28/04/21

Open Insurance : Les prémices d’un nouveau modèle assurantiel diversifié et personnalisé ?

L’Open Insurance, c’est-à-dire l’ouverture des données et ressources des assureurs à des services tiers, reste jusqu’à maintenant un concept assez théorique auprès des acteurs traditionnels du marché. Malgré tout, des initiatives commencent à voir le jour et les assureurs s’intéressent de plus en plus à cette dynamique en y voyant de nombreuses opportunités.

A la différence des banques, les assureurs n’ont pas eu à subir la pression réglementaire imposée par la DSP2 sur l’ouverture de données bancaires. De ce fait, le monde de l’assurance a été spectateur de cet impératif réglementaire qui a demandé aux banques des investissements lourds et des changements structurels profonds au sein de leurs systèmes d’informations. Les assureurs ne se sont intéressés à l’Open Insurance que plus tardivement, attirés par les bénéfices potentiels d’une ouverture du modèle actuel.

VERTONE décrypte pour vous les enjeux de l’Open Insurance, les répercussions possibles sur les acteurs traditionnels du secteur, ainsi que les changements à prévoir sur la chaine de valeur assurantielle.

Un marché de l’assurance bousculé par l’avènement des AssurTechs

L’essor des AssurTechs est l’un des catalyseurs de cette dynamique d’Open Insurance. Ces sociétés nativement digitales et spécialisées sur une typologie de risque, s’adressent à une clientèle désireuse de nouveauté, de simplicité et de transparence. Elles captent un nombre important de clients, majoritairement chez les jeunes, et entrainent de fait un risque de vieillissement naturel et progressif du portefeuille des acteurs traditionnels.

Des acteurs français comme Luko (Assurance et protection des foyers), Alan (Assurance santé), Shift Technology (Automatisation de la gestion des sinistres, détection des cas de fraude via l’intelligence artificielle) grandissent année après année en effectuant des levées de fonds toujours plus importantes. Plus de 200 M€ ont été levés en France sur 2020, soit une augmentation de 12% par rapport à 2019. Ces AssurTechs proposent des services innovants, une meilleure expérience utilisateur et captent des centaines de milliers clients : Luko et Alan comptabilisent déjà respectivement plus de 100 000 et 140 000 clients.

Les acteurs français ne sont pas les seuls à connaître une croissance remarquable. Des AssurTechs internationales telles que Lemonade ou Zhong An concurrencent les assureurs traditionnels.

Lemonade est une AssurTech américaine créée en 2015 qui se déploie en France depuis décembre 2020. Elle propose des assurances habitations en ligne et sans engagements. Elle est entrée en bourse le 2 juillet 2020, possède plus d’un million de clients actifs et est valorisée à plus de 7Mds $.

Quant à Zhong An, elle représente le succès le plus fulgurant dans le secteur des AssurTechs. Cofondée par Tencent, Alibaba et Ping An en 2013, cette AssurTech possède une capitalisation boursière proche de 39Mds$. Elle possède près de 500 millions de clients actifs et propose des centaines de polices d’assurances différentes orientées sur des couvertures faibles et rapides impliquant de faibles primes et couvrant de nombreux secteurs.

La croissance de ces nouveaux acteurs digitaux sur le marché force les acteurs traditionnels à se positionner et à mettre en place une stratégie digitale d’ouverture avec des tiers : une véritable innovation de rupture du modèle assurantiel traditionnel.

Une mise à niveau technologique indispensable

A l’instar de l’Open Banking, cette tendance d’ouverture de produits et services s’appuie sur un socle technologique d’API qui permet une exposition contrôlée et sécurisée des données mais surtout une intégration facilitée.

Les acteurs traditionnels doivent donc s’atteler à mettre à niveau leurs systèmes d’informations souvent vieillissants, fonctionnant pour la plupart en silos. Ces derniers ne permettent pas ou peu une transversalité de l’information et à fortiori, une communication avec des tiers. Les assureurs doivent alors élaborer une stratégie de mise à niveau technologique en corrélation avec leurs ambitions d’ouverture.

Ce socle technologique d’API représente de nombreux avantages notamment un Time To Market plus court mais également un levier économique très important.

Pour illustrer cet impératif technologique, prenons l’exemple de la société d’assurance chinoise Ping An, numéro 1 mondial de l’assurance. Cet assureur a décidé il y a plusieurs années d’investir massivement dans la migration de toutes ses activités vers le Cloud et de créer ainsi un hub constitué d’API permettant aux tiers de s’y connecter, d’y consommer leurs services et d’avoir accès aux près de 200 millions de clients de Ping An. Ce chantier titanesque leur a permis d’acquérir un avantage concurrentiel énorme.

Consommer, Exposer… Quelle stratégie adopter avec l’Open insurance ?

L’Open Insurance possède de nombreuses similitudes avec l’Open Banking notamment, quand il s’agit des axes stratégiques autour du modèle Production/Distribution. Ces deux stratégies sont complémentaires et la construction d’une stratégie d’ouverture de données doit prendre en compte les avantages et inconvénients de chacun de ces modèles.

#1 – Une stratégie de consommation d’API « As a Platform »

Dans une stratégie de consommation d’API « As a Platform », l’assureur traditionnel distribue, au travers d’une plateforme qu’il contrôle, un panel de produits et services hétérogènes composés de ses propres produits, mais également de produits ou services d’acteurs tiers agrégés par API. Par exemple, la MAIF a lancé sa plateforme multi-servicielle Nestor, dont le but est d’agréger les finances de ses clients, et ce, au-delà des produits assurantiels.

Avec cette approche, l’assureur garde le contrôle sur la distribution et sur la relation client tout en diversifiant son offre. Cette stratégie induit une captation de données et une amélioration continue dans l’analyse des comportements clients.

Cela permet également à l’assureur d’adresser son écosystème au travers d’un ou plusieurs univers de besoins de ces clients. Par exemple Groupama a récemment mis en place sa plateforme « Ma nouvelle vie ». Son but est d’adresser un univers de besoin client ciblé : le départ à la retraite. Via cette plateforme, Groupama propose de nombreux services afin de préparer, anticiper, calculer sa retraite, mais également épargner et protéger ses proches.

Cependant, malgré la promesse de garder un contrôle sur la relation client et de diversifier leur offre au travers d’une plateforme la stratégie « As a Platform » reste peu adoptée sur un aspect plus global.

Les assureurs traditionnels ne bénéficient pas d’une fréquentation importante de la part de leurs assurés sur leurs canaux digitaux : espace client, application mobile, site Web… Cette audience, nettement inférieure à celle des canaux digitaux des banques va mécaniquement réduire l’attrait des tiers pour les plateformes des assureurs.

#2 – Une stratégie d’exposition d’API « As a Service »

Dans cette stratégie d’exposition d’API « as a Service » l’assureur peut se placer soit dans un rôle de producteur, soit de fournisseur de produits et de services :

  • Le rôle de producteur se matérialise par une exposition massive de produits et de services assurantiels au travers d’une plateforme API qu’il a développé et dont le but est la consommation par des tiers. Ce modèle BtoBtoC permet aux acteurs traditionnels d’étendre leur distribution au travers des canaux tiers.
  • Dans le rôle du fournisseur, l’assureur met à disposition des tiers des modules de services d’infrastructures middle et back office. Les assureurs vont ainsi chercher à exploiter au mieux les carrefours d’audience, et en particulier les plateformes de service existantes.

L’enjeu ici, et peu importe le rôle endossé, est l’acceptation d’une distribution déportée dans laquelle un assureur ou une AssurTech distribuerait ses produits, services ou modules de services au travers d’environnements tiers pour étendre sa distribution à d’autres secteurs et tirer des revenus supplémentaires.

L’aspect économique de ces modèles est central pour les assureurs historiques et la mise en place d’une stratégie de monétisation est indispensable.

Dans une stratégie de consommation d’API, les assureurs percevraient des commissions des tiers agrégés sur leur(s) plateforme(s). A l’inverse, dans une stratégie d’exposition d’API, ils diversifieraient leurs revenus au-delà de leur secteur et économiseraient des coûts d’acquisition client.

L’assureur en tant que producteur exposant ses produits et services sous forme d’API via des plateformes appartenant à des tiers

De nombreux assureurs et AssurTechs ont choisi d’exposer leur produits et services sur les plateformes appartenant à des acteurs tiers de nombreux secteurs :

  • L’AssurTech chinoise Zhong An offre un catalogue pléthorique d’API et est ainsi présente au sein de nombreuses plateformes en dehors du secteur de l’assurance.
  • Wakam (anciennement La Parisienne Assurances) propose un éventail de services depuis sa plateforme API. Cela lui permet de connaitre une croissance importante et de développer sa présence dans de nombreux secteurs et à l’international.
  • BlaBlaSur, le service d’assurance de la plateforme de covoiturage BlaBlaCar n’a pas été développée par BlaBlaCar, mais provient de la gamme AXA. BlaBlaCar a intégré le service AXA, qui joue le rôle de producteur, et peut ainsi proposer à ses clients une gamme de service étoffée tout en permettant à AXA d’étendre son réseau de distribution.

L’assureur en tant que fournisseur de modules de services middle et back office dans un modèle BtoB

Cela signifie une mise à disposition de modules entiers de services aux tiers. Ces modules seront au service des produits assurantiels des tiers (Ex. Modules de calcul des risques, systèmes de gestion de sinistres automatique, systèmes d’authentification, …).

Par exemple, l’assureur chinois Ping An expose son service de reconnaissance biométrique (Smart Verification) pour garantir les authentifications. Ainsi, une entreprise souhaitant mettre en place un service d’authentification biométrique dans ses parcours mais n’en n’ayant pas les moyens, pourra consommer les API de Ping An et ainsi économiser les coûts de développement et s’assurer d’une excellence opérationnelle au service de son produit d’assurance.

Quels impacts de l’Open Insurance dans la relation client ?

Ces stratégies offrent un horizon radieux aux services assurantiels à la fois du côté de l’assureur mais également de l’assuré.

De manière générale, banquiers et assureurs s’accordent sur un besoin essentiel dans la gestion de leurs clients : l’importance capitale de capter et identifier les moments et étapes de vie de leurs clients et de leurs proches et leur proposer des produits et services adaptés.

De leur côté, les assurés sont de plus en plus exigeants. Ils recherchent des produits et services innovants, personnalisés et au plus près de leur réalité, le tout dans un environnement toujours plus performant.

L’Open Insurance peut répondre à nombre de ces besoins. Grâce à ces stratégies d’ouverture, les assureurs et AssurTechs peuvent collecter des données, les analyser et les valoriser afin d’identifier toujours plus finement la situation de leurs clients et y répondre avec des offres sur mesure. Quant à l’assuré, il peut naviguer au sein de plateformes de services innovantes et personnalisées qui lui confèrent une expérience utilisateur améliorée.

L’Open Insurance représente sans aucun doute l’assurance de demain. De nouveaux acteurs digitaux se développent, des services toujours plus personnalisés et adaptés aux clients voient le jour et la communication inter acteurs se voit décuplée grâce aux API.

Pour arriver à ce nouveau modèle, les acteurs traditionnels doivent dès à présent repenser leur business model en profondeur.

Selon VERTONE, la réussite de l’Open Insurance réside dans la synergie entre assureurs, assisteurs, AssurTechs et autres acteurs de l’économie digitale. Cette création d’écosystèmes de partenaires permettra le lancement de nouvelles offres de services complètes et personnalisées qui répondront aux besoins évolutifs des clients.

Un article rédigé par Pierre Kollen et Ali Romdhani