16/06/20

Pouvoir d’achat et COVID-19 : Quels impacts, quels risques, quels leviers pour les marques et enseignes ?

La problématique du pouvoir d’achat n’est pas nouvelle. Elle a constitué l’un des thèmes centraux des débats depuis plusieurs élections présidentielles. Le phénomène des gilets jaunes a montré, si besoin était, la forte sensibilité d’une partie de la population à ce sujet. 

Pouvoir d’achat : l’amplification avec la pandémie d’une problématique préexistante

Cependant la pandémie de COVID-19 et les mesures prises pour l’endiguer ont soudainement donné une nouvelle acuité au problème. La mise en activité partielle pour les salariés, la réduction ou perte totale d’activité pour les indépendants et commerçants ont touché à peu près simultanément une part importante de la population, avec des effets immédiats sur leurs revenus, et sur leur perception de l’évolution de leurs revenus.

Les impacts ont été très rapidement visibles à grande échelle :

  • Augmentation du nombre et du niveau moyen des découverts bancaires (étude COFIDIS/CSA sur les Français et leur pouvoir d’achat)
  • Augmentation des demandes de report d’échéances de remboursement de crédits
  • Accroissement, dans la distribution alimentaire, du poids des Marques Distributeurs (moins chères…) dans les ventes, depuis le début du confinement

Différence des contextes clients et accroissement de la dispersion des comportements de consommation

Une part non négligeable de la population est déjà touchée, mais les réactions de chacun à la situation varient et dépendent de plusieurs facteurs :  

  • Le niveau d’impact (ampleur de la diminution des revenus). La mise en activité partielle a limité les pertes de revenus pour les salariés (même si elle a tout de même existé pour certaines populations dont les entreprises n’ont pas compensé les 17% de salaire « perdu » dans le cadre de l’AP), mais beaucoup redoutent de perdre leur emploi dans les prochains mois et ont traduit de façon hétérogène cette anticipation dans leur comportement d’achat.
  • Les marges de manœuvre financières du foyer (niveau d’épargne/patrimoine, équilibre préalable entre revenus et dépenses).

Sur ce dernier point, deux phénomènes importants sont à prendre en compte pour comprendre l’acuité de la problématique et ses conséquences directes et souvent immédiates sur le comportement d’une partie des consommateurs :

  • Une part importante des foyers dispose d’un patrimoine nul ou quasi nul, comme le révèle les statistiques de l’INSEE. Pour ces foyers, toute réduction des rentrées d’argent se traduit à très court terme par une réduction des dépenses ou par une augmentation de l’endettement
  • Le poids des « dépenses contraintes » (dépenses pré-engagées, difficilement adaptables à court terme) a augmenté de façon régulière et importante sur les dernières années, voire décennies, notamment sous l’effet de la hausse du coût du logement. Pour les ménages qui doivent ou veulent limiter rapidement leur niveau de dépense, les réductions doivent s’opérer au sein d’une enveloppe de plus en plus restreinte, ce qui tend naturellement à augmenter l’ampleur des variations.

En synthèse, il faut s’attendre à des réactions très diverses des ménages concernés, que ce soit sur la rapidité des ajustements des dépenses, leur ampleur et la nature des postes de dépenses concernés.

Un contexte global marqué par d’autres types d’évolutions des attentes et comportements clients

La pandémie et les mesures prises pour la maîtriser ont également induit ou accentué des tendances avec d’autres types d’impacts, plus ou moins forts et durables, sur les comportements de consommation.

Ces évolutions complémentaires de comportement ont deux causes principales :

  • Les modifications des critères d’achat, ou de ce que les économistes nomment la fonction d’utilité des consommateurs. En effet on observe un renforcement des préoccupations sanitaires. Mais également d’autres tendances, souvent préexistantes à la crise COVID, pourrait être amplifiées, au moins pour une partie des consommateurs : mieux manger, manger bio, volonté d’acheter local / Made in France, préoccupations écologiques…
  • Les nouvelles expériences de consommation :
    • Fréquentation de nouvelles enseignes (très forte augmentation des nouveaux clients pour la plupart des enseignes de GSA pendant le confinement…)
    • Achat de nouveaux produits (achats de produits de substitution, MDD…)
    • Utilisation de nouveaux canaux de commandes ou de livraison (explosion des volumes du drive, livraison à domicile…)

Ces expériences inhabituelles de consommation ont modifié notre perception de l’offre, des marques, des enseignes, de certains processus. Les informations que nous avons tirées de ces expériences pourront influencer et modifier notre consommation future.

S’il est encore difficile à ce stade de la pandémie de savoir lesquelles de ces tendances seront pérennes, ou durablement renforcées, et dans quelle ampleur, une chose est quasi-certaine : quelle que soit la tendance concernée, la dispersion des comportements clients, déjà constatés, va perdurer, voire s’amplifier. Les variations d’évolutions individuelles seront beaucoup plus fortes que les variations moyennes observées. On peut penser qu’un nombre croissant de consommateurs adopteront une position « très marquée » sur une des dimensions mentionnées (pouvoir d’achat/réduction des dépenses, préoccupation sanitaire, environnementale…) qui dominera les autres critères de choix et provoquera des arbitrages forts en ce qui concerne les marques choisies par ces consommateurs. Par ailleurs, il est important de noter que ces tendances peuvent être antinomiques, comme l’illustrent les exemples suivants :

  • Réduction des dépenses alimentaires et mieux manger
  • Réduction des dépenses et achat local
  • Préoccupation sanitaire et préoccupation environnementale

Quels impacts et quels risques pour les marques et les enseignes ?

S’il n’est pas sûr que cette crise se distinguera des précédentes par son ampleur, elle s’en distinguera certainement, compte tenu de ce qui précède, par la forte dispersion des comportements clients à laquelle nous devrions assister sur différentes dimensions.

Pour les marques, les impacts (ampleur et rapidité) et les risques dépendent des caractéristiques de leur secteur et de leur modèle d’activité.

En fonction de LA typologie des clients de la marque

Les entreprises seront d’autant plus directement, fortement et rapidement touchées que leur parc client est concentré sur la partie la plus fragile financièrement de la population.

La dispersion des comportements constituera une difficulté particulière, et plus inhabituelle, pour les entreprises qui s’adressent à un spectre très large de la population (c’est par exemple le cas de la plupart des acteurs de la GSA, des principaux fournisseurs d’énergie, …). Ces entreprises devront en effet trouver des réponses satisfaisantes pour une clientèle de plus en plus morcelée et sophistiquée dans son comportement, ou arbitrer en se refocalisant sur une cible plus restreinte et plus homogène.

En fonction de la nature de l’activité 

Au moins deux caractéristiques importantes sont à prendre à compte dans ce cadre :

  • La première est la place de la proposition de valeur de l’entreprise dans la pyramide des besoins consommateurs.
  • La deuxième réside dans la capacité pour le consommateur à réduire, à différer les achats, ou à arbitrer entre produits neufs et produits d’occasion. Typiquement, le secteur du textile connait dans un pays comme la France une lente décroissance du marché en valeur depuis plusieurs années. Ce secteur sera particulièrement exposé dans la période à venir du fait du caractère facilement reportable des achats et du fort développement du marché des vêtements d’occasion porté à la fois par les contraintes de pouvoir d’achat et les préoccupations environnementales.

En fonction de la NATURE DE LA relation commerciale

  • Les caractéristiques importantes à prendre en considération sont l’existence ou non d’une forme d’engagement dans la relation client – fournisseur (typiquement abonnement vs non abonnement) et le caractère plus ou moins mono fournisseur de l’activité.
  • Dans le secteur alimentaire, les clients sont par exemple multi fournisseurs, avec une tendance depuis déjà plusieurs années à une augmentation du nombre moyen de circuits et d’enseignes fréquentés. Les consommateurs peuvent donc facilement et rapidement modifier le mix de leurs. Inversement, dans le secteur de l’énergie, les clients sont souvent mono fournisseur, au moins pour un type donné d’énergie. Les effets de contraintes accrues en matière de pouvoir d’achat sont donc souvent visibles avec un effet retard dans ces secteurs, mais les effets n’en sont pas moins importants puisque le consommateur peut considérer que le levier le plus efficace pour réduire ses dépenses est un changement pur et simple de fournisseur.

Quelles réponses pour les marques et enseignes ? Quels leviers d’adaptation ?

Les leviers actionnables par les marques en réponse à ce contexte inédit par certains aspects sont nombreux, avec une accessibilité et une efficacité différenciées.

CRM / animation relationnelle et commerciale

Ce levier présente le double intérêt d’être facilement et rapidement actionnable et de permettre une application différenciée, ce qui est particulièrement appréciable dans le contexte actuel. L’efficacité de sa mise en œuvre repose notamment sur la capacité à identifier vite et de façon fiable les clients en recherche active de maîtrise / réduction de leur dépense de façon à leur pousser les offres, produits et éventuellement remises adaptés à leurs préoccupations et leurs attentes, si possible en dépassant le cadre strict de la réduction des dépenses. Si ce levier peut permettre d’envoyer des signaux à court terme, il s’avèrera sans doute insuffisant à moyen terme dans la plupart des secteurs.

Réduction des prix

Ce levier est également actionnable à court terme. Néanmoins, sans effort concomitant de réduction des coûts, son impact négatif sur la marge est direct. Ce levier ne pourra être utilisé que de façon limitée dans les secteurs qui ne trouveront pas les moyens de réduire les coûts.

Certaines entreprises miseront sur la digitalisation, dont l’adoption a connu une accélération avec le confinement, pour réduire un certain nombre de coûts opérationnels. La décision d’Inditex, maison mère de Zara, de fermer 1 200 magasins dans le monde et d’investir plus fortement dans le eCommerce s’inscrit dans ce type de stratégie.

Adaptation de l’offre

Si la crise du pouvoir d’achat est aussi forte et durable que le prédisent certains, la plupart des secteurs devront procéder à une adaptation de leur offre, pour en renforcer la composante présentant un rapport valeur / prix optimisé.

Dans ce contexte actuel d’évolution des comportements et des critères d’achat sur d’autres dimensions que le prix, cette démarche sera d’autant plus efficace qu’elle sera menée sur la base d’une compréhension fine et démoyennisée des évolutions de comportements clients dans ses différentes dimensions, qui pourront s’appuyer sur une analyse structurée des data clients dans les secteurs où ce type de données est abondant, comme la GSA.

(Re)focalisation sur une partie du marché

Dans certains secteurs, la recherche d’optimisation valeur/prix mentionnée ci-dessus, poussée au bout de sa logique, pourra amener des acteurs à se refocaliser sur une partie du marché pour atteindre une efficacité maximale.

D’autres acteurs pourront quant à eux faire le choix d’introduire de nouvelles marques pour continuer à adresser une large part du marché tout en améliorant la proposition de valeur pour des populations de plus en plus diverses et en ayant une communication lisible.

Dans tous les cas, les acteurs qui sauront baser la démarche d’identification et de définition des adaptions nécessaires sur une compréhension fine, démoyennisée de l’évolution des comportements clients dans leurs différentes dimensions bénéficieront d’un avantage important sur les autres. Dans les secteurs qui bénéficient de données abondantes et denses sur les comportements, cette compréhension peut être acquise via des analyses selon des approches spécifiques.

Un article rédigé par Pascal Boulnois, co-fondateur de VERTONE