18/12/20

Les sociétés concessionnaires d’autoroute : en route vers l’après-Covid ?

Cette annus horribilis aura vu l’interventionnisme d’Etat être invoqué en urgence au chevet de pans entiers de l’économie. Mais c’est au contraire pour capter un manque-à-gagner estimé à quelques dizaines de milliards d’euros que le sénateur UDI Vincent DELAHAYE remettait en septembre un rapport préconisant le non-renouvellement des concessions autoroutières. L’Autorité de Régulation des Transports (ART) rendait quant à elle un avis contraire deux mois plus tard. Quelle que soit l’orientation finalement retenue, les concessions en cours arriveront à terme dans une dizaine d’années ; d’ici là, la préoccupation des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) est à analyser et contrebalancer les impacts Covid sur leur activité.

Une baisse inédite du trafic… et des revenus pour les SCA

D’après le CEREMA, le confinement de mars a entrainé une baisse inédite du trafic : alors qu’ils constituent les deux tiers des revenus des SCA, le nombre de véhicules légers en circulation sur les quelques 9 200 km concédés du pays a chuté de 80% sur cette période, et de 30% durant le second confinement, malgré des règles plus souples. Plus généralement, l’impact économique de la crise actuelle, ainsi que la mutation profonde des modes de travail qu’elle a déclenchée, pourraient laisser craindre une baisse durable du trafic.

Plusieurs éléments viennent toutefois nuancer ces projections. L’évolution passée du trafic montre une corrélation forte entre ses fluctuations et celles du prix du carburant. Or, le projet loi de finance annule la hausse prévue de la taxation sur le SP95 – E10 et le baril se maintient à des prix historiquement faibles. En parallèle, un effet rebond du télétravail a été observé à de multiples reprises : l’augmentation du temps de loisir et la déconcentration géographique consécutifs à sa généralisation entrainent de façon a priori contrintuitive une hausse des déplacements.

Quels leviers pour préserver le chiffre d’affaires ?

L’impact économique reste réel et les experts, SCA, calculateurs d’itinéraires et pouvoirs publics, n’anticipent pas de retour à la normale avant 2022. Pour préserver leur chiffre d’affaires, les SCA doivent ainsi renforcer la préférence pour l’autoroute des conducteurs. L’examen des facteurs de choix de l’autoroute aujourd’hui (la sécurité, la rapidité) et des freins (le coût) des automobilistes permet alors d’identifier trois leviers :

  • La fluidité,
  • Le prix,
  • La valeur perçue

Levier #1 – Fluidité

La Loi d’Orientation des Mobilités (loi LOM) prévoit la possibilité pour les Préfets de demander la réservation de voies à certaines catégories de véhicules. C’est déjà le cas sur de nombreux tronçons pour les bus et les taxis. Plus généralement, une gestion différenciée des flux et voies seraient de nature à améliorer la fluidité en cas de pic de trafic, tout en apportant un contre-argument concret à l’association généralement faite dans les esprits entre autoroute et pollution. Combinée à la mise en place de péages à flux libres, également facilitée par cette même loi, une telle gestion permettrait de luter contre l’engorgement.

Levier #2 – Prix

L’Etat avait donné son accord pour rattraper entre 2019 et 2023 le gel des tarifs péages de 2015. S’il est peut probable que le concédant accepte une hausse significative en 2021, il est à noter que les contrats incluent une clause de rentabilité, activable dans des circonstances telles qu’actuelles, qui permet aux SCA de demander des compensations ou la révision du prix des péages en cas de chute inhabituelle du trafic. Une telle activation doit toutefois être prudente et ne se faire qu’après l’analyse de l’optimum : une hausse trop importante, en détournant les automobilistes de l’autoroute, serait en effet destructrice de valeur pour les SCA. Le levier prix nécessite une manipulation plus fine, par exemple en jouant sur la possibilité introduite par la LOM d’une tarification spéciale pour les véhicules à carburant alternatif ; plus généralement, l’ART, de son côté, plébiscite la mise en place d’une tarification modulée selon le trafic, ouvrant la porte au yield management autoroutier.

Levier #3 – Valeur perçue

A plus court terme, enfin, il apparait urgent d’augmenter, à tarif égal, la valeur perçue de l’autoroute. C’était initialement tout l’objet des aires de service que de maintenir les usagers sur l’autoroute en améliorant leur expérience de trajet. Par exemple, depuis 2019, pour limiter les tentations de sortir de l’autoroute, APRR déploie ses nouveaux concepts Fulli, intégrant, entre autres, la vente de carburants à bas coût, de nouveaux lieux de détente et de restauration, des toilettes nouvelle génération. On peut également citer l’exemple de VINCI autoroutes, qui, en 2020, s’est associé à la FNSEA pour proposer des marchés fermiers sur ses aires ou reverdir les bordures de ses routes.

Quelle que soit la conjoncture, la réflexion doit dès à présent être réamorcée pour identifier les innovations de services génératrices de préférence, en prenant pleinement en compte les mutations de la mobilité et de la mobilité verte, notamment induites par la LOM, et plus généralement des modes de travail, reportant le trafic des navetteurs quotidiens sur un usage loisir.

Un article rédigé par Marianne Benichou