18/05/20

Expérience client en situation de crise : comment agir ? #13

Certains se souviennent encore de la réaction d’un loueur de voiture le jour du 11 septembre 2001. Ce dernier avait immédiatement accepté que ses clients puissent ramener la voiture louée à un autre endroit que celui du lieu d’origine, sans avoir à payer les « frais d’abandon » également appelés « frais d’aller simple » ou « frais de restitution ». Cette prise de décision, simple en apparence et pleine de bon sens, était en réalité exceptionnelle puisque peu suivie par ses concurrents qui avaient préféré poursuivre l’application des protocoles et contrats signés. Les clients de ce loueur s’en sont longtemps souvenus et la médiatisation de ce geste opportun avait permis à la marque de séduire de nouveaux clients.

La crise sanitaire du COVID-19 a obligé les marques à réagir dans l’urgence, pour, bien au-delà d’une communication de crise, développer une attention client particulière. Avec notre série “Expérience (client) de crise”, nous avons décrypté 12 entreprises ou secteurs et leurs actions mises en place pour faire évoluer leur expérience client et l’adapter au contexte de la crise que nous traversons. Par ailleurs, nous avons eu l’opportunité d’accompagner certains de nos clients dans la conception et le déploiement de ces nouvelles expériences. C’est sur la base de ces retours d’expérience, de ces décryptages, ainsi que sur l’analyse des évolutions des différents secteurs sur lesquels nous intervenons, que nous sommes en mesure de clôturer notre série et proposer quelques enseignements. Qui seront sans doute utiles…lors de la prochaine crise ?

C’est dans le besoin qu’on reconnait ses amis

Ce proverbe français se comprend bien dans le cadre d’une relation amicale. On éprouve la solidité d’une amitié (ou d’un amour) lorsque les difficultés surgissent. Ces dernières permettent comme un thermomètre, de jauger le degré d’amitié en fonction de la capacité à apporter son aide, jusque parfois, au degré ultime du sacrifice. Les 75 soldats descendus un à un de la falaise d’Okinawa par Desmond Doss, l’infirmier héros dont le film de Mel Gibson « Tu ne tueras point » a relaté l’exploit, se sont souvenus toute leur vie du geste exceptionnel, au risque de sa vie, de leur sauveteur.

Il est en à peu près de même lors de la relation entre une marque et ses clients. La confiance s’établit progressivement dans une relation de long terme et peut se trouver soudainement annihilée ou renforcée lors d’un « moment de vérité », où les attentes clients se trouvent soudainement exacerbées.

Si l’optimisation de l’expérience client permet en régime linéaire d’augmenter lentement l’attachement client et donc la préférence, les périodes de crise peuvent être de formidables opportunités pour renforcer et accélérer cet attachement.

En effet, en régime normal, l’expérience client, qui se construit dans la durée, comme un travail de fourmi, permet de renforcer lentement l’attachement des clients à la marque et justifier ainsi à terme la préférence. Des dispositifs classiques d’expérience client (programme de fidélité…) nécessitant un monitoring fin de la satisfaction (au travers des KPIs tels que le NPS ou le taux de satisfaction) se mettent en œuvre sur des temps longs (cadrage, développement, lancement, suivi…), avec des investissements souvent conséquents (générosité, équipes projets, SI, pilotage…), pour un attachement à la marque qui se renforce progressivement.

Les situations de crise, sont à la fois une menace pour les marques tentées de ne rien faire et une opportunité pour celles, réactives, capables de s’engager au-delà des attentes de leurs clients, avec des gains d’attachement durables.

Pour cela, des décisions rapides en faveur des clients doivent être prises au plus haut niveau, en circonstanciant finement d’un côté les aspects économiques et juridiques, et de l’autre, les craintes et attentes des clients pour des bénéfices futurs. Ces décisions sont difficiles à prendre, puisque la première tentation est de se carapater pour réduire la voilure et diminuer les risques. Par ailleurs, les budgets à engager peuvent être rapidement considérables comme en témoignent la valorisation des actions de Total (50 millions d’euros) ou d’Engie (12 millions d’euros) en faveur des soignants ou des clients les plus fragiles. Il est ainsi nécessaire que le Directeur Marketing puisse représenter la voix du client au Comex pour contrebalancer les seuls arbitrages court-termes de sauvegarde qui pourraient être décidés.

Il faut s’évertuer à agir pas seulement vite, mais bien : les dispositifs doivent être imaginés en un temps record, sans s’appuyer sur des études complexes, mais seulement sur des analyses fines de la situation avec une bonne dose de conviction, de pragmatisme et d’intuition marketing.

Ainsi, malgré des investissements court-terme nécessaires, des impacts positifs significatifs sur l’actif client peuvent être escomptés :

  • Renouvellement de contrat à terme : « je reste avec eux car je me souviens qu’ils ont assuré pendant la crise »
  • Défense d’un prix élevé : « c’est certes plus cher mais je sais qu’ils seront là en cas de problème »
  • Puissance de la recommandation : « je vous conseille d’aller chez eux, vous ne serez pas déçus »
  • Confiance pour la prise de services additionnels : « je sais qu’ils me proposent un service utile qui n’est pas creux »
  • Contribution des clients à l’enrichissement de la relation ou de l’offre : « je me sens lié à la marque et accepte donc de les aider à progresser »
  • Meilleure tolérance d’une expérience client pas totalement satisfaisante en régime normal : « c’est vrai que le service est perfectible, mais je les excuse compte tenu de leur réactivité pendant la crise »
  • Découverte puis adoption de nouveaux services via leur gratuité momentanée

Fort de la conviction qu’il faut agir rapidement, sur quels leviers faut-il agir pour transformer son expérience client au nouveau contexte ?

Sur quels leviers peut-on agir ?

Durant cette crise sanitaire, les entreprises font face à des situations hétérogènes selon leur secteur et leur rôle face à la crise. On peut ainsi les segmenter selon deux critères orthogonaux : leur caractère essentiel ou non d’un côté, et la possibilité ou non de pouvoir poursuivre leur activité, de l’autre.

Les secteurs essentiels représentent les activités indispensables à la “vie de la nation”, telles que la distribution alimentaire, la fourniture d’énergie ou la mobilité. Ces secteurs peuvent être naturellement promus pour contribuer à la résolution de la crise, tels que la distribution alimentaire. A l’opposé, ils peuvent être contraints de réduire leur activité pour diminuer la propagation de l’épidémie (cas du transport notamment).  

Les secteurs d’activité jugés non essentiels ne sont pas immédiatement indispensables au quotidien et sont impactés différemment suivant leur business model (abonnement / achats ponctuels) et leurs canaux de distribution (physique VS digital). On y retrouvera notamment certains secteurs des loisirs.

Il va de soi que cette segmentation reste arbitraire, puisque certains secteurs pourront sembler indispensables à certains (une librairie par exemple) : nous nous appuierons sur les éléments du décret du 16 mars 2020  pour objectiver le plus possible cette classification. On peut ainsi établir une matrice constituée de 4 segments, confrontés à des situations parfois radicalement différentes, pour différencier les enjeux et leviers marketing spécifiques à activer.

vertone cabinet de conseil marketing crise relation client expérience client

Les secteurs essentiels doivent principalement rassurer leur portefeuille de clients sur le maintien de leur activité. Une communication soutenue et sobre est par exemple un levier activable. A l’instar des dirigeants d’Orange qui prennent régulièrement la parole sur les réseaux sociaux et la presse pour rassurer sur la solidité de son réseau et sa gestion de crise.

Les autres enjeux de ces secteurs consistent à :

  • Sécuriser les travailleurs et atténuer la peur des clients
  • Assurer dans de bonnes conditions l’augmentation des flux (de commande, d’utilisation, de renseignements client…) malgré des conditions de travail différentes
  • Rassurer les clients sur les prix par rapport à la baisse du pouvoir d’achat
  • S’engager solidairement pour la société dans son ensemble, les personnels au front ou les Français les plus malmenés par la crise
  • Renforcer la fidélité à la marque et le sentiment d’appartenance
  • Accélérer la digitalisation sur l’ensemble de l’Expérience Client (de la « découverte » au service après-vente)

L’enjeu majeur des secteurs non essentiels mais toujours en activité est de continuer à rester proche de ses clients mais aussi :

  • Maintenir l’acquisition de nouveaux clients
  • Se positionner comme partenaire de confinement
  • Communiquer sur un ton juste

Pour les entreprises des secteurs essentiels qui doivent réduire ou arrêter de leur activité, elles font face à trois enjeux majeurs :

  • Rester proche des clients et prospecter sans les inciter à utiliser leurs services immédiatement. La SNCF doit par exemple continue susciter le goût du voyage malgré la réduction actuelle de la circulation des trains.
  • Mettre en place les meilleures mesures sanitaires possibles pour pouvoir augmenter leur activité
  • Projeter les clients dans l’après confinement

Finalement les secteurs non essentiels et en activité réduite doivent principalement trouver un moyen de maintenir un chiffre d’affaire malgré la fermeture des espaces de vente et la réduction des déplacements mais aussi :

  • Rester présent dans l’esprit des consommateurs de manière bénéfique : Par exemple, Decathlon met en avant à travers une communication humoristique son application Decathlon Coach gratuite et ses nombreux conseils sportif
  • Gérer (bien et vite) l’annulation des prestations : Twitter fait état de nombreux mécontentements concernant la lenteur des remboursements des séjours par certaines plateformes de locations de vacances
  • Mettre en place une expérience client sécurisée et la moins dégradée possible pour les lieux déconfinés et réduire la nervosité des consommateurs
  • Accélérer le self-service avec une expérience digitale simple, intuitive et fiable
  • S’engager : Le groupe Rocher a réorienté sa production vers du gel hydroalcoolique à destination des hôpitaux

De nombreux leviers permettent de satisfaire tous ces enjeux : il va de soi que chaque levier est spécifique à un secteur ou une marque particulière. Pour identifier précisément ces leviers, un benchmark des pratiques du secteur, en France ou à l’étranger peut être utile. A compléter par des ateliers d’idéation garantissant la bonne adéquation au contexte et aux spécificités de l’entreprise.

Comment agir : les 10 facteurs clé de succès

A travers notre décryptage des expériences clients durant la crise, nous avons pu mettre en avant dix facteurs clés du succès pour faire face aux nombreux enjeux énumérés et mettre en place une action marketing réussie.

  1. Anticiper : les marques qui avaient des activités en Asie ont eu un temps d’avance pour gérer au mieux la crise en France, tels qu’ Orange et Decathlon qui ont été impactés dès le début de la pandémie en Chine et qui ont alors pu dès le mois de janvier mettre en place un comité de crise.
  2. Décider en faveur des clients : les premières décisions concernent en général la réduction de voilure et la limitation des risques opérationnels et financiers. Il est ainsi nécessaire que la gouvernance d’entreprise intègre bien au plus haut niveau une culture client forte et des ambassadeurs de la voix du client.
  3. Rester simple : privilégier des parcours clients simples et facilement compréhensibles par les clients, avec une mise en œuvre rapide ne nécessitant aucun développement particulier : une adresse email par exemple plutôt qu’un questionnaire. Il faut accepter de déporter la complexité du côté de l’entreprise, pour gérer ces nouveaux flux avec des processus dégradés. Total a construit une démarche simple (un email et un formulaire) pour permettre la distribution rapide de ses bons d’essence.
  4. Rester flexible à l’écoute des clients : la situation étant nouvelle, le premier dispositif envisagé ne répond jamais parfaitement aux attentes et besoins clients. Il faut savoir rester à l’écoute des clients, au niveau des services clients ou des réseaux sociaux, pour adapter, améliorer ou élargir le dispositif à des cibles plus larges. Microsoft Teams déploie par exemple rapidement de nouvelles fonctionnalités pour permettre la meilleure expérience utilisateur possible aux télétravailleurs et oriente également sa plateforme vers la télémédecine et l’éducation avec des offres et u contenu dédié.
  5. Monitorer le dispositif : de manière concomitante à l’action envisagée, il faut mettre en place les reportings court-termes (impacts médiatiques, NPS) et moyen/long-termes (suivi du taux de satisfaction et du taux de churn des populations ciblées par l’opération) qui permettront de réaliser le REX de l’opération.
  6. Rester en veille : face à la nouveauté, il est nécessaire d’avoir une lecture complète des initiatives de son secteur et au-delà de l’ensemble des marques, pour mieux comprendre la situation et dégager des idées d’action sur son portefeuille client.
  7. Dégager un budget significatif : comme évoqué, pour escompter avoir un impact significatif sur son marché et ne pas risquer de décevoir ses clients, les budgets peuvent se chiffrer en dizaines de millions d’euros, soit le coût d’un beau programme de fidélité. Au-delà des convictions fortes des décideurs sur le bien-fondé d’un tel engagement, il faut savoir aller chercher les budgets correspondants, notamment en identifiant précisément les économies engendrées par la situation : opérations évènementielles annulées, coût d’acquisition limité, etc.
  8. Rechercher la cohérence de la posture de marque entre les dispositifs existant et le contexte. Comme Engie qui a su colorer le lancement de son nouveau programme d’engagement au contexte de la crise et ainsi tirer profit de son nouveau dispositif.
  9. Rester humble et authentique dans la communication : une communication ou une offre inadaptée peut rapidement être mal interprétée et se développer en « bad buzz ». On peut citer les offres de « masques offert pour un minium d’achat » de certaines enseignes qui ont rapidement fait marche arrière. A contrario, The Coca Cola Company a renoncé à ses investissements budgétaires et s’est discrètement engagé dans la lutte contre l’épidémie et le groupe Les Mousquetaires remercie publiquement « les héros discrets ».
  10. Piloter l’action engagée avec professionnalisme en la considérant comme un projet à part entière. Il est ainsi important d’établir les ressources, le planning et les KPI de suivi du projet. Un projet mal dimensionné et insuffisamment piloté fait prendre le risque de déceptions ultérieures.

***

Cette série de décryptages « expérience (client) de crise » se termine. Elle nous a enseigné l’importance de l’engagement des marques envers leurs clients et la société grâce à des actions marquantes décidées à haut niveau.

La crise, « moment de vérité » de l’expérience client, peut se révéler alors une belle opportunité pour consolider et accroître l’attachement des clients à la marque.

Une série proposée par Raphaël Butruille, Raphaëlle Brunois et Léna Diascorn

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