25/05/21

Virement Instantané, l’avenir du paiement en Europe ?

Le virement est l’un des services les plus utilisés au sein des établissements bancaires et des divers prestataires de services de paiement. C’est aussi l’un de ceux qui ont le moins évolué depuis les années 2000… jusqu’à récemment. A partir de 2018, les clients de nombreuses banques françaises ont vu apparaître une variante du virement classique : le Virement Instantané. Nous allons retracer l’historique de cette innovation, sa raison d’être, ses objectifs et l’avenir que lui ont imaginé ses promoteurs.

Qu’est-ce que le Virement Instantané ?

Le Virement Instantané, ou Instant Payment, permet d’effectuer un transfert de fonds immédiat (l’exécution se fait en moins de 10 secondes, 24/7). Le montant transféré est donc crédité immédiatement sur le compte du bénéficiaire.

Le groupe BPCE a été le premier en France à proposer ce service à ses clients à l’été 2018. Depuis, l’ensemble des grandes banques françaises se sont lancées.

L’arrivée du Virement Instantané en France découle des efforts d’uniformisation des moyens de paiement consentis au niveau européen depuis plus de 20 ans. L’un de leurs fruits est l’Espace Unique de Paiement en Euros (SEPA – Single Euro Payments Area), qui vise la mise à disposition de moyens de paiement en Euros communs au niveau européen, permettant aux consommateurs, aux entreprises, aux commerçants et aux administrations d’effectuer des paiements dans les mêmes conditions partout dans l’espace européen, aussi facilement que dans leur pays. Le virement SEPA (SEPA Credit Transfer – SCT) permet ainsi de transférer des fonds de manière standardisée, en 24 à 48 heures, dans 36 pays européens.

En parallèle de la démarche de standardisation, de nombreuses initiatives nationales (au Royaume-Uni, au Danemark, aux Pays-Bas, en Pologne, en Suède etc.) avaient émergées dans la zone SEPA, permettant d’effectuer des virements avec crédit immédiat du bénéficiaire. Face à cette nouvelle fragmentation des usages, plusieurs organismes européens, sous l’impulsion de la BCE, ont alors imaginé un nouveau standard : le virement SEPA instantané.

Une adoption lente du virement instantané

Le Virement Instantané est en théorie universel, mais le service tel qu’il est proposé aujourd’hui s’adresse beaucoup plus aux particuliers qu’aux entreprises. Les particuliers sont désormais habitués et demandeurs de services financiers en temps réels. Les néobanques et autres fintechs arrivées sur le marché européen ces dernières années y sont pour beaucoup. Des parcours reprenant ceux des virements classiques ont été proposés dans un premier temps. L’usage du virement via le numéro de téléphone a ensuite été poussé, notamment par le service français Paylib.

Depuis la mise à disposition de la première offre à la mi-2018, le développement du Virement Instantané en France reste cependant assez lent. Plusieurs raisons expliquent ce faible rythme d’adoption :

  • Des investissements se chiffrant en dizaines de millions d’euros par banque ont été nécessaires. Ces travaux concernent l’ensemble des strates des systèmes bancaires : le Core Banking System qui gère l’ensemble des flux de transactions, les briques intermédiaires de gestion, et les interfaces mises à disposition des clients. Des chantiers importants ont aussi été entrepris pour mettre à niveau les systèmes de lutte contre la fraude. Il a ensuite fallu se connecter à la plateforme de compensation de la STET pour l’Instant Payment, elle-même reliée aux réseaux pan-européens RT1 et TIPS. La lourdeur technique et financière de ces travaux a eu pour effet un étalement dans le temps de l’arrivée du Virement Instantané dans les banques. L’attractivité du service étant liée à un effet de réseau : plus le Virement Instantané est accepté, plus le nombre de bénéficiaires potentiels est grand, plus il est attractif pour les clients des banques. Cette acceptation limitée a logiquement réduit, dans un premier temps, son intérêt.
  • Le coût généré par les investissements a été répercuté sur le client final. De nombreuses banques facturent encore l’émission d’un Virement Instantané à leurs clients (1€ chez BNP, Banque Populaire, Credit Mutuel – CIC, 80ct chez Société Générale). Le virement SEPA classique étant gratuit, l’Instant Payment n’est aujourd’hui souvent privilégié que dans les situations d’urgence. Plusieurs initiatives allant dans le sens d’une démocratisation sont cependant à noter : Arkea a rendu les virements instantanés gratuits pour l’ensemble de ses clients dès le début 2019. La gratuité est maintenant appliquée dans davantage d’établissements, avec des plafonds assez bas (exemple : gratuit jusqu’à 300€ à la Caisse d’Epargne). Plus récemment, Boursorama Banque a été la première à faire du Virement Instantané gratuit le canal par défaut pour tous les transferts dans la limite de 2000€ par jour. Ce plafond, bien que relativement bas, couvre la grande majorité des besoins des particuliers et a vocation à augmenter progressivement.
  • L’importance économique des virements pousse à la prudence. Les systèmes de virements classiques sont en mesure d’absorber des centaines de milliers voire des millions de virements journaliers en cas de pic. Un transfert massif et brutal de ces flux vers les nouvelles infrastructures de virements instantanés pourrait engendrer des surchauffes que les banques souhaitent éviter. La facturation, puis la gratuité limitée par des plafonds contraignants permettent donc une montée en charge progressive des systèmes mais aussi un apprentissage nécessaire sur les risques de fraude propres à ce service. Bien que cela soit en train de changer, une communication parfois timide a aussi participé à la faible notoriété du service et donc à une adoption lente par les clients.

Des usages et services en développement

Le Virement Instantané représente aujourd’hui environ 7,8% des virements en Europe (chiffres BCE 2020). La marge de progression est donc importante. Pourtant, à moyen terme, il est probable que le Virement Instantané supplante le virement classique chez les particuliers. Les banques réduiront progressivement les frais et assoupliront les différentes limites appliquées. Les plafonds de montant et de nombre de virements journaliers ou mensuels freinent pour le moment son utilisation et sa compréhension par les clients. Les habitudes changeront progressivement et il sera bientôt considéré comme normal de recevoir immédiatement un virement.

Pour les entreprises, segment rémunérateur pour les banques, la situation est plus complexe. Il est important de rappeler que le plafond fixé à l’échelle européenne par la BCE est de 100 000€ par Virement Instantané (il était de 15 000€ jusqu’en juillet 2020). Cependant, de nombreuses banques fixent librement des limites beaucoup plus basses. Si les plafonds appliqués aux Virements Instantanés représentent un frein pour les clients particuliers, ils constituent un véritable repoussoir pour les entreprises, notamment en BtoB, davantage intéressées par l’uniformisation de leurs pratiques plutôt que par un gain de temps marginal, sur une partie de leurs virements seulement.

Des offres basées sur l’Instant Payment et facilitant la gestion de la trésorerie apparaissent cependant. Par exemple, la Société Générale a lancé un service d’envoi de Virements Instantanés en masse, permettant notamment de payer les salariés sans avoir à gérer de délai d’exécution. Le Virement Instantané pour les entreprises restera probablement plus couteux que le virement SEPA classique ou restera intégré à des offres premium pendant un temps.

Des ambitions au-delà du simple virement

A court terme, l’évolution visible du Virement Instantané sera son adoption par une majorité de particuliers pour leurs transferts du quotidien. Avec une plus grande souplesse d’utilisation, ce développement se transposera aux entreprises dans des usages B2B. Il s’agit donc d’une amélioration notable dans un environnement bancaire qui s’accommode moins qu’avant des délais d’exécution des virements classiques. Il serait cependant exagéré de parler de révolution.

Il faut franchir une étape supplémentaire pour toucher du doigt la finalité réelle du Virement Instantané : un moyen de paiement universel, utilisable pour tous les types de transactions, que ce soit de particulier à particulier, en B2C, en B2B, ou encore dans d’autres cas spécifiques tes que les divers prélèvements obligatoires, impôts ou pourquoi pas pour payer une contravention.

En B2C notamment, la majorité des paiements est aujourd’hui préemptée par les espèces, les cartes bancaires ou encore les chèques. L’idée de payer sa note de restaurant ou son shopping en ligne par virement n’a pas fait son chemin. C’est pourtant exactement ce vers quoi le régulateur européen et les banques de l’union nous amènent avec le Request To Pay (RTP, ou « demande de paiement »).

Request To Pay est une couche intermédiaire qui viendra se positionner entre le commerçant, son client et leurs banques respectives. C’est cette solution qui permettra de faire du virement tel qu’on le connait aujourd’hui (assez laborieux avec la saisie d’un IBAN, d’un montant, d’un motif etc.), un moyen de paiement simple et fluide. Concrètement, au moment de payer, le commerçant enverra une demande comportant l’ensemble des données de la transaction (montant, date etc.) à son client. Ce dernier, via son smartphone, pourra valider la transaction et payer immédiatement par virement. 

Les avantages d’une telle solution sont nombreux :

  • Offrir une alternative à la carte bancaire et contrer par la même occasion l’hégémonie des réseaux américains Visa et Mastercard. C’est donc, en partie, un enjeu de souveraineté européenne dans les moyens de paiement.
  • Réduire l’utilisation des espèces et des chèques, dont la gestion couteuse rebute de plus en plus les banques. Ces dernières cherchent à réduire leurs coûts liés à ces moyens de paiement (par des fermetures de distributeurs automatiques ou la facturation du renouvellement d’un chéquier). Ils devront bien proposer une alternative aussi flexible à leurs clients.
  • Lutter contre la fraude. Le virement est actuellement le moyen de paiement le plus sécurisé et donc le moins touché par la fraude. Dans ce domaine, les chèques sont très peu sécurisés et font office de mauvais élève. La carte bancaire, de son côté, connaît un niveau de fraude considéré comme acceptable. Cependant, il n’aura échappé à personne que les éléments de sécurités propres à la carte en elle-même (cryptogramme visuel, code secret) ne sont plus suffisants. C’est pourquoi la réglementation demande désormais une authentification du client au moment d’un paiement en ligne.

L’importance des investissements dans les systèmes de Virements Instantanés laisse penser que les divers acteurs impliqués ne se contenteront pas des usages actuels du virement. D’où une volonté au niveau européen de faire du Virement Instantané un moyen de paiement grand public : le Request To Pay. De nombreuses questions subsistent sur la mise en place et les modalités d’utilisation du RTP. C’est cependant bien le principal levier pour une potentielle explosion de l’Instant Payment en Europe. Les premières consignes du European Payment Council, pour la standardisation technique du service ont été publiées en décembre 2020. On peut espérer voir les premières initiatives en 2022.

Un article rédigé par Pierre Grossin

Lisez notre article à propos du « Request to pay » sur le blog VERTONE.