01/03/21

Les codes d’une transformation agile réussie

A l’ère du digital, la multiplication des projets et le développement des produits et services, et le besoin de collaboration et de rapidité a renforcé le besoin de nouvelles méthodes de gestion de projet. L’intérêt se porte notamment sur les méthodes agiles, qui se développent depuis la rédaction du Manifeste pour le développement agile de logiciels il y a tout juste 20 ans. D’abord utilisées sur des projets unitaires de développement de logiciels et de systèmes d’information (SI) ou au sein d’entreprises entièrement dédiées à la fabrication d’un produit numérique (ex. Spotify), les méthodes agiles sont maintenant vues comme un standard à étendre à l’ensemble des activités de l’entreprise, en particulier celles qui mènent au développement d’offres digitales ou l’enrichissement du SI. Les directions marketing et commerciales sont alors amenées à faire évoluer leur mode de fonctionnement, les DSI ayant en général déjà amorcé ce changement. Cette généralisation des méthodes agiles à plus grande échelle s’appelle « l’agilité à l’échelle », et sa mise en œuvre « la transformation agile ». Comment les directions métier doivent-elles aborder leur transformation agile pour bénéficier des avantages promis par une agilité à l’échelle ?  

La transformation agile : de quoi parle-t-on ?

Les méthodes agiles sont nées d’une volonté de mettre fin à des modes de fonctionnement procéduriers privilégiant la documentation et bridant l’intelligence collective, isolant les développeurs des utilisateurs et de ceux qui dans l’entreprise sont en contact avec les clients, et menant à une part significative de développements inutiles car pensés très en amont, sans retour sur l’usage réel des solutions et sans possibilité de s’adapter aux changements.

A contrario, les principes agiles invitent à fonctionner en équipes-projet pluridisciplinaires et à favoriser la collaboration, l’auto-organisation et l’avancement par itération, en test and learn ou en do and learn se concentrant sur l’essentiel. L’un des attraits de ces méthodes est la place faite à l’empirisme. Les itérations agiles permettent autant l’enrichissement du produit que l’adaptation de l’organisation du travail à l’échelle de l’équipe. L’organisation agile est une organisation apprenante.

Parmi les méthodes qui se réclament de ces principes à la maille d’une équipe-projet, la plus connue est SCRUM. Elle invite à composer une équipe réduite et à lui donner la possibilité de décider de l’organisation de son travail. Elle est accompagnée par un scrum master, en charge de veiller à ce que cette organisation du travail reste alignée avec le cadre agile et les objectifs fixés pour répondre au besoin métier. La vision stratégique et utilisateur est portée par un unique représentant : le product owner. Il se charge de dégager une vision cohérente et priorisée de la multitude de demandes faites à l’équipe. Il traduit cette vision dans un « backlog » d’évolutions : une liste priorisée au formalisme adapté. Le backlog est discuté avec l’équipe et est réalisé de manière itérative, sous forme de « sprints » de 1 à 4 semaines, souvent 2 ou 3. La discussion avec l’équipe aide le product owner à affiner sa vision du besoin réellement prioritaire et sa stratégie de mise en œuvre. Elle permet à l’équipe de construire la meilleure réponse, respectant les objectifs court terme et la vision à plus long terme.

Les méthodes d’agilité à l’échelle permettent de passer de quelques projets agiles autonomes à la coordination de multiples projets impliqués dans la construction d’un produit ou d’un SI. Certaines de ces méthodes s’inscrivent dans une logique de montée à l’échelle élaborée à partir de SCRUM : elles proposent des modalités d’extension de SCRUM à de plus larges périmètres (par exemple Scrum of Scrum, LeSS, SCRUM @Scale). D’autres ont une approche plus top-down. C’est le cas notamment de SAFe, ou Scaled Agile Framework, qui peut être utilisé pour rendre agiles les projets en même temps que l’organisation dans son ensemble. Dans ce cas, les équipes devront déployer et s’approprier l’agilité à l’échelle dans un même mouvement, ce qui est particulièrement complexe et peu recommandé.

Pour les grandes entreprises, SAFe présente le coté rassurant d’un schéma directeur détaillé qui peut s’inscrire dans un dossier de stratégie globale. Son avantage est de formaliser une cible structurée en miroir de l’organisation, prenant en compte les divers niveaux hiérarchiques, dont le top management, et la transversalité. SAFe est néanmoins une méthode complexe : elle peut poser des problèmes d’adoption si elle est appliquée sans nuance. Son efficacité fait l’objet de débats controversés au sein de la communauté des experts de l’agilité.

Qu’il s’agisse de SAFe ou d’autres méthodes d’agilité à l’échelle, une entreprise peut appliquer à la lettre les principes de ces méthodologies, ou plutôt choisir de s’en inspirer pour trouver l’organisation qui conviendra le mieux à sa culture. Dans tous les cas, certains impératifs sont à respecter pour favoriser la réussite de cette transformation.

3 facteurs clés de succès de la transformation agile

Le passage à l’agile impacte en profondeur la culture managériale des directions métier. Le succès de la démarche dépend notamment de divers facteurs : une organisation horizontale, une avancée centrée sur l’essentiel, des processus d’organisation agiles et un pilotage par des référents de la méthode agile.

#1 – Transformer la fonction de manager

Dans l’agilité, les équipes sont pluridisciplinaires et horizontales. La collaboration et l’intelligence collective sont le fondement d’un produit performant. Il n’y a pas de hiérarchie entre les visions client, produit, et technologique : seule la valeur finale du produit guide l’action. Chaque membre de l’équipe apporte activement son expertise et sa compétence propre.

Cette modalité favorise les remises en question de toute proposition initiale par toutes les parties prenantes, côté métier comme côté SI, jusqu’au début du sprint de développement. Plus ces remises en question sont accueillies positivement, plus la dynamique de transformation est favorisée. Cela pousse l’équipe à être engagée dans la durée. Le modèle hiérarchique traditionnel pose un cadre qui délimite ce qui peut être questionné et quand. La transformation agile le remet en cause. Les directeurs et managers de l’entreprise devenant agile pourront donc être surpris que l’équipe-projet, par exemple, décide de repousser la prise en compte d’un besoin qu’elle estime encore mal cerné.

Pour permettre à ses managers de se défaire d’une posture de « command and control » essentiellement verticale, l’entreprise doit revisiter ce qui définit l’autorité du manager à tous les échelons, et les modalités de fixation de ses objectifs. Sans prise en charge de cette question, les managers peuvent se trouver en prise avec des contradictions qui ne peuvent se résoudre au niveau individuel.

#2 – Se recentrer sur l’essentiel

La cible du projet agile évolue en continu, dès lors que les utilisateurs font des retours sur le produit ou selon l’actualité du marché. Les méthodes agiles insistent donc sur le fait de se concentrer d’abord sur l’essentiel, parfois appelé Minimum Viable Product (MVP). On ne cherche pas à développer directement une version parfaite, mais plutôt à avancer par test and learn et à enrichir le produit petit à petit. Cela évite de créer des fonctionnalités inutiles, permet de remettre le client au cœur du processus et d’améliorer le time to market. Cette approche par l’essentiel demande alors une confiance des équipes métiers en la possibilité d’évolutions du produit, au fil des itérations.

Un écueil possible est l’afflux de demandes, toutes essentielles provenant d’équipes métiers différentes. Comment le product owner les priorise-t-il ? Le critère déterminant doit impérativement être la valeur client, et non l’influence hiérarchique. La priorisation des tâches doit se baser sur des critères cohérents et stables afin de ne pas dégrader la confiance entre les équipes.

Afin que tous les échelons s’inscrivent dans une trajectoire pilotée de manière coordonnée et lisible, que les équipes peuvent s’approprier, les entreprises doivent faire évoluer leur processus de gouvernance. L’établissement des budgets et des objectifs des directions marketing sont amenés à changer. En effet, ces processus souvent annuels définissent un objectif sous forme de cible avec un périmètre précis. Mais l’agilité impose de renouveler la manière de les définir, puisqu’ils seront amenés à évoluer au fil des itérations. Il convient en outre d’adapter le pilotage et le dimensionnement des ressources en conséquence.

#3 – Le Scrum Master comme pilier de la réussite

Des transformations de cette envergure ne peuvent être accomplies par directives, ni en un tour de main. Il faut une forte impulsion, du temps et un pilotage adaptatif. Si au départ les formations sont indispensables, elles ne remplacent pas l’expérimentation. Il est d’ailleurs préférable que des expérimentations agiles aient eu lieu préalablement, pour dissocier l’adaptation à l’agilité du passage à l’échelle. Les coachs sont importants pour guider le changement mais ils ne peuvent être disponibles au quotidien auprès de chaque équipe. C’est pourquoi disposer de scrum masters expérimentés et, idéalement, connaissant l’entreprise ou son métier, est essentiel à la réussite de la transformation agile. Il faut néanmoins qu’ils soient dotés d’une autorité réelle : ils doivent être écoutés par le management métier et DSI, et disposer du temps nécessaire pour se concerter et travailler avec les coachs.

Les méthodes agiles offrent un levier de transformation intrinsèque : la tenue à chaque fin de sprint de rétrospectives sur le fonctionnement du projet en vue de l’améliorer dès le sprint suivant. Le scrum master est un pilier de ce processus apprenant. S’il est bien impliqué dans la transformation agile, les équipes seront encouragées par la vision claire du changement en cours. Elles ne craindront pas de sortir de ce cadre nouveau, ce qui pourrait les figer dans l’attentisme et l’inaction. Par ailleurs, la proximité du scrum master avec son équipe en fait un relai de remontée d’informations vers le management pour un pilotage adaptatif et intelligent, et de mise en cohérence de l’esprit de la transformation.

Plus qu’un buzzword, les entreprises font appel aux méthodes agiles pour faire évoluer leur offre et développer des solutions de manière rapide et itérative, tout en profitant des avancées technologiques en matière de déploiement informatique. Mais qui dit transformation dit adaptation de l’organisation du travail au sein des directions et entre elles. Au-delà de désigner des product owners (PO) et des product managers (PM), c’est la façon de découper, répartir, prioriser, gérer, valider et budgéter l’activité qui est impactée, potentiellement à l’échelle de départements entiers et y compris pour des personnes qui ne sont pas directement impliquées dans des projets digitaux ou SI. Chaque entreprise a ses propres valeurs, sa propre histoire et sa propre culture, et il faut en tenir compte lors de l’implémentation de la méthode agile. C’est pourquoi chez VERTONE, nous pensons que les méthodes et frameworks d’agilité à l’échelle sont des accélérateurs et des référentiels pouvant guider l’action, mais pas des recettes tout-terrain. Il faut plutôt les inscrire comme des ensembles de bonnes pratiques à intégrer à la démarche de transformation « classique ». Il faut partir des spécificités de l’entreprise pour in fine réussir à innover plus simplement sur les projets de marketing et de digital.

Un article rédigé par Meriem Goutali et Cécile Damet