Les espèces sont-elles en voie de disparition ?
Fraude, économie souterraine, actes terroristes, évasion fiscale, blanchiment d’argent… plusieurs événements récents ont conduit les autorités françaises à accélérer la mise en application de nouvelles mesures pour améliorer le contrôle des transactions.
VERTONE fait le point sur ces nouvelles règles et leurs impacts potentiels dans l’univers du paiement
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Dans un enjeu national de lutte contre le terrorisme, le gouvernement engage un plan d’actions pour limiter l’usage du paiement par espèces et passe au crible les nouveaux moyens de paiement qui ne figuraient pas jusqu’à présent au registre FICOBA.
8 mesures composent ce plan, qui complète celui déjà présenté en février 2013 par le gouvernement Ayrault.
- A partir du 1er septembre 2015 :
- Abaissement du plafond de paiement en espèces et eMoney de 3000 à 1000 euros pour les résidents français et de 15.000 à 10.000 euros pour les non-résidents et touristes étrangers.
- A partir du 1er janvier 2016 :
- Obligation par décret de déclarer systématiquement à Tracfin les dépôts et retraits d’espèces supérieurs à 10 000 € (cumulés sur un mois)
- Déclaration obligatoire à la douane des transferts physiques de capitaux par fret, notamment aérien
- Abaissement du seuil de prises d’identité à 250€ pour les cartes prépayées rechargeables et non rechargeables et à 100€ pour le remboursement en espèces
- Référencement systématique des comptes de paiement et comptes Nickel au fichier FICOBA (Fichier National des Comptes Bancaires et Assimilés)
- Abaissement du seuil de prise d’identité pour les opérations de changes manuelles de 8000€ à 1000€
- Définition d’un seuil de montant précis à partir duquel les professionnels seront tenus de renforcer et de systématiser les mesures de vigilance quant à l’origine des fonds, le motif des transactions et l’identité des bénéficiaires
- Extension du régime de gel d’avoirs aux biens immobiliers et mobiliers (véhicules)
Ces 8 mesures, rapidement adoptées par voie de décret le 24 juin dernier, répondent à 3 enjeux :
- IDENTIFIER : Faire reculer l’anonymat dans l’économie afin de mieux tracer les opérations suspectes
- SURVEILLER : Mobiliser les acteurs financiers dans la lutte contre le terrorisme,
- AGIR : Renforcer les capacités de gel contre les avoirs détenus par les financeurs ou les acteurs du terrorisme.
En renforçant la traçabilité des transactions, le gouvernement vise plus globalement l’économie souterraine, la fraude fiscale et le blanchiment d’argent, au service de la relance de la croissance française.
Aux abonnés absents de ces mesures, on note :
- Les monnaies virtuelles locales et les bitcoins: en dehors des recommandations visant à prévenir leurs usages frauduleux, ni la France ni l’Europe n’a pour le moment légiféré sur l’utilisation de ces monnaies
- Le paiement en espèces entre particuliers, sachant que les solutions de paiement mobile P2P seront-elles mêmes contraintes par la limite de 1.000 euros, seuil au-dessus duquel des processus de KYC et AML devront être mis en œuvre.
Si ces mesures sont encore loin de mettre un terme à l’utilisation des espèces en France, elles constituent toutefois une opportunité pour les banques, mises à mal par la baisse des commissions interbancaires, et pour les établissements de paiement ou de monnaie électronique, à la recherche de nouveaux moyens d’intermédiation dans la chaîne de valeur des paiements.
Conscientes de ces enjeux, les banques profiteront probablement de ce décret pour maintenir la pression sur les commerçants pour favoriser les solutions de paiement dématérialisées.
Encore faut-il que celles-ci soient aussi simples à utiliser pour les commerçants et les particuliers que les espèces !
Pour autant, une société définitivement cash-less est-elle possible ?
Oui, à en croire l’exemple de la Suède qui, depuis 2010, se détourne progressivement de l’utilisation de l’argent liquide, en vue d’y mettre un terme dès 2020.
Plus qu’un effet de mode, cette transformation est désormais bien ancrée dans les usages : quête à l’église, vente de magazines par les sans-abris, argent de poche pour les plus jeunes… la carte de crédit et ses dérivés mobiles dominent désormais le marché BtoC scandinave.
Pour le moment, nos pièces de monnaie et billets de banque ont encore de beaux jours devant eux !
Bien que traditionnellement plus faible en France qu’en Europe, et en net recul depuis l’introduction des cartes bancaires et du sans contact, la monnaie fiduciaire reste, toutefois, le moyen de paiement gratuit, accessible de tous, et largement privilégié pour les achats de faibles montants (15% du CA dans les commerces français contre 5% en Suède).
Il faudra donc attendre un nouveau pas réglementaire ainsi que la démocratisation des nouvelles techniques de paiement (monnaie électronique, paiement mobile, HCE, paiement biométrique, etc.), pour songer à renoncer définitivement à l’utilisation de l’argent liquide.