12/07/23

Les laboratoires de biologie médicale : contexte, défis et perspectives

Largement mobilisés pendant la crise du coronavirus en France, les laboratoires d’analyse médicale ont connu une hausse d’activité conséquente entre 2019 et 2020 – hausse de 85% du chiffre d’affaires sur cette période[1]. Au-delà du rôle clé que les laboratoires ont pu jouer dans un contexte de pandémie, comment est organisée l’activité et le marché des laboratoires d’analyse médicale ? Dans quelles contraintes réglementaires et économiques cette activité s’exerce-t-elle ?  Quelles tendances, transformations et perspectives d’évolution connaît le secteur ? Décryptage.

En quoi consiste l’activité d’un laboratoire de biologie médicale ?

On distingue usuellement deux types de laboratoires qui réalisent des diagnostics et des suivis médicaux à partir de prélèvements de fluides biologiques humains :

  • Les laboratoires « non spécialisés », dits « de proximité » qui réalisent des analyses de biologie de routine. Les prélèvements réalisés sont envoyés à un plateau technique commun à plusieurs sites, prenant en charge les analyses.
  • Les laboratoires « spécialisés » qui réalisent des analyses de biologie de plus haute technicité à la demande d’autres laboratoires ou encore d’établissements de santé (hôpitaux, cliniques, etc.). Leur offre d’examens plus large et complexe requiert des équipements spécialisés et coûteux (automates).
Cabinet de conseil Santé  VERTONE

Un marché marqué par une croissance constante

Au-delà de la hausse importante des dépenses d’analyses en laboratoire associée à la réalisation des tests de dépistage Covid-19 sur la période 2019-2020 (+37% en valeur sur un an), le marché des laboratoires d’analyse médicale connait une croissance régulière encouragée par de nombreux facteurs structurels : vieillissement de la population, réhabilitation de l’importance des diagnostics dans le traitement du patient, campagnes de dépistage, initiatives de prévision, hausse de la prévalence des maladies chroniques, augmentation de la réalisation de tests génétiques, etc.

Un marché soumis à une réglementation contraignante             

L’activité de l’analyse de biologie médicale est caractérisée par un contexte particulièrement encadré.

Les tarifs pratiqués par les laboratoires sont limités par les pouvoirs publics engagés dans une dynamique de maitrise des dépenses de santé. Le remboursement par test est ainsi passé de 36,45€ à 31,05€ en février 2022 et le gouvernement a prévu, au sein du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) de 2023, de réaliser 250 millions d’euros d’économies en 2023 via la poursuite de la politique de durcissement des tarifs des biologistes.

Par ailleurs, les laboratoires doivent composer avec un cadre réglementaire instaurant des obligations d’accréditation longues à obtenir et onéreuses (embauche de personnel spécifique, investissements dans de nouveaux équipements, etc.) depuis la réforme de la biologie médicale de 2013.

Ce contexte explique en partie le mouvement constaté de regroupement des laboratoires. Ces derniers mutualisent leurs investissements pour réaliser des économies d’échelle en développant des laboratoires « multisites » s’appuyant sur des plateaux techniques dédiés aux analyses et des structures de proximité en charge des prélèvements.

Un marché des laboratoires d’analyse médicale fortement consolidé 

On compte en France 4.200 sites de biologie, contrôlés par environ 400 laboratoires, contre environ 3.960 en 2010, soit un nombre divisé par 10 en 13 ans. Une quinzaine de structures – structures capitalistiques (Cerba Healthcare, Synlab, Eurofins, Unilabs, etc.) et réseaux d’indépendants intégrés(Biogroup, Inovie, Laborizon, Labexa, etc.) – détiennent 72% des sites de biologie et 48% des LBM (mai 2020)[2] et 40% du marché est détenu par trois acteurs que sont Biogroup, Cerba et Inovie.

On retrouve également ces stratégies de concentration au sein des laboratoires publics (40% du marché) avec l’émergence de groupements hospitaliers de territoire (GHT).

Illustration du mouvement de concentration opéré ces dernières années

Évolution du nombre d’établissements privés de biologie médicale entre 2010 et 2021 (Source XERFI, 2022)

Quelle stratégie de différenciation opérée par les laboratoires ?

Dans un contexte où l’offre des laboratoires est considérée par les patients comme substituable, où le choix du laboratoire se fait selon la proximité ou l’expertise et où toute promotion des activités est proscrite, quelles stratégies de différentiation les laboratoires peuvent-ils mettre en œuvre afin vis-à-vis des prescripteurs et des patients ?

Certains laboratoires mettent en place des stratégies de promotion d’expertise et de compétences à destination des professionnels de santéafin de les encourager à orienter le public vers leur réseau de laboratoires :

  • Organisation de visites des locaux et des plateaux techniques,
  • Présentation de la gamme des tests proposés,
  • Mise en lumière des projets d’innovation en cours,
  • Organisation de salons et conférences, etc.

Sur le plan de l’amélioration de l’expérience patient, plusieurs typologies d’actions sont déployées par les laboratoires afin de garantir un parcours de qualité et sans couture :

-> En amont de l’examen :

  • Mise en place des stratégies d’identité visuelle par certains laboratoires (ex. :Cerballiance, Inovie, Synlab) afin d’améliorer l’identification de leur enseigne : uniformisation des sites de prélèvements, utilisation d’un logo commun à l’ensemble des établissements, uniformisation des vitrines physiques des laboratoires et standardisation de l’aménagement intérieur, etc.
  • Publication de contenu informatif sur les sites institutionnels et réseaux sociaux des laboratoires :  conseils pratiques, articles FAQ, actualités (ex. : analyses saisonnières sur la grippe ou les allergies), etc.
  • Suivi de l’e-réputation : optimisation de la note en ligne (Google, etc.), prise en compte des avis déposés, etc.
  • Facilitation de l’étape de prise de rendez-vous : digitalisation de la prise de rendez-vous via les plateformes existantes, envoi de SMS et e-mails de rappel de rendez-vous, partage d’informations sur le déroulement de l’examen, etc.
  • Préparation de leur visite par les patients (liste des documents à présenter, déroulement du prélèvement, nécessité d’être à jeun, etc.). Exemple : mise en place par Cerballiance d’un espace réservé aux patients avec des fiches pratiques rédigées par des biologistes médicaux, conseils pour préparer la visite, fiches détaillées des laboratoires les plus proches, etc.

-> Pendant l’examen :

  • Formation des équipes en mettant l’accent sur la qualité du parcours patient (confidentialité, informations, hygiène, etc.).
    • Exemples : déploiement par le groupe Cerba Health d’un service dédié au public « jeunes enfants », CerbaKids, permettant une meilleure prise en charge des enfants  (espace de jeu, application pour expliquer de manière pédagogique et ludique le déroulement d’une prise de sang, guide de dialogue pour préparer les enfants à un examen, etc.) et d’un service dédié aux personnes anxieuses, le dispositif CerbaZen, proposant l’utilisation d’un casque de réalité virtuelle durant le prélèvement afin de visualiser des lieux dépaysants.
  • Déploiement à terme de dispositifs de prélèvements indolores pour les patients. Ex. : recherche par le groupe Cerba Healthcare autour de la mise en place d’un dispositif de prélèvement sanguin sans aiguille.

-> A l’issue de l’examen :

  • Mise en place de notifications et alertes (e-mails, SMS, etc.) lorsque les résultats sont disponibles
  • Garantie d’une publication rapide des résultats et de leur fiabilité.
  • Facilitation de l’accès aux résultats en ligne via un espace patient sécurisé permettant la sauvegarde dans le temps.
  • Simplification de la lecture des résultats d’analyse, grâce à un affichage visuel et intuitif
  • Apport d’une valeur ajoutée en ajoutant des conseils personnalisés en fonction des résultats : nutrition, pratique sportive, etc.
  • Possibilité donnée aux patients d’échanger avec un praticien en ligne ou par téléphone pour obtenir de l’information sur les résultats reçus.

C’est aussi sur le terrain de l’innovation que les groupes de biologie cherchent à se différencier :

  • Recherche et progrès en matière de diagnostic et surveillance de pathologies graves,
  • Mise en place de pôle d’excellence. Ex. : Inovie Fertilité, Imagénome, Inopath et Inovie Vet, développé par le groupe Inovie[1]
  • Développement de méthodes plus poussées en biologie spécialisée via la croissance externe ou la diversification d’activités : radiologie, anatomie pathologique, etc.
  • Enrichissement de l’offre avec la proposition de gamme de tests non conventionnés : bilan de biologie préventive, analyses hormonales dans le cadre des bilans anti-âge, bilans destinés aux sportifs, etc.
  • Développement d’une offre de bio-analyse : analyses environnementales, alimentaires, pharmaceutiques, vétérinaires, etc.

Conclusion

Grâce à leur rôle clé dans la détection de pathologies, la prévention, les parcours de soins et la prise de décision médicale, les laboratoires de biologie médicale constituent un pilier essentiel du système de santé français. La garantie de qualité et de fiabilité des analyses, la mise en place d’un parcours patient « sans couture », l’enrichissement et la spécialisation des offres, continueront de faire partie des défis majeurs à relever ces prochaines années pour ces acteurs.

Dans ce contexte, l’ensemble des acteurs de l’écosystème (laboratoires, pouvoirs publics, prescripteur médical, acteurs de l’industrie médicale, bureaux d’étude, instituts de recherche, cabinets de conseil, etc.) auront à poursuivre leurs efforts communs au service de l’évolution d’un métier d’analyse de biologie médicale qui se spécialise et se complexifie.

Un article rédigé par Mathilde Dépollier, Indira Fabre et Marie Patissout