25/07/23

Les ZFE-m : une mesure efficace pour lutter contre la pollution, à condition de préserver la justice sociale

Ces derniers jours, le contexte réglementaire qui encadre la mise en place des ZFE a évolué. L’exécutif a choisi d’aligner l’application des mesures restrictives à l’échelle locale des métropoles. 

Retour sur une mesure efficace de lutte contre la pollution mais qui suscite encore des craintes en termes de justice sociale chez nos concitoyens.  

Définition et rappel du principe ZFE-m

Les ZFE-m (Zones à Faibles Émissions mobilité, anciennement Zones à Circulation Restreinte) sont une mesure environnementale qui vise à restreindre la circulation des véhicules les plus polluants. Les véhicules particuliers et utilitaires sont responsables de 20% des émissions nationales de Gaz à effet de serre (GES) selon l’ADEME et de 40 000 décès prématurés liés à la pollution de l’air selon une étude de Santé publique France. Les ZFE-m ont donc été développées pour répondre à un triple objectif :  

  • Réduire les émissions de particules fines et d’oxydes d’azote liées aux trafic routier pour ralentir le changement climatique ​ 
  • Lutter contre la pollution de l’air liée aux émissions pour diminuer le nombre de personnes exposées à des concentrations nocives pour la santé ​ 
  • Inciter à l’usage des mobilités douces comme solution de substitution aux véhicules individuels polluants ​

Une ambition européenne qui se décline différemment selon les pays

Les zones à faibles émissions se développent également à l’international, en 2022 c’est plus de 230 villes européennes qui en ont déjà mis en place mais dans des cadres et avec des règles qui diffèrent fortement, ce qui complique la compréhension des usagers étrangers :  

  • Vignettes : en France, ces vignettes à coller sur le pare-brise pour être visible facilement des agents doivent être demandées auprès du ministère sur internet ou par courrier. En Allemagne il est possible de les acheter chez des revendeurs agréés  
  • Restrictions ciblées envers les touristes : en Italie, les mesures ne sont pas harmonisées sur le territoire, mais l’accès à de nombreux centres historiques italiens est contraignant uniquement pour les touristes afin de limiter les tensions avec les riverains  
  • Restrictions qui s’appliquent uniquement aux poids lourds : en Autriche, au Danemark et en Suède 
  • Enregistrement des véhicules sur les sites internet des communes : dans certaines métropoles Belges, il faut s’inscrire sur le site internet des communes et enregistrer son véhicule avant de pouvoir y circuler 
  • Contrôles caméra et amendes quotidiennes : Londres est une des zones à faibles émissions les plus contraignantes, avec des contrôles caméras et une taxation lourde. Chaque véhicule qui ne correspond pas aux normes devra s’acquitter d’un paiement quotidien d’environ 15€ 

Sur le territoire français, les contrôles sont manuels bien que l’automatisation via des caméras à lecture de plaques d’immatriculation (ANPR) comme à Londres soit à l’étude. L’accès aux ZFE-m est contrôlé grâce aux vignettes « CRIT’Air » (certificat qualité de l’air), qui correspondent à des catégories attribuées en fonction des émissions polluantes en particules fines et oxydes d’azote d’un véhicule. Les catégories de véhicules sont déterminées selon 3 critères :  

  • Type de véhicule (voiture, deux-roues…) 
  • Motorisation et carburant consommé 
  • Normes Euro (ou date de 1ʳᵉ immatriculation) 

Quel échéancier pour les ZFE-m en France ? 

La LOM (Loi d’Orientation des Mobilités) de 2019 a rendu obligatoire l’instauration d’une [ZFE-m] dans les territoires dépassant les seuils de qualité de l’air dès 2021, puis la loi Climat et Résilience a étendu cette obligation à toutes les agglomérations* de plus de 150.000 habitants avant le 31 décembre 2024.​

11 métropoles ont déjà mis en place une ZFE-m : Grand Paris, Lyon, Aix-Marseille, Toulouse, Nice, Montpellier, Strasbourg, Grenoble, Rouen, Reims et Saint-Étienne. En 2025, seuls les véhicules porteurs d’une vignette Crit’Air 1, 2 ou verte seront autorisés à rouler dans les agglomérations métropolitaines de plus de 150 000 habitants, soit 42 zones concernées**. Au niveau national, les contraintes ne sont pas harmonisées non plus et chaque métropole doit préciser le cadre de sa ZFE-m :  

  • Périmètre géographique  
  • Temporalité (jours, plages horaires…)  
  • Vignettes CRIT’Air autorisées à la circulation 
  • Calendrier de mise en œuvre pour restreindre progressivement l’accès aux véhicules les plus polluants  

Au-delà de ces restrictions permanentes, des restrictions de circulation temporaires peuvent également être instaurées par les préfets en cas de pic de pollution. 

* le 10 juillet 2023, à la suite de la remise du rapport présentant 25 propositions pour allier transition écologique et justice sociale, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu assouplit les restrictions de circulation dans les agglomérations où les seuils de pollution ne sont pas dépassés. Seules Paris, Lyon, Marseille, Rouen et Strasbourg restent concernées par le calendrier de restrictions de la circulation prévu.  

** Au sein de ces 42 territoires, le comité ministériel de la qualité de l’air en ville prévoit que soit distingué les zones où les seuils sont dépassés (5 agglomérations à date) des zones où ils ne le sont pas. Ces derniers sont identifiés comme Territoires de vigilance. La seule obligation sera la restriction de circulation des véhicules immatriculés avant 1997 (non classées sur la grille Crit’Air).  

Source : Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Une mesure loin d’être plébiscitée par les citoyens

Les ZFE-m font face à un certain nombre d’obstacles, tout d’abord parce que l’automobile est un secteur stratégique pour l’économie et l’emploi en France avec plus de 1,6M de voitures immatriculées en 2021 pour 7 français sur 10 qui se rendent au travail en voiture. Malgré les aides financières pour le rachat d’un véhicule propre (bonus écologique, prime à la conversion et subventions locales pour un véhicule neuf ou d’occasion), le renouvellement du parc de véhicules imposé par les ZFE-m se heurte aux contraintes financières des ménages. 40% des voitures en circulation seront interdites dans les ZFE-m en 2025 et 54% des Français concernés n’ont pas les moyens financiers de remplacer leur véhicule même avec ces aides.

En découle un fort sentiment de rejet et d’exclusion sociale : 86% des particuliers sont opposés au déploiement des ZFE-m selon les résultats de la consultation en ligne lancée en 2023 par le rapporteur de la mission d’information flash du Sénat, Philippe Tabarot. Les ZFE-m sont en effet souvent mal perçues à cause de calendriers de déploiement trop rapides sans solution de report modal suffisantes et du coût d’acquisition d’un véhicule électrique qui exclut les plus précaires des centres-villes. L’assouplissement des règles pour les agglomérations ayant une amélioration de la qualité de l’air est une piste de compromis proposé par l’exécutif face aux craintes des citoyens.

Indépendamment des ménages, les ZFE-m impactent également l’ensemble des acteurs du transport ou ayant des besoins de mobilité sur les zones concernées :

  • Les collectivités sont à la manœuvre pour ces mutations car si l’état impose le cadre légal, c’est elles qui doivent mettre en place des ZFE-m, développer des parking-relais et adapter la desserte en transports des zones à risque de saturation avec la nouvelle ZFE-m (réseau ferré, bus…). Certaines métropoles vont plus loin en offrant la gratuité des transports en commun comme à Dunkerque ou Gap, parfois sur certains jours seulement (le samedi à Rouen ou le weekend à Nantes).
  • Les opérateurs de transport sont donc directement concernés, puisqu’il leur revient d’adapter les réseaux de transport en concertation avec les collectivités et de verdir leurs flottes de véhicules. Les ZFE-m visent davantage un report modal vers les transports publics que le remplacement de véhicules thermiques par des véhicules électriques.
  • Les employeurs doivent s’assurer que leurs salariés sont bien en mesure de se déplacer en adaptant les véhicules de fonction, en mettant en place des Plans De Mobilité Employeur (PDME) pour optimiser les déplacements en faveur des mobilités douces et en facilitant le télétravail.
  • Les acteurs de la logistique et de la livraison ne bénéficient pas toujours de véhicules adaptés à leurs usages. C’est notamment le cas pour le transport de charges lourdes sur de longues distances puisqu’il existe peu de poids lourds verts disponibles. Les professionnels du secteur peuvent également délocaliser leurs entrepôts en dehors des centres-villes et revoir leur organisation en assurant la livraison du dernier kilomètre via d’autres modes de transport plus doux et généralement adaptés pour les petits colis.

En conclusion

Les ZFE-m impliquent donc des chamboulements importants pour tous les acteurs qui transitent par les villes concernées, mais elles se traduisent par des effets bénéfiques concrets. Les études réalisées sur les ZFE-m déjà mises en place (Paris, Londres, Amsterdam…) démontrent un impact fort sur les émissions, tout particulièrement dans la Ultra-Low Emission Zone londonienne (la plus restrictive) avec une baisse de 54% d’émissions d’oxydes d’azote, et de 45% de particules fines.

Les ZFE-m accélèrent la transition énergétique avec une hausse de la part de véhicules électriques, ce qui se traduit aussi par une réduction des nuisances sonores liées au trafic. Le déploiement des ZFE-m porte ses fruits en matière de qualité de l’air, mais manque de synchronisation avec le développement des alternatives à la voiture et notamment des transports en commun. Il faut accélérer l’adaptation des infrastructures de transport alliée à un plan pour accompagner les usagers et favoriser les mobilités douces. Il est également essentiel de garantir une certaine progressivité (temporelle et spatiale) pour laisser le temps aux usagers de s’adapter, d’anticiper et ainsi favoriser l’acceptabilité sociale.

Un article rédigé par Frédéric Souty, Alexandro Pocchiesa et Charlène Delcourt