus optimisée, l’enseigne arrive ainsi à prendre en charge un plus grand nombre de commandes.

La région parisienne a été particulièrement concernée par cette explosion du e-commerce, faisant même apparaître de nouveaux acteurs, comme le Marché de Rungis, qui a lancé un service de livraison de produits frais en B2C pour dynamiser son activité pendant la crise.

Des initiatives pour assumer ses responsabilités

Entreprises indispensables pendant la crise, un lien spécial se crée entre eux et les consommateurs qui sont 52% à déclarer favoriser les marques qui auront su s’engager (source e-marketing). Les acteurs de la distribution alimentaire assument alors leurs responsabilités pendant cette crise.

Tout d’abord envers leurs collaborateurs,leur bien-être étant l’attente première des consommateurs sur l’engagement des marques (source Kantar). La plupart des acteurs ont d’ailleurs annoncé verser une prime exceptionnelle de 1000€ à leurs collaborateurs pour saluer leur engagement dans la crise sanitaire. D’autres initiatives plus locales ont également émergé ; dans la Gironde, trois enseignes concurrentes se sont accordées sur la fermeture de leurs surfaces de vente le dimanche pour protéger leurs salariés. Les enseignes s’engagent également envers leurs partenairescomme Système U qui paye au comptant les factures de tous ses fournisseurs PME.

Plus largement, les enseignes s’engagent envers la société. Elles mettent en place des offres destinées aux travailleurs en première ligne, comme la priorité aux soignants en caisse ou Carrefour qui offre des paniers repas aux routiers, livre gratuitement les soignants et organise une récolte de chocolats de Pâques pour ces derniers. De nombreux acteurs mettent aussi en place un système de dons, comme Franprix et Intermarché qui ont lancé avec Lucky Cart des opérations « gaming for good » ; le « défi caritatif » a par exemple permis aux clients e-commerce de Franprix de réaliser des missions pour cagnotter 2€ sur leur compte et déclencher un don de 5€ à l’AP-HP.

Enfin, un soutien particulier a été apporté aux producteurs locaux, l’origine des produits étant un critère de choix qui prend de plus en plus d’importance pour les Français durant la pandémie. Les distributeurs tendent la main vers les agriculteurs et se rapatrient sur une production made in France. De nombreuses campagnes de communication, notamment de la part de Intermarché et Leclerc mettent en avant les produits issus de nos régions à travers du display, la presse ou encore les prospectus digitalisés. En local, les magasins lancent des appels aux producteurs via des affichages, proposent leurs produits dans les allées centrales, et les invitent à vendre leur production dans les vitrines des rayons traditionnels fermés pendant la crise.

La campagne d’Intermarché en soutien aux agriculteurs français

Leclerc crée de son côté le « Ticket Solidaire », une réduction sur la carte de fidélité pour l’achat d’une sélection de produits d’origine française, et lance la gamme « Engagé », constituée de produits citoyens et accessibles, avec une meilleure rémunération des producteurs et éleveurs, un meilleur traitement des animaux et sans OGM ni traitement antibiotique.

Le digital vient également en aide à la production locale à travers le développement de la plateforme « J’aide les producteurs locaux » qui met en relation les producteurs et les distributeurs et déjà rejointe par plus de 1000 magasins Intermarché et Netto.

LE regard VERTONE

La grande distribution a su surmonter ces premiers mois de crise, en assurant l’alimentation des Français sans rupture majeure et sans hausse de prix, en développant des services innovants pour répondre à leurs attentes, en faisant preuve de solidarité, puis en protégeant et en valorisant l’engagement de ses collaborateurs. À cela se rajoute une communication réussie, avec de la réassurance dans un premier temps, des mises en avant produits et soutiens aux filières ensuite, puis depuis peu des messages optimistes et positifs autour de la convivialité.

Résultat : un regain de confiance historique de +14 points (source Kantar) pour ces enseignes, quand Amazon perd 2 points, mal jugé pour sa gestion de crise, et n’ayant pas profité du boom de l’e-commerce alimentaire. Au Royaume-Uni, en revanche, Amazon s’active pour lancer rapidement « Ultra Fast Fresh », un service de livraison rapide de produits frais et d’épicerie, grâce à des entrepôts modernisés capables de préparer des commandes en quelques heures.

Et après…

Le secteur de la restauration tournant toujours de manière très limitée après ce début de déconfinement, la grande distribution devrait encore connaître une croissance entre 5% et 15% dans les prochains mois. Le Drive a quant à lui gagné plusieurs années de croissance, car une partie des 2,5M nouveaux clients auront probablement été séduits, l’enjeu d’augmenter la capacité à répondre à la demande restera donc d’actualité.

Les acteurs qui devraient se démarquer sont ceux qui, en plus d’une capacité e-commerce pour honorer la demande croissante, sauront concilier les attentes parfois contradictoires des consommateurs. Une fracture sociale à gérer, entre un souhait de mieux-manger (bio, sain, responsable, équitable, écologique…) et d’approvisionnement local, et un pouvoir d’achat inéluctablement en baisse, replaçant le prix et la promotion comme 1er critère de choix pour une grande partie des Français. Enfin, l’expérience client en PDV sera plus que jamais au centre de l’équation, favorisant des formats de magasins intermédiaires, qui savent concilier praticité, confort et sécurité.

Une série proposée par Raphaël Butruille, Raphaëlle Brunois et Léna Diascorn, un article rédigé par Charlélie Bensoussan

Besoin de réagir ? VERTONE vous accompagne dans vos projets de démarches Marketing en réponse à la période que nous traversons (gestion de crise au quotidien, adaptation de votre dispositif relationnel et commercial, appréhension du changement des comportements clients, anticipation de la reprise…). Parlez-nous de votre projet.

Lisez les autres articles de la série :