28/01/22

Quel avenir pour le fret ferroviaire en France ?

Le transport de marchandises en France doit aujourd’hui évoluer pour faire face à la récente pénurie de chauffeurs routiers ainsi qu’au défi écologique que représente le fret (15% du total des émissions de CO2 au niveau national). Le fret ferroviaire apparaît désormais comme la voie la plus à même de répondre aux défis de la décarbonation du transport de marchandises.

À l’heure où la France prend les rênes du Conseil de l’Union européenne pour six mois, le Green Deal occupera une place centrale dans les débats. Celui-ci constitue la feuille de route de la Commission Européenne et a entre autres pour objectif de réduire 90% les émissions du secteur des transports d’ici à 2050. Une hausse de 50% du trafic ferroviaire de marchandise est visée d’ici à 2030, et pour y parvenir, un plan d’investissement de 1 000 milliards d’euros est prévu sur 10 ans.

Si le contexte se montre favorable au développement du fret ferroviaire, ce dernier est historiquement en retrait, souffrant de la compétitivité du transport routier. Dès lors, quels sont les freins et les enjeux du fret ferroviaire aujourd’hui ? Comment pourrait-il parvenir à les dépasser ?


La situation actuelle du fret ferroviaire

Quelques chiffres clés sur le fret ferroviaire en France :

C’est pour faire face au déclin progressif du fret ferroviaire (part modale divisée par deux entre 1998 et 2018 pour passer de 18% à 9%) et au retard de la France par rapport à ses voisins européens, que l’Etat a annoncé en 2021 sa Stratégie nationale pour le fret ferroviaire fixant l’objectif de doubler la part modale du fret français d’ici 2030 et prévoyant un plan de relance avec une enveloppe globale d’un milliard d’euros dédiée au développement du fret ferroviaire.

Cette stratégie s’est traduite par un Pacte d’engagement quadripartite pour le développement du fret ferroviaire signé le 13 septembre 2021 par l’Alliance 4F (Fret Ferroviaire Français du Futur), l’AUTF (Association des Utilisateurs de Transport de Fret), SNCF Réseau et l’Etat, à l’occasion de la SITL (Semaine de l’Innovation du Transport et de la Logistique). Il engage ces acteurs à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs de relance fixés dans le Stratégie nationale pour le fret ferroviaire.

Cette stratégie de relance a pour but de soutenir le développement du réseau de fret ferroviaire ainsi que les 27 acteurs opérant dans ce secteur et reposera en grande majorité sur SNCF Réseau, le gestionnaire historique du réseau ferré français. SNCF Réseau a la responsabilité d’entretenir et moderniser au réseau ferré, et d’en commercialiser l’accès auprès des entreprises ferroviaires de voyageurs et de marchandises en fixant la tarification des péages et l’attribution des sillons.

Depuis 2020, plusieurs actions concrètes ont été mises en place pour faciliter à moyen terme le report modal mais également à court terme pour compenser les difficultés rencontrées par les opérateurs du secteur dans un contexte perturbé (mouvements de grèves de décembre 2019 et janvier 2020, baisse d’activité due aux confinements successifs de la Covid-19) :

  • Le gouvernement a fait le choix d’instaurer un régime d’exception pour soutenir le fret ferroviaire face au transport routier : suspension des tarifs de droit de péages pour la fin d’année 2020 et division par deux pour 2021.
  • L’UE a proclamé 2021 « l’année du rail » afin d’encourager le développement d’un réseau ferroviaire européen intégré.
  • 4 conventions de financement ont été signées en faveur du fret ferroviaire en octobre dernier entre SNCF Réseau et le gouvernement, en présence de 4F.
  • SNCF Réseau a également dévoilé son projet stratégique « Tous SNCF » à horizon 2030. Isabelle Delon, Directrice Générale Adjointe Clients et Services de SNCF Réseau, identifie notamment 4 axes clés de développement pour le fret : l’orientation clients, la qualité de service et de production, l’amélioration du réseau ferroviaire et de sa performance ainsi que l’équilibre financier de SNCF Réseau.

Les défis de compétitivité du fret ferroviaire

Malgré les différentes mesures prises pour relancer le fret ferroviaire, ce secteur souffre toujours d’un déficit de compétitivité par rapport au transport routier. Cela pourrait s’expliquer par :

Forces du transport routier

Faiblesses du fret ferroviaire

  • Des coûts plus faibles (le coût des péages ferroviaires français est le plus élevé d’Europe)
  • Une plus grande flexibilité et rapidité dans le traitement des demandes et la mise en œuvre
  • Des horaires plus souples
  • Un meilleur traitement des demandes (et des priorisations des demandes)
  • Une offre mieux adaptée aux besoins des opérateurs de fret
  • Un maillage territorial plus dense (réseau autoroutier) facilitant la desserte sur l’ensemble du territoire
  • Une desserte possible des derniers kilomètres, notamment en centre-ville
  • Une insuffisance de sillons dédiés au fret (non prioritaires par rapport au transport de voyageurs, avec des nœuds/axes saturés, et des travaux et plage de surveillance)
  • Des infrastructures réseau vieillissantes et donc non adaptées aux nouveaux standards logistiques (ex : gabarit P400)
  • Un manque d’investissement pour entretenir et développer le réseau ferré afin de répondre aux demandes adressées, avec la fermeture de nombreuses lignes capillaires de fret
  • Un manque de proximité des ITE et des difficultés d’embranchement 
  • Un processus d’allocation inadapté à certains types de marchandises, avec une commande annuelle des sillons plusieurs années en amont des circulations
  • Une tarification inadaptée avec une redevance payée en avance (risqué) et des tarifs fixes au train*km (tarif au coût marginal) et établis par arrêté d’Etat
  • Des coûts élevés, nécessitant de transporter des volumes suffisants pour assurer une rentabilité
  • Un retard en matière de digital
  • Un déficit de confiance de la part des clients
  • Menaces de mouvements sociaux fréquents, impactant la fiabilité de ce mode de transport
  • Retards : 36% de taux de retard au seuil de 5 min en 2018

Le fret ferroviaire français souffre par ailleurs de l’inertie de SNCF Réseau, qui dispose d’une faible marge de manœuvre dans sa stratégie dans la mesure où son activité est très encadrée par l’État.

Les perspectives pour le fret ferroviaire

Le fret ferroviaire présente néanmoins d’importants atouts environnementaux, en émettant 9 fois moins de CO2 et en consommant 6 fois moins d’énergie que le transport routier. Ce mode apparait comme une alternative « verte » auprès des pouvoirs publics et des consommateurs. C’est pourquoi plusieurs règlementations nationales et européennes (comme la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) ou le Green Deal visant la neutralité carbone en Europe d’ici 2050) cherchent à mieux valoriser le fret ferroviaire.

Au-delà des gains environnementaux, ce transfert route-rail génère par ailleurs des externalités positives non négligeables comme la décongestion du trafic routier (un train de marchandise complet est équivalent à 40 camions), la limitation des risques d’accidents, la réduction de la pollution auditive ou la baisse des risques sanitaires liés aux émissions. De plus, le fret ferroviaire favorise un ancrage local, pérennisant des emplois non délocalisables et permettant des relocalisations industrielles.

Le fret ferroviaire peut ainsi s’imposer comme une alternative décarbonée pour le transport de marchandises. Cela suppose de pouvoir s’engager vers des évolutions clés comme investir davantage dans la rénovation et le développement du réseau ferroviaire, améliorer l’offre proposée et ainsi augmenter la satisfaction des opérateurs de fret. Une optimisation de sa tarification pour le rendre plus compétitif (dans les limites du cadre imposé par la loi française) peut également s’avérer indispensable.

Ces évolutions pourraient permettre de redorer l’image du fret ferroviaire et d’accroitre in fine sa part modale, pour en faire un réel levier de décarbonation du transport de marchandises. Mais ce n’est qu’au travers d’un mouvement alignant l’ensemble des parties-prenantes du secteur (UE, État, gestionnaire d’infrastructures, opérateurs et chargeurs) que cette dynamique sera durablement confirmée.

Un article rédigé par Gabrielle Dupont et Laure Baudry